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Interview : Gess, des Contes de la Pieuvre à Conan en passant par un western

Gess était l’invité de la librairie Azimuts à Montpellier. Après Babel, il vient de publier le tome 2 des Contes de la Pieuvre, Le Trouveur, un polar fantastique au parfum de feuilleton dans le Paris de la fin du XIXe siècle. Un vrai coup de cœur qui a su toucher un large public. Gess, avec Ligne Claire, est revenu sur la génèse des Contes mais aussi sur le Conan qu’il va publier chez Glénat. Sans oublier le tome 3 des Contes et peut-être un western qu’il a en chantier. Un entretien en toute liberté qui évoque également le marché actuel de la BD pas toujours simple. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Gess chez Azimuts à Montpellier. Photo JLT ®

Comment, Gess, avez-vous eu l’idée de ces contes de la Pieuvre ?

Il y a dix ans j’étais sur la fin de La Brigade Chimérique et en fait j’avais rassemblé beaucoup de documentation car Lehman avait des exigences précises sur Paris. En faisant des recherches sur la capitale en 1938, je suis tombé sur beaucoup de photos de Paris à la fin du XIXe siècle. Il faut savoir que le temps de pose photo à cette époque était si long qu’on ne prenait que les bâtiments, pas les humains. Marville a pris en photo le vieux Paris avant qu’Hausmann ne le détruise. Du coup, on a le Paris village que j’ai exploité. Je suis tombé amoureux de l’ambiance que renvoyaient ces photos. Tout est en sépia et en même temps, je lisais Rue des Maléfices de Yonnet, son seul livre, qui décrivait le Paris magique, les lieux mystérieux. Les deux se sont mélangés, je me suis dit: c’est ça que j’ai envie de faire.

D’où un Paris réaliste fin XIXe, avec des héros qui eux ont des dons fantastiques ?

On pourrait penser que ça vient de la Brigade mais ce n’est pas le cas. Même si cela avait ouvert en moi une brèche mais je n’ai pas voulu travailler dans Les Contes de la Pieuvre sur des super-héros. J’avais déjà illustré des ouvrages avec des gens qui avaient des talents. Cette idée m’a trotté dans la tête. On restait à taille humaine. Je me posais des questions sur mon propre talent, le dessin.

Ceux de vos héros ont des conséquences lourdes pour leur vie?

Oui et j’ai effectivement joint la part fantastique. J’avais deux envies, le lieu et la manière, l’époque au début de l’industrialisation et après la Commune. La banlieue, c’était la campagne.

Mais comment avez-vous trouvé les personnages, leurs dons ?

Je ne sais pas trop. Pour Babel je n’ai rien écrit. J’ai commencé les Contes parce que j’en avais marre d’être bloqué par un nombre de pages. 46 pages et plusieurs albums avec chaque fois un début et une fin, non. Je me suis fait plaisir et sans dialogues. Je dessinais une page par semaine sans texte, en attendant mon fils qui avait un cours le mercredi. Ensuite, chez moi, je rédigeais les dialogues. Au bout d’une quinzaine de pages, pour Babel, l’histoire m’est apparue. L’idée du talent aussi. J’ai écrit ensuite des synopsis dont Le Trouveur. Le fait que le héros parle toute les langues dans Babel, puis l’hypnotiseur, tout se recoupe. On n’est pas parti avec Delcourt sur un nombre d’albums précis. Mais l’éditeur a trouvé que cela valait le coup mais aussi de réaliser un beau bouquin. Babel a eu un accueil extraordinaire et on la retiré trois fois. Ensuite, j’ai eu la trouille pour le second, pour Le Trouveur (c’est en pensant à un sourcier que j’ai trouvé son don), j’ai écrit l’histoire cette fois, trente pages avec un gros travail iconographique sur Paris dont les cartes d’époques pour qu’on suive réellement le Trouveur dans ses recherches.

Vous êtes très fiable sur le contenu ?

Oui, totalement. Je n’ai pas retrouvé comment on faisait le café chez soit à l’époque, avec quelle cafetière. Cela m’a agacé (rires).

Ce sont des albums très singuliers plus la qualité de votre dessin sur une belle histoire dramatique et sentimentale. Pourquoi avoir choisi un policier ?

A la base, il ne l’est pas. Il le devient par idéologie. Son père l’a élevé dans l’esprit de Rousseau pour qui la vie était sacrée. Il devait trouver une voie légale, la justice et pas la vengeance. Ce qui n’est pas le cas de sa femme Léonie dont la violence fait partie de l’éducation.

Le fil conducteur, c’est la pieuvre. Il y a un côté feuilleton, picaresque.

La Pieuvre a des yeux partout. Quand j’ai découvert le polar autrefois, j’en ai dévoré un très grand nombre et suis passé au roman noir avec Goodis. Il prend un personnage qui est broyé par le destin, pris au piège d’une mécanique implacable. Le Trouveur sera obligé de se sacrifier pour éviter que celles qu’il aime soit aussi broyées.

Mais qui est la Pieuvre ?

Ah, je ne le dévoile que par petit bout. Je n’ai pas trop envie d’en parler.

Et si on parlait du tome 3 ? Il y aura un lien avec les précédents contes ?

Oui, avec la fin de Trouveur, j’ai laissé en plan un conflit entre Claire et Pluton, puis Léonie. Pluton, on sait qu’il a un talent mais pas plus. Donc j’aimerai développer même si ce n’est pas un personnage très sympathique. Il travaille pour la Pieuvre. Je réfléchis sur ce tome 3 avec une pagination semblable au deux.

Pourquoi cette histoire courte à la fin du tome 2 sur la Bête, acteur de l’aventure ?

C’est un personnage extraordinaire, la Bête, héros d’une séquence si délirante qu’on ne pouvait laisser dans l’état. Mais c’était difficile de l’expliquer au sein de l’histoire. Pendant que j’écrivais Trouveur, je lisais Rousseau, donc il était en fait son enfant sauvage. Je voulais raconter sa vie qui aurait pu passer pour un ultra violent mais doux à moins d’être en face de gens agressifs. La Bête vieillit plus vite que la normale. Ce qui m’intéressait était de montre que ce qu’on voit n’est pas toujours la réalité.

Hormis La Pieuvre vous avez aussi un Conan chez Glénat en cours ?

Oui, dont je signe scénario et dessin. J’avais envie de faire une adaptation. Quand Morvan m’a proposé un Conan, j’ai bondi sur l’occasion mais j’ai mis la Pieuvre 3 de côté. Il faut que je me dépêche. C’est à partir d’une petite nouvelle et l’album est prévu en 2020. Ensuite je fais un Moriarty dont je signe le noir et blanc. Le tome 3 de La Pieuvre sera très complexe à mettre en place, il y a du boulot avec un gros travail de documentation.

Pourquoi ?

Si je veux m’intéresser à Claire qui voit deux mondes comment j’en parle dans Le Trouveur, il faut que je l’explique. L’autre monde serait celui de la mythologie, des dieux, de l’arbre cosmique. Je lis beaucoup sur le sujet. Je dois tirer un fil conducteur sur ces bases. J’ai aussi aimé dans Trouveur l’idée de la République. J’ai lu sur la Commune, Marx. Cela m’a formé. Il faut que je lise Platon, Cicéron, ce qu’était à leur époque la République romain et grecque. De laquelle sommes nous les héritiers. Ensuite il faut mélanger le tout et rester fluide. Et je veux garder la surprise.

Vous êtes comblé et très occupé ?

Je manque de temps.

Des envies ? Un western ?

Si j’en parle on va me piquer l’idée mais oui. C’est prévu.

Vous lisez de la BD ?

Peu, j’en ai beaucoup lu. J’ai arrêté d’en lire quand j’ai commencé à en faire parce que je ne voulais pas être influencé. Je m’en suis rendu compte quand je faisais Carmen. On pouvait dire quand je lisais Mignola que je continue à suivre avec Pratt.

Vous travaillez de façon traditionnelle ?

Oui, sauf pour le Conan fait sur ordinateur. Je trouvais mes story-boards plus intéressants que mes encrages. Je suis passé au A4 sur papier pour La Brigade Chimérique et j’ai gardé ce format. Sauf pour le Jour J. J’ai fait une page d’essai en A3 pour Conan toujours sur papier. Je n’ai pas aimé. Donc j’ai tenté la tablette. Mais il n’y a plus d’originaux même si ça me coupe d’une source de revenus.

Que pensez-vous du monde de la BD aujourd’hui ?

Un monde inquiétant. Effrayant. Il y a une somme de plusieurs causes. Les jeunes achètent du manga. La franco-belge est achetée par des gens qui vieillissent et ont un bon niveau de vie. Mais quand ils sont à la retraite, ils arrêtent. Les femmes par contre commencent à acheter de la BD mais souvent ce sont des hommes d’un certain âge. Nos enfants, par exemple, ne sont pas pour autant des lecteurs. En plus il y a la surproduction avec une durée de vie très courte de chaque album. Le lecteur ne peut pas suivre. D’où la paupérisation des auteurs. Sauf si on est « banquable » en fonction de nos ventes. Les éditeurs sont en flux tendu, sans stock. Pas simple.

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