Interview : De Jour J à Mousquetaire et bientôt au 11 Septembre, Fred Duval sera à Istres à AéroBd les 4 et 5 mars : « Je ne suis pas un scénariste historique »

Fred Duval sera à AéroBD à Istres les 4 et 5 mars. Scénariste, il est historien de formation, aux commandes avec Jean-Pierre Pécau de séries fortes comme Jour J (Delcourt) qui se sert de l’uchronie, réécrire l’Histoire en modifiant un évènement du passé. Il a travaillé pour L’Homme de l’année (Delcourt) et vient de publier le second tome de Mousquetaire où il redonne à D’Artagnan sa vraie stature de protecteur de Louis XIV. Fred Duval a une qualité qui est un atout, sa passion de l’Histoire. Pas question de déraper où de se laisser aller à la facilité. Avant d’aller à Istres, Fred Duval a répondu aux questions de ligneclaire sur sa carrière, son actualité et ses projets. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Fred Duval
Fred Duval

Fred Duval, vous êtes historien de formation. C’est la raison qui vous a amené à signer le plus souvent des scénarios où l’Histoire joue le premier rôle ?

Je suis effectivement historien de formation et attiré par le XIXe siècle. J’ai commencé par le western et il est difficile d’être passionné de western sans aimer l’ Histoire. Je suis ensuite passé à la science fiction avec par exemple Carmen Mac Callum et revenu à l’Histoire avec entre autres L’Homme de l’année. J’ai touché ainsi à l’affaire Dreyfus, sa vérité et c’est un peu ce style de sujet que j’aimerais développer. J’ai enfin choisi l’uchronie pour me confronter à l’écriture du feuilleton à la Eugène Sue mais en BD. Il y a eu Nico avec Berthet et puis Jour J avec Jean-Pierre Pécau. On s’est fixé un cahier des charges avec une grande rigueur historique en restant toujours plausible. Pour tout ça, oui j’ai dû me replonger dans mes bouquins selon les périodes. Faire de l’historique pour de l’historique ne m’a jamais attiré encore que je sois en train de préparer un Lincoln pour Glénat. Je ne raconte que deux journées de sa vie où il fait le point sur sa vie. Chacun arrive avec sa sensibilité dans ces collections mais pour moi l’Histoire n’est qu’en toile de fond. Je ne suis pas un scénariste historique.

Vous êtes en effet trois scénaristes pour Jour J avec Jean-Pierre Pécau et Fred Blanchard. Comment cela se passe pour les choix ? Vous faites un brainstorming, chacun apporte ses idées et vous décidez ?

C’est un peu ça. On discute des projets. On se renvoie la balle. On se met d’accord sur une structure, un début, un milieu, une fin. Jean-Pierre écrit les dialogues et moi j’arrive, je découpe et mets en scène. Ou je mets en scène, écris les dialogues de contenu et lui revient dessus. C’est vraiment fonction des bouquins et de nos connaissances mutuelles des sujets. Pour Louis XIV on envisage une grosse uchronie. Comme j’ai accumulé avec Mousquetaire pas mal de connaissances, je vais m’y coller.

Vous être dans une totale collaboration ?

Oui. On est aussi en train de faire un gros travail sur le 11 septembre pour Jour J, parution cet été. On a écrit chacun la moitié. En gros on s’est toujours dit que lui il était responsable des dialogues et moi du découpage et de la mise en scène.

Le Crépuscule des damnés Pour la période contemporaine, dont la seconde guerre mondiale, qui est le leader ?

On a une culture assez commune. Céline pris en stop dans le Crépuscule des damnés, ce n’est pas un hasard. On est tous les deux de gros lecteurs de littérature. Pour les trois albums avec Maza (Oméga, Opération Charlemagne et Le Crépuscule des damnés) on voulait montrer ce qu’aurait pu être un fascisme à la française. En France on passe à côté de catastrophes que l’on ne débriefe pas. C’est assez normal. Nous, on a évité la fascisme en 1934, d’autres pas. Il y a eu ensuite la guerre, la reconstruction. L’uchronie permet de changer les grilles et de dire si les choses ne s’étaient pas passées comme cela que serait-il arrivé ?

L’uchronie est un genre plus simple à traiter que l’historique ?

Dans l’uchronie on doit aussi faire très attention. C’est un débat que l’on a eu quand on a commencé car à l’époque peu de gens connaissait l’uchronie. Ce n’est pas du révisionnisme qui veut réécrire l’Histoire selon une idéologie politique et réinterprète l’Histoire dans le sens qui arrange. Nous pas du tout. On est dans un monde parallèle, avec une histoire plausible. Quand on met en scène l’invasion de Paris par les Soviétiques, il y a le docteur Petiot qui reste ce qu’il était, un serial killer. On ne change pas la nature des gens. Il y a des choses à respecter. On a pu faire des petites erreurs comme rendre un peu sympathique des gens qui ne le sont pas comme Bonnot. Cela demande autant de rigueur que pour un récit historique mais on n’en tire pas une conclusion. Pour Lincoln je travaille avec un historien. C’est cette fois un récit historique à part entière.

Il y a le risque avec l’uchronie que le lecteur se demande où est la vérité, qu’il y ait quiproquo.

La Ballade des pendus Au début on a eu beaucoup de problèmes parce que les gens n’avaient pas compris ce qu’était l’uchronie. On eu des anecdotes marrantes. Un monsieur a écrit à Delcourt qu’il avait lu le tome 5 de Jour J et que les auteurs ne connaissaient pas l’Histoire. « Il faut leur dire que le président Kennedy a été assassiné en 1963 et pas en 73 ». On a bien précisé depuis le départ que Jour J était une série uchronique.

Avec La Ballade des pendus toujours dans Jour J, Jeanne d’Arc reprend du service comme mercenaire et Villon comme tueur à gages.

On a eu un débat avec Jean-Pierre car les dates ne correspondent pas vraiment. Jeanne aurait été assez vieille. Je serai plutôt allé sur une Jeanne d’Arc pure et dure mais Jean-Pierre trouvait plus intéressant de faire une sorte de synthèse de Jeanne d’Arc. Après sa mort il y en a eu d’autres qui sont apparues se faisant passer pour elle. Le sujet c’est aussi la peste qui se propage et on avait lu le Rhinocéros d’Or de Fauvelle, le Moyen Âge africain. Il fait le point sur les grandes civilisations africaines dont l’empire du Mali avant que l’Europe n’arrive pour selon elle sauver les gens. On a gommé cette Histoire. Si l’Europe avait été détruite par la peste est-ce que ce n’aurait pas été l’Afrique qui serait venue s’ingérer dans les affaires européennes dès le Moyen Âge ?

Nom de code : Martin Vous avez aussi écrit un excellent album sur l’Algérie, Nom de code : Martin. Pourquoi ?

C’est très personnel. J’ai fait un séjour à la fin des années 2000 en Algérie dont une semaine à Constantine pour une formation sur Molière avec des étudiants. J’ai rencontré des intellectuels algériens qui m’ont raconté leur histoire, pas celle de la guerre d’Algérie où il faut laisser les historiens travailler. Ce dont les gens avaient envie de parler, c’était les années noires, les années 90, du terrorisme. On a passé des soirées à en parler avec leurs témoignages. Ce qui est dans le livre est vrai. J’ai mis sept ans à le sortir. Je ne sais pas si faire un récit d’aventure sur cette histoire récente était le bon choix mais je devais le faire. La suite est prévue pour le 19 avril.

Votre actualité c’est le tome 2 de Mousquetaire (Delcourt). Vous redonnez à D’Artagnan son vrai rôle dont celui de garde du corps dévoué de Louis XIV.

Mousquetaire C’est aussi une envie ancienne. Je voulais travailler sur la prise de pouvoir de Louis XIV. C’est venu aussi en potassant la vie du vrai D’Artagnan, pas celui de Dumas. Il fallait un récit sombre pas tel qu’on le connait dans Les Trois Mousquetaires. C’est un récit politique et policier. Je n’invente rien dans Mousquetaire. Tout ce qui concerne Alexandre, Éloïse ou Locuste est inventé. Par contre Louis XIV et D’Artagnan, il y a une rigueur totale. C’est un grand soldat avec une vie beaucoup plus impressionnante que celle du personnage de Dumas. Il a suivi Louis XIV depuis l’enfance. Il y aura quatre albums et la série s’arrêtera à la mort de D’Artagnan.

Vous avez aussi signé un XIII Mystery assez violent sur un personnage machiavélique, Calvin Wax.

J’ ai proposé à Jean Van Hamme de m’intéresser au tatouage que porte XIII. Van Hamme m’a dit que c’était la pire idée qu’il avait eu ce tatouage. Puis il m’a dit d’accord et de me débrouiller avec Calvin Wax. Comment avait-il eu l’idée du complot et qui serait le numéro I.

La République des esclaves Quelles sont vos envies ? Quelles pistes n’avez-vous pas encore prises ? Celle des airs ?

J’ai écrit un premier roman graphique qui sortira en mai 2018 avec Nicolas Sure autour du cyclisme et du dopage à notre époque. J’en ai un autre en gestation et je suis en train d’adapter pour Dupuis le roman de Michel Bussi, Nymphéas noirs avec Didier Cassegrain au dessin. Je continue la science-fiction avec un projet chez Dargaud. Tout m’intéresse en fait. Vous me parlez d’aviation mais je ne suis pas un spécialiste. Je les écoute mais je sens plus à l’aise avec l’Histoire ou la science-fiction. Moi, je suis Blueberry, Comanche. J’ai signé un western en projet chez Soleil avec Pécau. Mes envies ce sont aussi des rencontres avec des dessinateurs. Par exemple, je retravaillerai aussi peut-être un jour avec Berthet.

Comment travaillez-vous justement avec les dessinateurs ?

Maza
Maza. JLT ®

Cela dépend avec qui mais de façon traditionnelle. Avec Kordey je lui donne tout le scénario car il travaille très vite. Je peux aussi livrer un scénario par séquence. Je récupère le story-board et ensuite il y a l’encrage. Je travaille une semaine sur chaque projet sauf si il y a un coup de panique. Le prochain Jour J ce sera la suite de Spartacus avec Antoine et Cléopâtre qui débarquent pour prendre Rome. Ensuite c’est un énorme projet avec Jean-Pierre Pécau et Kordey au dessin, notre uchronie sur le 11 septembre. Deux albums paraîtront simultanément en août. Cela fait déjà quinze ans le 11 septembre. On est parti sur une découverte avec le bouquin « Et la maison s’envolera ». On veut en finir avec le complotisme. Notre histoire se base sur un personnage étonnant au destin incroyable, John O’Neill du FBI qui va rapidement se rendre compte qu’il y a une radicalisation autour d’un certain Ben Laden. On ne l’écoute pas. Il démissionne et prend la direction de la sécurité du World Trade Center. Son premier jour de boulot sera le 11 septembre et il meurt. On a imaginé qu’il aurait pu être pris au sérieux et quelles auraient été les conséquences si le 11 septembre n’avait pas eu lieu. Le titre sera Le Prince des ténèbres.

En conclusion, est-ce que la réalité peut rattraper l’uchronie ?

Jamais. Car même une uchronie sérieuse ne réécrit pas l’Histoire. Si vous prenez le seconde guerre mondiale on peut imaginer que l’Allemagne pour différentes raisons ait tenu trois ans de plus mais au final elle aurait perdu contre les USA et l’URSS. En 1941 Léon Blum écrit un livre dans lequel il ne dit pas « si l’Allemagne perd la guerre » mais « quand l’Allemagne perdra la guerre ». Staline aurait écrasé l’Europe. Des grands bouleversements, il aurait pu y en avoir et l’un des plus connus est l’affaire des missiles soviétiques à Cuba en 1962. Là oui, on est passé tout près d’une guerre mondiale. Si Kennedy ou Kroutchev avait craqué le monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.

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