Pour Karmela Krimm, Franck Biancarelli dessine, sur un scénario de Lewis Trondheim, les aventures d’une ex-flic brillante virée pour avoir voulu couvrir sa coéquipière et devenue privée. On est à Marseille, ville où est né et ou vit Franck Biancarelli. Karmela Krimm (Le Lombard) s’inscrit dans la lignée de la plupart des héroïnes flics des séries TV françaises. Jolie, forte personnalité, mais pas vamp. Biancarelli a un dessin qui maîtrise parfaitement le rythme de l’action, le contour des personnages tout en ayant eu l’idée de départ de ce polar bien ficelé, carré et séduisant. Le dessinateur revient sur la génèse du projet Karmela Krimm, sa façon de travailler, son ressenti sur son métier, ses envies. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC. (Merci à Franck Biancarelli pour les documents originaux d’illustrations)
Franck Biancarelli, comment s’est monté ce projet de polar avec Lewis Trondheim ?
Finalement pas vraiment de façon improvisée mais au moins un peu inhabituelle. J’avais travaillé avec lui sur Infinity 8, on s’était bien entendu. J’avais lu aussi son autre polar, Maggy Garrisson qui m’avait impressionné par sa mécanique bien huilée, les rebondissements intéressants, les personnages bien foutus. D’un autre côté, j’ai toujours des histoires qui me trottent dans la tête. Depuis quelque temps, je m’étais mis à en écrire une, mais je bloquais. Il y avait des choses que je ne sentais pas. Je me suis dit que j’allais faire lire mon synopsis à Lewis. Il allait peut-être me donner des idées. Et je ne sais pas trop comment il a pris cela, comme un appel ou autre. Il m’a dit qu’il y avait des trucs qui n’allaient pas. Il m’a proposé de réécrire le tout.
A la base l’idée de cette histoire était donc un peu de vous ?
Oui, il en reste pas mal de choses. A l’arrivée je considère cependant que l’histoire est totalement de Lewis.
Vous aviez déjà certains des personnages en tête ? Cela vous a aidé graphiquement ?
Le héros pour moi était un homme et son ex-femme l’aidait un peu. Lewis a inversé, j’ai gardé l’homme costaud qui est Tadj. J’avais aussi un enfant comme comparse mais plus conventionnel. Il l’a gardé avec la filleule de Karmela mais elle intervient autrement.
On est sur une histoire qui a un côté série TV très prononcé. Cela n’a rien de péjoratif. Il y Manon une jeune ado comme on en voit souvent, le duo d’adultes, souvent deux flics, une femme et un homme, l’ambiance générale.
De toute façon on l’a pensé comme une série BD. Est-elle adaptable ? Pourquoi pas ? Si j’ai pensé à un héros, à un titre c’est à Jérôme K. Jérôme.
C’est un privé plus bon enfant, Jérôme K.. Krimm c’est plus dur. Il y a du cadavre en nombre, du truand marseillais, l’OM, une succession.
Oui je parle du rythme, de la vie privée, de la dimension sociale. La part lourde de l’histoire était déjà dans mon idée de départ mais Lewis l’a transformée. Prenons l’exemple de Blueberry, on ne sait rien de sa vie très longtemps dans les albums. Jérôme K., rapidement on le voit vivre à côté de ses enquêtes. C’est en cela que je fais le rapprochement. J’ai travaillé les décors dans ce sens, l’appartement de Karmela, je suis allé voir celui d’une amie qui vit seule.
On est aussi un peu dans le Marseille d’aujourd’hui avec des rappels qui font penser à l’époque Tapie, Deferre, Dreyfus.
Ça l’était encore plus au départ mais Lewis a tempéré. Il a bien fait. Le tome 2 va faire évoluer un peu tout ça. C’est une série, on l’a dit. Dans le tome 1 il y a la mise en place bien sûr.
Le trio, Manon, Karmela, Tadj va continuer à travailler ensemble ?
Dans le tome 2 oui. C’est important. On va découvrir la vie de Tadj. Manon est déjà un peu en fond d’écran dans le tome 1.
Lewis Trondheim a des scénarios de polars qui fonctionnent bien. Comment s’est passé votre collaboration ?
Sa proposition n’était pas banale avec une héroïne comme Karmela. Lewis a commencé à me donner une trentaine de pages pour le tome 1. Il n’était pas satisfait de la fin. Il l’a travaillée avant de me donner les quinze dernières. Pour le tome deux, j’ai le scénario complet. Il me fournit des brouillons, un rough avec les dialogues en couleur. Pour les six premières pages, j’ai eu du mal à trouver un tempo qui le satisfasse. Cadrage, angles, découpage, il estimait que c’était un peu compliqué. J’ai essayé de modifier ma copie. J’ai suivi et ensuite tout allait pour les suivantes. Ça a roulé. Il est très pointu car il connait son propre tempo. Ma narration avait dû, au départ, le modifier. J’avais un peu plus ramé avec Infinity 8.
Vous aviez déjà un beau parcours de créateur de polar avec Denis Robert comme dans Une Erreur de parcours ?
Oui car sa façon de travailler est très différente. Denis me fournit beaucoup de matière. Je pioche. J’ai beaucoup de liberté dans la narration. Denis c’est juste sa voix qui prime mais Lewis inclut son propre tempo dans l’œuvre.
Techniquement, comment travaillez-vous ?
Je fais un rough mais assez précis. Je monte les pages, c’est proche du crayonné, sur papier. Je passe sur Photoshop pour voir si je ne peux pas explorer d’autres pistes, des personnages. Le montage est sur ordi, je mets les textes, j’envoie à Lewis et à l’éditeur car il a une vision de premier lecteur. Quand c’est OK, je réimprime et j’encre à la main.
Votre dessin est sans outrance. Il coule bien, sincère.
Mon dessin ne veut pas se mettre en avant. Il doit être naturel. Je ne cherche pas à prendre toute la place. Il faut laisser sa place à l’histoire, donner un confort de lecture. Je compte sur l’intelligence du scénario.
Le choix des physiques des personnages, comment cela a fonctionné avec Lewis ? Karmela pourrait être italienne, provençale. Ce n’est qu’ensuite qu’on découvre ses origines.
Alors là c’est un peu particulier. Tadj, je l’avais créé. Karmela, Lewis voulait une maghrébine au physique un peu mélangé. On avait pensé comme prénom à Camélia puis on est tombé d’accord sur Karmela et cela m’a suggéré le brun des cheveux. On voulait une fille jolie mais pas en jupe sur talons hauts.
Idem pour les séries TV françaises en particulier les polars désormais dont l’extrême est le capitaine Marleau.
Je repensais aux Experts, à Rizzoli et Isles. Je n’ai pas envie de faire des super héros. J’ai digéré ma passion pour le dessin américain. Je n’ai pas eu de difficultés majeures en fait avec cet album. On s’est calé sur les dix premières pages comme avec Serge Le Tendre dans Le Livre des destins. On a une idée dans sa propre tête et il faut la mettre dans les pages. Si au bout de dix pages je sens que cela ne va pas coller je pourrais ne pas continuer un album.
Qu’est-ce que vous aimeriez faire et que vous n’avez pas fait en BD ?
Il y a un truc qu’on peut remarquer en feuilletant l’album et auquel je suis attentif, ce sont les arbres. Je les dessine différents, je les pose dans mes décors. Ma carrière est très urbaine. Je dessine des histoires qui se passent en ville. Mais j’aime la nature et elle me manque. J’aimerais la dessiner. Mais quand on me propose une bonne histoire en fait peu importe où elle se passe. Je n’ai pas de frustrations scénaristiques car j’ai travaillé avec trois très bons auteurs depuis quinze ans. Je ne suis pas un dessinateur de genre. Je m’adapte mais il faut vraiment que je sois captivé par le scénario.
Le fait d’habiter Marseille vous a servi pour Karmela ?
Sûrement. Je vis au cœur même de ma BD. Au départ mon histoire aurait pu se passer n’importe où. Très vite, j’ai eu envie de parler de Marseille pour montrer ma ville, pas une carte postale, ni un Marseille crasseux. Une sorte d’hommage. J’avais dessiné Metz pour un scénario de Denis Robert. J’y ai pris plaisir.
Marseille a quand même une image de ville qui fait la Une de l’actualité.
On ne le nie pas mais on ne fonce pas dans le cliché. Je suis Marseillais bon teint. Je traverse n’importe où par exemple comme tout bon Marseillais mais par contre (rires) je ne suis pas un fan de foot.
Le second tome est pour quand ?
On va voir. J’en suis à une dizaine de pages.
Vous êtes sur d’autres projets ?
Il y a une proposition mais je ne veux pas en dire plus pour une dizaine de pages dans le cadre d’un projet à venir. Sinon je me consacre pleinement à Karmela.
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