C’était le temps des cathédrales, le Moyen Âge où on bâtissait ces chefs d’œuvre qui demandaient des dizaines d’années de labeur à toute une catégorie d’artisans dont le talent est bien visible encore aujourd’hui, de Chartres à Notre-Dame. Les Piliers de la Terre, succès mondial de Ken Follett à la fin des années 80, est un monument qui devient une BD en six tomes chez Glénat. Monument pour Follett en terme de vente (33 millions d’exemplaires), monument parce que c’est bien de la construction de ces mastodontes de pierre dont on y parle à travers des destins et des personnages très variés. Le dessinateur est Steven Dupré. Didier Alcante au scénario et à l’origine du projet a répondu aux questions de Ligne Claire. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC
C’est vous Didier Alcante qui êtes à l’origine de l’adaptation des Piliers de la Terre ?
Oui tout à fait. C’est mon roman préféré et je l’ai lu il y a 25 ans. Je m’en souviens bien parce que on venait d’avoir notre premier enfant avec mon épouse. On se lisait des livres à voix haute plutôt que d’être chacun séparé, isolé dans notre propre roman. Comme elle était très fatiguée c’est moi qui lui aie lu entièrement le roman à voix haute.
Vous étiez déjà un lecteur de Follett ?
Non c’était mon premier roman de lui et je suis devenu un fan. Je crois qu’il m’en manque deux ou trois à lire. Un ami m’en avait parlé et c’est comme ça que je l’ai commencé.
Les Piliers de la Terre, c’est du lourd, une sacrée saga, ce n’était pas le plus facile des Follett à adapter.
Dans tous les sens du terme. Il a réussi à rendre passionnante une histoire très pointue, la construction d’une cathédrale sur 50 ans. A l’époque il était connu pour ses romans historiques sur la seconde guerre mondiale, L’Arme à l’œil, le Code Rebecca. Tout le monde lui a déconseillé d’écrire un roman sur le Moyen-Âge. Son éditeur espagnol a refusé de le publier. Les Piliers de la Terre est devenu son plus grand succès. Un autre éditeur espagnol l’a pris et c’est resté des semaines en tête des ventes.
La parution est à la fin des années 80.
Moi je l’ai lu en 98.
On peut parler de monument pour les Piliers à plus d’un titre, monument de par le sujet, le succès, le nombre de livres vendus. Comment on se sent quand on s’attaque justement à un tel monument ?
33 millions d’exemplaires. Je me suis enthousiasmé. Cela avait été adapté en série TV, en jeu vidéo, pas au cinéma, deux comédies musicales. Sauf la BD. Au fil de mes années de scénariste j’ai vu que certains avaient essayé mais sans suite. Finalement en 2018 à la Foire du Livre de Bruxelles j’en ai parlé avec le directeur général de Glénat (je travaillais sur La Bombe) qui m’a dit qu’il y avait aussi pensé. Aucun roman de Follett n’avait été adapté en BD.
Et Ken Follet là-dedans ? Il a accepté facilement ?
Cela a été long. Sur le principe cela a été rapide mais après on est passé par son épouse qui est son agent, ancien ministre de Tony Blair. J’ai eu son mail et je lui ai dit que je rêvais d’adapter les Piliers. Je promettais de ne rien dénaturer. Je lui ai présenté les éditions Glénat. Parenthèse, Follett a un pool de 25 personnes qui travaille pour lui. On a validé en décembre 2020. Il a fallu ensuite trouver un dessinateur réaliste en accord avec l’éditeur. Je connaissais Steven Dupré et je savais qu’il travaillait vite et bien. On partait sur six albums de 80 pages. Il avait fait Pandora Box puis Kamelott. Il a fait un essai sur trois planches, les premières de l’album et c’est parti.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Ce sont 1000 pages à adapter. J’ai relu bien sûr le roman. Il fallait que je fasse très attention à ce que je supprimais, ne pas nuire à la mécanique du récit. Et il fallait une doc très importante. Follett est très précis, les petits détails comptent beaucoup. Follett a trouvé l’album parfait et a signé une préface inédite pour la BD. Il avait un droit de regard mais tout s’est bien passé et on a fait en fait une coédition avec Robert Laffont qui publie ses romans.
Pourquoi les Piliers et pas un autre Follett, hormis pour ce souvenir personnel de lecture ?
L’époque avant tout, les bâtisseurs de cathédrale. J’aime l’Histoire, grande ou petite et Les Piliers c’est un vrai mélange construit sur une doc pointilleuse. Je ne peux pas passer dans une ville sans aller voir la cathédrale. Celle des Piliers est fictive à Kingsbridge. Je me demande à chaque fois comment on a pu construire à l’époque des « trucs » pareils. Mon fils qui est architecte m’a bâtie en 3D la cathédrale du roman de façon à être le plus proche du récit, trouver les bons angles, les cadrages.
Vous arrivez à gérer d’autres projets en même temps que les Piliers qui sortent en octobre pour le tome 1 ?
Oui, j’ai sept albums sur le feu dont un chez Aire Libre. Deux homosexuels dans l’armée américaine pendant la guerre, un psychiatre qui tombe amoureux d’un GI’S. Deux suites aussi, Golgotha et Les Damnés de l’or brun avec Vallès. Un autre sur le pongiste US Glen Conan qui a été en 1971 à l’origine de la reprise des relations entre Chine et USA. Sans oublier un album sur l’histoire du whisky japonais, Whisky San, devenu une industrie réputée, sur son créateur.
Pour conclure sur Les Piliers il est difficile de ne pas faire un rapprochement avec les travaux sur Notre-Dame de Paris après son incendie et réalisés comme à l’époque.
C’est vrai, je n’y avais pas pensé. C’est un hasard bien sûr. Comme quoi l’art des bâtisseurs comme Follett le décrit ne s’est pas perdu. Enfin le prochain Follett qui sort presque en même temps que la BD se passera encore à Kingsbrigde mais au XIXe siècle.
Les Piliers de la Terre, Tome 1, Le Rêveur de cathédrales, Glénat / Robert Laffont, 19 €
Merci au scénariste, au dessinateur et au coloriste pour ce premier tome de l’adaptation en BD de l’œuvre magnifique de Ken Follett , » Les piliers de la Terre ». Je suis admiratif face à la qualité de la transposition du roman en BD. Le découpage des différentes séquences, les dialogues et surtout les dessins et les couleurs sont incroyablement vraies par rapport à l’ambiance que j’ai ressentie à la première lecture de Ken Follett il y a 20 ans et à la seconde il y a à peine un mois. J’ai dévoré ce premier tome et je meurs de faim en attendant la suite.