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Fabien Vehlmann revient sur Infinity 8, Seuls, l’avenir de Spirou et annonce Le Dernier Atlas, une uchronie sur la guerre d’Algérie

Fabien Vehlmann est un scénariste qui sait raconter d’excellentes histoires. C’est aussi un auteur pointilleux, enthousiaste et un interlocuteur passionnant. A son palmarès Seuls bien sûr, Le Marquis d’Anaon, Green Manor ou la reprise de Spirou et Fantasio avec Yoann. Et puis avec Lewis Trondheim il a scénarisé un des épisodes de la série Infinity 8 chez Rue de Sèvres, le tome 3 L’Évangile selon Emma. Rencontré à Lyon BD Festival, Fabien Vehlmann revient sur cette association en écriture, parle de son travail avec Trondheim et sur les projets qu’il a mis en route. Étonnant et bouillonnant Fabien Vehlmann qui s’est confié en toute liberté à ligneclaire.info. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Fabien Vehlmann sous la protection divine. JLT ®

Fabien Vehlmann, et si on faisait un point d’étape mais aussi un retour sur la co-scénarisation de L’Évangile selon Emma. Comment s’est passée votre collaboration avec Lewis Trondheim ?

C’est parce que je voulais travailler avec lui que j’ai accepté ce projet. Je suis débordé comme beaucoup d’auteurs et je m’estime en plus très laborieux. Je mets pas mal de temps à écrire. Je le sais et j’ai donc une fascination pour ceux qui ont une autre façon de travailler, plus rapide, et Lewis appartient à cette catégorie. Il peut écrire et dessiner un grand nombre d’albums. Quand il m’a dit qu’il réfléchissait à ce concept d’Infinity 8, que c’était de la science-fiction ce que je n’ai pas eu souvent l’occasion de traiter, qu’il y avait Olivier Balez comme dessinateur que j’apprécie beaucoup, j’ai décidé de tenter le coup avec comme motivation première de voir comment fonctionnait Lewis, de voir ses coulisses.

Et qu’avez-vous découvert ?

Il est très secret mais aussi très lisible. Il est très pudique et pas dissimulateur. Travailler avec lui ce ne sont pas les mêmes rapports. Il a une sorte d’humilité et on peut toujours discuter. J’avais bien présumé de cela quand j’ai accepté. Je ne l’aurais peut-être pas fait il y a encore quelque temps. Il a beaucoup changé Lewis. Il s’est adouci. ll est reconnu comme un des grands noms de la BD et cela peut aussi apaiser. Même quand il balance des scuds, ce qu’il a fait longtemps avec moi, il a toujours été ouvert au dialogue pour parler de toutes les formes, les genres de BD. On sait bien que Lewis c’est d’abord L’Association mais il peut s’impliquer dans toute autre forme de structure. Quand on a commencé à travailler ensemble je ne me suis pas senti écrasé par un monument et il a tout fait pour que je n’ai pas cette sensation.

Comment avez-vous accordé vos violons sur cet Infinity 8 ?

Il y a eu des étapes. Quand on a débuté il restait beaucoup de choses encore à poser dans la trame de cet univers. Le premier qui posait un élément avait raison. Il y avait une prime à la rapidité car sinon, ensuite, il fallait jouer avec les idées des autres. Quand j’écris un scénario, je le muris très longtemps pour que, si j’invente un détail, il existe et je m’en sers. Là ça m’échappait. Il y avait l’imaginaire de Lewis mais aussi de tous ses co-scénaristes. Il y avait des règles qui étaient déjà apparues dont il fallait savoir qui avait inventé quoi et qu’est ce que je pouvais encore inventer. Il m’a dit, « Vas-y . Tant que je ne te dis pas que c’est interdit tu peux le faire ».

On a beaucoup discuté en amont. On s’est vu à Lyon et on est rentré dans le vif du sujet pendant quatre jours. En toute liberté même si c’était lui le maître d’œuvre. Quand il a une idée, qu’il l’a validée il ne revient pas en arrière. Donc on ne peut qu’aller de l’avant. Moi je rumine mes idées. Le voir progresser, avancer a été une expérience à la fois déstabilisante mais aussi exaltante. Il réfléchit très vite. Moi je reviens souvent sur les scènes, les personnages.

C’est à dire ?

Dans Seuls par exemple je me suis mis en tête un cahier des charges. J’aime bien qu’il y ait deux ou trois scènes d’action étonnantes bien scénarisées. Je veux que le personnage soit confronté à un dilemme. Comment il va s’en sortir ? J’ai envie que cette scène soit là mais elle peut manquer de cohérence avec l’intrigue. C’est important des fois de laisser de la place à quelque chose qui n’apporte pas grand-chose en mécanique pure mais ajoute de l’émotion, du spectaculaire. Ce jeu me prend un temps infini.

Vous avez réussi à former un couple en scénario tous les deux ?

Oui mais ponctuel. Je lui disais « tiens il faudrait revenir sur ça ». Comme il est très factuel il demandait pourquoi. Je lui expliquais et il n’était jamais dans le jugement. On en parlait et on posait une autre solution.

L’ écriture a été commune ?

On s’est concentré sur le synopsis et un mois après Lewis m’a livré un story-board. Je crois qu’il écrit en dessinant comme souvent les auteurs complets. Je me suis dit que s’il il écrit tout comme ça, ça serait plus un livre de Lewis qu’une collaboration. Quand je fais un livre, même si je lui avais dit que j’étais très pris, ce n’est pas simplement pour avoir mon nom dessus. Dans ce cas j’y voyais un bémol. Comme il fallait aller très vite j’y voyais aussi un risque d’homogénéisation des personnages qui allaient tous être typés Trondheim avec des dialogues incisifs et drôles, caustiques. Donc il fallait que je prenne le taureau par les cornes. J’ai réfléchi. En fait avec le story-board il avait tranché et, point positif, en un mois et demi.

Je suis donc parti de ce story-board et je me suis consacré au ton et en particulier à celui d’Emma, le personnage principal. Je voulais qu’elle soit plus premier degré car Lewis est souvent dans le second degré. Quand on veut oser une vraie émotion il faut que ce soit au premier degré mais c’est vrai qu’il y a risque de plantage.

Lewis Trondheim présente Infinity avec Vatine chez Rue de Sèvres à Angoulême. JLT ®

Vous en avez parlé ?

On a eu ce débat. On pouvait traiter la religion pas un aspect caricatural mais cela ne m’intéressait pas. Je viens d’un milieu catholique qui m’a impacté aussi bien positivement que négativement. Où on posait le curseur ? J’ai dit là où cela ne m’allait pas. Lewis est revenu sur tout et on a affiné dont la fin qui semblait trop mélo. Il fallait qu’il y ait un dernier enjeu. Espoir ou pas ? Il ne fallait pas que le personnage d’Emma soit trop sombre car il allait revenir par la suite. Mais je ne connais pas la fin de la série. Emma reste un personnage positif. J’avais pensé qu’elle pouvait passer de défenseuse de la religion à une certaine forme d’athéisme. Tout ça pour dire qu’on a beaucoup travaillé sur le sujet.

On fait un point maintenant sur vos séries présentes et futures ?

Je me recentre sur quatre choses. La série Seuls chez Dupuis bien sûr qui marche bien. Le film a aussi bien fonctionné mais pas sûr qu’il y ait une suite. J’avais un avis consultatif et on s’était mis d’accord avec Gazzotti sur les points sur lesquels on ne voulait pas transiger. Le film est très beau. J’adore la série Seuls. Il y aura 22 albums et cinq intégrales mais on ne sait pas encore tout sur la fin. Il y a ensuite Spirou avec Yoann et on travaille pour savoir comment on peut relancer la série. On se rend compte que le pari de départ était de toucher des enfants et on n’y arrive pas. Les aficionados ne sont pas non plus satisfaits. Alors qui sont nos lecteurs ?

Spirou vous semble fait pour les enfants ?

Oui avec Franquin ou Tome et Janry. Avec les one-shots on a ouvert une autre voie, avec Bravo ou Schwartz, des albums plus saillants. Un libraire sera moins excité par la série mère que par un one-shot aujourd’hui.

C’est vrai qu’il y a une tendance à remettre en question les séries longues qui fonctionnent moins bien ou prendre des personnages secondaires comme Zorglub en héros.

Surtout si il s’agit d’une vieille série. Avec le nouveau directeur général de Dupuis on réfléchit à peut-être donner un coup de pied dans la fourmilière. On veut tenter quelque chose, inventer une forme pour un public de gamins quitte à se planter. Sinon on passera à autre chose. On réfléchit au prochain album en se posant ces questions. Faire une thérapie de choc en sachant qu’on ne plaira pas à tous les publics mais on l’assumera. En voulant plaire à tout le monde on peut décevoir. Avec Spirou il faut faire avec un matériel de départ mais est-ce qu’on peut le moderniser ? C’est un gros chantier.

Et ensuite ?

Il y a aussi L’Herbier sauvage, ouvrage érotique. Je me suis éclaté et c’est le bouquin qui m’a valu le plus de courrier. J’en fais un deuxième avec David Prudhomme au dessin. Un troisième est prévu. J’ai également écrit l’année dernière un roman graphique érotique avec Gwen de Bonneval avec un style plus réaliste qui paraîtra vers 2018 chez Delcourt. Polaris est le titre provisoire. Cela se passe dans un cercle libertin mystérieux.

Enfin il y a une nouvelle série Le Dernier Atlas chez Dupuis. Un gros travail de trois fois 200 pages avec une équipe composée de Gwen, Hervé Tanquerelle et Fred Blanchard. Dans une uchronie où la guerre d’Algérie a été décalée de 15 ans et commence vers 1968. Il y a des robots géants construits par la France pour bâtir mais qui auront un rôle plus ambigu. Il y a des équipages à bord. Le récit commence de nos jours et un Alien arrive et donc la solution pourrait être ces robots réformés, recomposer un équipage. Il y a des flash-backs. Je cherchais depuis des années un axe pour parler de la guerre d’Algérie mais il y avait le risque d’être interrogé sur « tu es pour ou contre l’Algérie française ». Il y a des querelles de chiffres. On n’a pas fait le deuil de cette guerre.

Yoann à Montpellier. JLT ®

L’uchronie vous permet de désamorcer cela ?

En posant une uchronie on décale la guerre et on détourne un peu l’attention. On verra peu le robot. J’aborde un sujet compliqué en tendant la main au lecteur par des choses simples. Je sais les grandes lignes, la menace Alien. Je suis à la limite de crédibilité mais je me suis fait aider par des ingénieurs spécialisés en particulier en nucléaire. Il y a un petit côté Space Cowboys. Je brasse un peu une vision du monde. On sortira en 2019.

C’est un projet majeur Le Dernier Atlas ?

Il me prend beaucoup de temps. Je lis des docs sur la guerre, cela me pèse, cela me traumatise. Mon père qui a fait cette guerre ne m’en jamais parlé. Donc c’est aussi très personnel et je dois livrer ma propre réaction émotionnelle. C’est un peu violent. Et c’est un gros morceau qui aura du poids et son potentiel. Ensuite je me laisse ouvert, pourquoi pas, à des collaborations sur des one-shots.

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