Les deux tomes de Paco les mains rouges (Dargaud) dont le second est sorti fin 2017 sont une totale réussite graphique, humaine, historique aussi, que l’on doit à un duo pertinent. Au scénario, et on va voir plus bas comment il s’est embarqué dans l’aventure, Fabien Vehlmann, et au dessin Eric Sagot avec un trait d’une rare authenticité, à son image. Eric Sagot était à Montpellier en dédicace à la librairie Azimuts. Une occasion de mieux connaître un dessinateur spontané, à la fois pudique et angoissé, libre et impliqué totalement dans son travail. Ligneclaire a pu découvrir un auteur qui étonne et continuera à séduire par son talent et sa franchise. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Eric Sagot, pourquoi avoir choisi la Guyane et le bagne comme scène pour Paco ?
J’ai découvert la Guyane, enfin j’y suis allé pour la première fois, en 1990. Je suis parti avec un copain et j’adore les voyages sans jamais être allé de ce côté là. Je suis resté 15 jours à Kourou. J’ai fait un tour sur les îles du Salut où était le bagne. Il y avait trois îles, l’Île Royale, l’Île Saint Joseph et l’Île du Diable. C’est la plus connue parce que Dreyfus y a été déporté. J’ai trouvé sur ces îles des ruines, des bâtiments pénitentiaires noyés dans la jungle. C’était à la fois magnifique et terrifiant. Cela m’a marqué.
Combien de bagnards ont été déportés en Guyane au total ?
70 000 environ dont des femmes et on a ramené les derniers bagnards le 1er août 1953. Le dernier convoi y avait été envoyé en 1938.
Comment en êtes vous arrivés à associer Fabien Vehlmann à cette aventure ?
Sur place en Guyane je m’étais renseigné et j’ai compris qu’il y avait des histoires très intéressantes à raconter sur le bagne. Il n’y avait pas grand chose sur le sujet en BD. J’ai acheté des bouquins et accumulé beaucoup de documentation. C’était devenu une obsession pour moi.
Alors pourquoi ne pas avoir écrit alors le scénario, ce qu’a fait Vehlmann ?
J’étais un peu noyé et par où commencer, par où prendre cette histoire de bagnards ? J’en ai parlé à Fabien que j’avais rencontré chez Matthieu Bonhomme et je lui ai proposé le sujet. Cela m’a permis aussi de beaucoup apprendre avec lui sur la narration.
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Fabien habitait Paris, moi à Nantes où on s’est croisé de temps en temps en temps. Il est reparti avec une très lourde documentation sur la Guyane, des romans que je lui ai fournis. Au bout de quelques jours il m’a contacté en me disant que le sujet lui plaisait beaucoup, qu’il avait le virus. On s’est vu pour discuter du scénario. On s’est posé beaucoup de questions tous les deux. Il s’est enfermé et il écrit les 108 planches. Dès que j’ai eu le scénario, je me le suis approprié. J’ai oublié que c’était Fabien qui l’avait écrit. Je me suis mis au service de Paco pour mettre en images son histoire. C’était mon travail.
Paco, c’est un instituteur condamné pour meurtre, un personnage totalement inventé ?
Oui mais sa vie est très proche de celles des vrais bagnards. Avec tout ce qu’il vit, comment il se défend. Il va trouver du réconfort auprès de son ami Armand. Il a commis un crime et il a été envoyé en Guyane parce qu’il a échappé à la peine de mort. Il n’avait aucune chance de revenir en France.
On revient à la Guyane avec ce qui a été l’un des premiers grand best-sellers à la fin des années 60, Papillon, écrit par Henri Charrière adapté au cinéma avec Steve McQueen, sans oublier les reportages d’Albert Londres avant guerre qui ont porté un coup sévère au bagne. Est-ce que le bagne en Guyane ce n’est pas une part de la mauvaise conscience française ?
Aujourd’hui oui. A l’époque pour certains, une minorité, mais pas pour tout le monde. La peine de mort était admise. On allait assister à la guillotine. C’était un spectacle. Donc le bagne était parfaitement accepté.
La bagne c’était une prison naturelle dont on ne pouvait pas s’échapper ou rarement.
Il y avait l’océan avec les requins, les courants, les pays limitrophes qui rendaient les bagnards évadés, la jungle, la forêt tropicale. Très peu de bagnards sont revenus aussi en France à cause du doublage. De cinq à huit ans de bagne on devait passer la même durée sur le sol de Guyane plus ou moins libre. Pour les autres c’était à vie. Les forçats étaient contents de quitter la forteresse de l’Île de Ré en pensant qu’en Guyane ils allaient pouvoir s’évader. Ils comprenaient vite.
Comme techniquement avez-vous travaillé ? Il y a eu des expositions ?
A l’ancienne, à la main sur un papier aquarelle, format 24 par 34,5 cm sur table lumineuse sans retouche infographique. L’encrage est fait au feutre Pilote. Cela me permet d’abimer la pointe et de torturer un peu mon dessin. Et la couleur c’est du gris tourterelle travaillé au pinceau. J’ai aussi utilisé un crayon noir. Chaque planche était une sorte de jeu. Il y a des lois magiques en BD. Expositions oui mais pas pour le tome 2. Pour le tome 1 il y a une exposition thématique sur le bagne à Nantes à la Maison de l’Outremer.
Votre BD Paco est devenue une sorte de référence sur le bagne ?
Oui, Paco est effectivement référencé dans des bouquins historiques sur le bagne. La BD sert de documentation. C’est amusant.
Vos lectures, celles qui ont influencé votre décision de dessiner ?
Pour les auteurs, je dirai Chaland, Fred, Franquin, Greg, Will.
Les projets et vos envies après Paco ?
J’aimerais travailler sur un projet pour enfants, quelque chose de plus léger, rapide. J’ai mis sept ans pour les deux albums. J’ai dû arrêter un an pour des raisons de santé et ça m’a désarçonné. En plein Paco. J’avais beaucoup lu sur la criminologie, c’était lourd moralement. Avec Yeb scénariste avec qui j’ai déjà travaillée nous sommes sur une BD pour enfants. Je reviendrai ensuite vers un lectorat plus âgé. J’ai pris contact avec Stéphane Melchior, autre scénariste, et on commence à voir ce qu’on pourrait faire.
C’est curieux cette façon de travailler, une sorte de tango de séduction entre dessinateur et scénariste, avant de passer à l’acte ?
Oui, c’est vrai. J’ai travaillé sept ans avec Fabien comme si je vivais une relation amoureuse professionnelle.Je pense qu’on retravaillera avec Fabien sûrement. Sinon j’aimerais traiter d’Histoire, de voyages, aller ailleurs, loin, très loin. Mon seul but est de rendre le lecteur heureux avec mon dessin.
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