Émile Bravo vient de publier chez Dupuis la suite du Journal d’un ingénu. Bravo avait donné à Spirou un autre visage, celui d’un adolescent auquel il rendait son âme avant qu’il ne devienne le héros humaniste qu’on connaît. Émile Bravo projette Spirou dans la tempête, celle de la seconde guerre mondiale qui va frapper aussi la Belgique avec Spirou, l’espoir malgré tout. Il y aura quatre tomes au total. A Quai des Bulles 2018, ligneclaire.info a rencontré Émile Bravo qui a livré avec émotion et franchise quelques clés qui l’ont poussées à se lancer dans cette superbe aventure éditoriale et humaine. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
En 2013, vous nous confiez déjà que vous étiez très tenté d’enchaîner sur un autre Spirou après le Journal d’un ingénu ? Revenir sur la vie d’adolescent de Spirou qui n’est pas un héros mais quelqu’un de confronté, comme beaucoup d’autres à l’époque, à des situations d’exception ?
Depuis que je m’intéresse à cette période, il y a bien longtemps, je sais que je voulais comprendre ce qui s’était passé dans les années trente, quarante. Je demandais à mon père ce qu’il avait vécu et j’étais assez déçu. Idem quand je rencontrais des gens qui avaient vécu cette période. Il ne parlait pas de grand-chose en fait hormis la faim et la peur. Je me suis dit, c’est ça. Comme c’était aussi une période dramatique, on s’est tous posé la question de ce que nous, on aurait fait à leur place. Donc je voulais essayer de faire vivre la guerre en repensant à tous les témoignages que j’avais entendus, en imaginant qu’un gamin n’a pas de conscience politique et qu’une guerre lui tombe dessus.
Oui, sa copine, dont il est amoureux, est communiste et juive. Tout ce que déteste le régime nazi qui occupe la Belgique. Il n’en sait pas vraiment plus. Il découvre la réalité de l’occupation, de la guerre. Mais Spirou n’est pas un combattant violent qui peut tuer.
Mais il va lui arriver des aventures terribles. Il est confronté au pire. Il tombe aussi bien sur des gens bien que sur des lâches ?
C’est ça, des gens normaux, des gens qui résistent humainement dont le paysan qu’il rencontre pendant la débâcle, qui s’est reconstruit après 1918 car il a failli ne plus croire en l’homme après l’horreur de la Grande Guerre.
On se demande aussi dans ce Spirou, et ensuite, si Fantasio n’est pas le côté un peu noir du récit, un peu nunuche, naïf ?
Moi je dirais simplement naïf. J’ai repris ce Fantasio que Franquin faisait vivre, grand dadais, un peu snob idiot, gaffeur. Si il était comme ça dans les années cinquante, moi c’est avant. Donc avant qu’il ait une certaine conscience. Il ne peut être que pire. Mais il a bon fond. Il marche à l’instant. On est toujours surpris par ce genre de personnage et c’est ce qu’il faut à côté d’un Spirou vertueux.
De pire en pire. C’est normal, c’est la guerre. La situation arrive à son paroxysme. Pour en revenir à Fantasio, ce qui m’intéressait c’est que c’est lui l’adulte. Même crétin qui fait n’importe quoi dont la conscience n’est pas réveillée. Justement lui aussi, il va apprendre des choses à travers la guerre.
Il y aura combien d’albums au total ?
L’ histoire fait 330 pages. Je l’ai divisée en trois chapitres et une conclusion qui font quatre albums.
Est-ce que ce Spirou est votre grand œuvre comme je l’ai écrit ? Il y a une volonté énorme dans ces pages.
Je mets tout dedans. Je ne m’en suis pas rendu compte au départ. C’est le principe de la liberté totale. J’avais carte blanche. Je croyais que cela allait faire un album comme l’Ingénu. Il y avait tellement de choses à dire, à développer. Je ne parle même pas de la guerre mais des relations humaines. Le pire apporte parfois le meilleur.
Vous remettez à sa place tout le contexte, l’Église, les Rexistes, la position des Flamands ?
Oui mais il y a des gens bien. Il y a un curé qui lui est humaniste. Ce n’est pas un travail à charge et je vais jusqu’à la Libération. L’histoire se termine en septembre 1944. Ensuite il y a un épilogue qui se passe en 1945.
Comment avez-vous écrit cette histoire ? Vous l’avez bouclé ou enrichit au fur et à mesure ?
Non, je savais où j’allais. Je connaissais la grande structure. Ensuite je l’ai vécu au quotidien, j’ai passé quatre ans d’Occupation dans ma tête.
En 2013, vous étiez déjà sur des pistes précises ?
Oui et j’ai mis quatre ans à l’écrire. Je me suis mis dans la peau des personnages mais j’avais le canevas. Le prochain sortira dans un an en septembre. Et je me consacre qu’à ça. La promo me prend actuellement beaucoup de temps.
Ce Spirou est une BD adulte ?
Non, au contraire. Moi j’aurais aimé la lire à huit ans, qu’elle réponde à mes questions. Je me souviens de gens, perdu dans leur village, qui n’avaient pas vu d’Allemands pendant la guerre mais sentaient pourtant l’oppression.
Oui parce que Spirou va être confronté à la Shoah à travers le destin de ses amis peintres et de sa copine qu’il veut retrouver. Nous, on la sait en danger. A l’époque personne ne peut croire à la Shoah. Même à la Libération, on se demande si les gens ont compris. Aujourd’hui aussi quelques fois. Il y a évidemment le côté barbare du régime nazi. On tuait les gens mais le côté industriel, la planification on ne l’a comprise que bien après. Un état au service du nazisme.
C’est à la fois une œuvre explicative, de ressenti, qui permet de donner des repères ?
Bien sûr. Je tiens à répéter que mon Spirou s’adresse aux enfants. Plus tôt ils sauront ce qu’il s’est passé, mieux ils se comprendront et comprendront le monde dans lequel ils vivent.
Vous n’avez aucun autre projet en parallèle ? Vous êtes investi par votre travail, par cette histoire ?
Impossible de penser à autre chose tant que je n’ai pas fini. Au moins jusqu’à fin 2020. Oui, c’est mon âme. J’y mets toutes mes obsessions, mes doutes, mon humour pour désamorcer le côté dramatique. Je n’ai pas vécu la guerre mais je l’ai ressentie.
Oui. Il a fallu se plonger dans l’occupation en Belgique, différente de celle qu’a connue la France. Le peuple belge s’est comporté de façon assez exemplaire. C’est le seul pays où un train qui partait pour Auschwitz a été arrêté par la Résistance qui ont libérés les déportés. La France s’en était remis à une sorte de vieux père Noël. Il fallait trouver des coupables à une telle défaite pour cette France tombée de son piédestal. Donc les Juifs, les communistes. Comme aujourd’hui, ou au lieu de se soucier de la cause de la crise, on s’attaque aux conséquences et on stigmatise des gens. Donc c’est le système capitaliste qui a généré le fascisme ou le stalinisme qui ont mis en fait au pas l’économie. Quand on parle des migrants, on s’en prend à eux comme aux Juifs, comme les Ottomans aux Arméniens. Toujours le même système, le complot. Et des pauvres gens sur qui on se défoule. Il faudrait grandir et c’est pour ça que je l’ai fait maintenant ce Spirou. Il parle de la nature humaine, il dit qu’il faut travailler sur soi. C’est plus de la psychanalyse que du militantisme. Le pire ce ne sont pas les autres, c’est nous. Si on était né dans les années vingt en Allemagne, on aurait eu toutes les chances d’être nazi, endoctriné.
Restons optimistes pour finir.
Absolument, il y a toujours le petit recul qui nous permet de rire. Car, parmi le travail à accomplir sur soi, il y a aussi l’autodérision. Il faut rire de soi chaque matin quand on se regarde dans la glace.
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