Un album intelligent, novateur, qui fat découvrir un Monet inconnu, celui de ses débuts, les vaches maigres, bien avant Giverny et les Tournesols. Le maître de l’Impressionnisme se dévoile dans Monet, nomade de la lumière (Le Lombard), en teintes pas toujours douces. C’est Efa au dessin et Salva Rubio qui ont su lui redonner sa jeunesse, montrer sa passion la peinture, intégrer son talent à leur récit qui fait de cet album l’un des plus brillants du moment. Monet avant Monet, avec les deux auteurs espagnols, ligneclaire a essayé de percer le ou les mystères d’un génie de la peinture pendant le dernier Salon du Livre. Propos recueilli par Jean-Laurent TRUC.
Pourquoi, Salva Rubio et vous Efa, avez-vous voulu faire découvrir qui était Monet avant le mythe de l’homme de Giverny, Monet le révolutionnaire, le créateur ?
Rubio : J’ai toujours été Fasciné par Monet. J’ai étudié l’Histoire de l’art et je me suis demandé depuis longtemps comment raconter son histoire mais ses débuts surtout.
On aurait pu rester à une vision classique et connue.
Efa : Justement non parce que nous aussi on méconnaissait le personnage. Monet, c’est pour tous un vieil homme dans son jardin, la barbe blanche. On voulait savoir comment il en était arrivé là, ses efforts, le temps qu’il a mis. Un sacré voyage qu’il a fait. Comme personne ne le savait vraiment cela nous a semblé intéressant de le raconter. Un voyage dans la misère aussi et une passion dévorante.
Monet va être pauvre, aller au bout de lui-même. On découvre qu’il est entouré de grands noms de la peinture mais aussi rejeté.
Rubio : C’est toujours ma passion de l’Histoire de l’art. Il était naturel de me plonger dans des livres sur sa vie. Il y a des peintres comme Van Gogh ou Lautrec qui sont dans l’imaginaire collectif tels qu’ils étaient vraiment, sans surprises. Monet, sa vie a été passionnante et si méconnue.
Pourquoi ne garde-t-on à l’esprit que la vision de Monet à Giverny ?
Efa : Il y a une explication. On s’arrête nous quand il arrive à Giverny. Il est alors reconnu et finalement c’est moins fort narrativement tout en étant l’image que l’on garde de lui. Intéressant oui, encore, car il est le grand Monet. Ce qu’on montre c’est comment il le devient, ses choix intransigeants. Il rêve jeune de devenir célèbre, un bourgeois. Mais la genèse de son génie, sa jeunesse, ce sont ses vrais combats.
Monet ne fait pas de concession ?
Rubio : Il ne se trahit jamais. Il va au bout de tout. Sa femme meurt. Il est reconnu puis rejeté par l’art officiel. Il a une histoire assez romanesque mais une vie très compliquée. C’est le créateur de l’impressionnisme envers et contre tout, un chef de file mais il n’a pas d’argent et d’autres comme Degas sont célèbres bien avant lui.
Efa : À ses débuts l’académisme est de règle. On met le sujet en avant. Il faut être précis, littéraire, en peinture. C’est le plus important. Lui, le sujet il s’en moque, c’est une excuse. Seule la lumière prime. Il y a eu des moments de sa carrière où il a arrêté de peindre des sujets humains. Il privilégie la lumière qu’il y a entre lui et le sujet. Ce ne sont même pas des paysages à ses yeux.
Rubio : Il réinvente ces paysages. Il importe la lumière, les couleurs.
Vous avez voulu, et su, intégrer l’esprit de Monet dans l’album. Vous avez presque adopté ses tableaux.
Efa : C’était l’intention dès le début mais un risque car je travaillais en couleur directe à la gouache. Il fallait oser avec des coups de pinceaux, de peinture. C’est la seule façon de raconter la vie de Monet qui attrape à coups de pinceaux la lumière. On a essayé de s’approcher de son travail en ayant du respect pour l’histoire et pour lecteur. Monet c’est presque de l’abstrait, des masses de couleur qui ne sont pas narratives. On est parti de son travail pour raconter sa vie quotidienne.
Il a une forte ambition personnelle et picturale. On le sent frustré dans sa jeunesse. Pour les autres peintres il est un peu gênant.
Rubio : Il veut à tout prix arriver mais sur sa seule vision de ce que doit être la peinture. Quand il est dans la misère il est incapable de trouver un autre travail même pour donner à manger à sa famille. Pour Degas par exemple. Degas et lui étaient en compétition. Degas n’a pas hésité à être académique pour percer.
Monet est un peintre atypique.
Efa : C’est le peintre le plus célèbre au monde. Picasso est connu mais sa peinture n’est pas comprise par tous. Alors que Monet, on dit de suite que c’est beau.
Rubio : C’est une discussion intéressante car c’est relatif. Picasso était plus people, Van Gogh est plus aimé. Monet est le peintre le plus envoûtant et agréable. Ses peintures sont paisibles, jamais sombres.
Comment vous avez fait pour obtenir un album aussi fort ?
Rubio : C’est l’amour (rires).
Efa : Le projet, c’est l’éditeur qui nous l’a présenté car il pensait que mon dessin était bien pour le récit. J’ai pu me projeter dans le projet. On ne m’a pas simplement demandé d’illustrer une BD sur Monet. On a discuté à deux l’approche, le rythme narratif.
Rubio : On a fait un story-board précis et on a trouvé les bonnes solutions mais on ne se connaissait pas avant.
Il y a depuis une complicité entre vous ?
Efa : Je connaissais déjà un peu la vie de Monet. Rubio a trouvé quelqu’un avec qui il pouvait dialoguer sur un projet qui allait durer plusieurs années . Il vaut mieux être sur la même longueur d’onde, avoir une certaine complicité effectivement. Dès le départ on savait où on allait.
Rubio : Dès la première page on a pu échanger. On faisait un livre qui devrait être pris en mains par les lecteurs. Ce n’est pas notre ego mais notre histoire qui était prioritaire. On a trouvé le juste milieu. Je racontais une histoire où il fallait qu’il y ait une évolution du trait par rapport à la narration.
Efa : Ce n’était pas évident. J’ai dû apprendre le sujet et la technique, que ce soit nouveau, surprenant, une vraie prise de risques. Il fallait assimiler les tableaux de Monet. Mon apprentissage repose sur 70 pages pour en arriver là. J’ai travaillé sur un format à la taille des pages de l’album pour garder le bon coup de pinceau, précis.
Avec votre album on est avec Monet avant Monet.
Efa : Vous êtes le premier à dire cela. Ce n’est pas une biographie habituelle.
Rubio : L’important est le contenu émotionnel. Il a un côté sentimental mais l’amour c’est au second plan. La peinture passe avant tout.
Efa : Il dit à Clemenceau qu’il a été un égoïste, sa femme est malade , ses enfants affamés, Mais la peinture avant tout. Quand il vend des toiles il dépense mais il revient toujours à la peinture. Dans l’histoire de la vie d’un génie on doit voir le créateur mais aussi les gens qui l’entourent.
Il a quand même un côté un peu noir ? C’est lui le narrateur en voix off.
Efa : Il était bien conscient à la fin de sa vie de cela. Il y a une grande solitude chez lui, des regrets.
Rubio : La voix c’est comme un voyage qui ajoute au côté narratif. A la fin du voyage quand il se repose c’est ce dont il se souvient que je raconte. Où est arrivé le personnage à la fin de sa vie quand la lumière baisse.
Efa : Un des objectifs était de faire découvrir l’être humain derrière ses peintures.
Vous avez presque inauguré un genre narratif. Et après ? Vous allez poursuivre dans la même veine ?
Efa et Rubio : On a des projets ensemble et on va bientôt signer un autre album, la jeunesse d’un personnage célèbre qui joue de la trompette. Au Lombard j’ai un projet dans un autre univers. On fera peut-être un autre peintre, l’approche d’une vie très différente, un peu l’opposé de Monet. On attend de voir comment Monet marchera.
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