Nestor Burma reprend du service. Jacques Tardi l’a envoyé enquêter dans le XXe arrondissement, où il habite. Plus pratique pour les repérages. Une affaire de famille entre cochonnailles et médicaments bizarres. Pour ce Rififi à Ménilmontant, Tardi a aussi changé le format de son album, est passé à celui d’un comics, évolution qui lui tenait à cœur. Jacques Tardi s’est confié à Ligne Claire à qui il avait en fait annoncé depuis longtemps ce rififi qui rend aussi hommage au polar français sur grand écran des années 50. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Jacques Tardi, avec Du Rififi à Ménilmontant, le XXe arrondissement de Paris est aussi un héros de ce Burma ?
Oui j’ai fait des repérages dans le XIIIe de droite à gauche à l’autre bout de Paris, certes un plaisir, mais comme j’habitais dans le XXe autant rester près de la maison. Surtout parce que Malet n’a pas terminé ses nouveaux mystères de Paris et n’a jamais le fait le XXe.
Malet vous a donné ses personnages.
Oui mais pour la BD exclusivement mais pas d’écriture, pas de roman. Donc j’ai Burma, le journaliste, le flic, la secrétaire.
Dans cet épisode, on est dans une histoire de famille à multiple facettes. Boucherie en gros, médicaments douteux, expérimentations animales, des meurtres en série, où avez-vous trouvé cette association de malfaiteurs ?
Cette histoire je l’avais commencée sans penser au XXe mais j’avais dessiné les quatre premières planches il y a une quinzaine d’années. J’avais laissé tomber et étais resté avec Burma enrhumé plus un Père Noël dans la rue. Je ne savais pas où j’allais. Je suis retombé sur ses planches en rangeant et j’ai décidé de continuer sans rien de plus en tête.
Comment est donc apparue cette brochette de personnages atypiques ? On est en 1957 et vous faites référence au film de Dassin sorti en 55, Du Rififi chez les hommes de Dassin tiré d’un roman d’Auguste Le Breton qui en signe les dialogues ?
Ce qui a déclenché cette reprise c’est parce que je ne sais pourquoi j’ai revu ce film en DVD. La toute dernière séquence se déroule non loin d’ici avec un gamin qui joue au cow-boy dans une grosse voiture américaine. L’acteur Jean Servais meurt et la mère de l’enfant descend d’un immeuble qui existe toujours. J’ai glissé la scène dans ce Burma. Il y a un contre champ avec un café dans l’angle qui a disparu. J’ai réutilisé cette façade pour reconstituer le quartier, redonner la topographie des lieux à cette époque. La voiture dans le film s’arrête devant le café en évitant un passant. Ce qui va arriver à Burma. L’idée était de parler des abattoirs, de la souffrance animale, comment on se sert de façon horrible d’eux pour tester les médicaments. Et puis il y a La Biture, ancien tueur des abattoirs et qui a sombré dans l’alcool d’où son surnom. Et il est passé par le Stalag II B. J’aime bien faire des liens d’une histoire à l’autre. Le passé des personnages ça les enrichit.
Il est passé par tous les états ce pauvre La Biture. On voit aussi une sorte d’abri souterrain où il va amener Burma.
Ce décor n’est pas dans le XXe. Ce sont des sous-sols d’un hôpital dans le XIVe. Il a été transformé en hôtel et je l’avais visité. J’avais pris plein de photos et il avait servi d’abri anti-aérien pendant la guerre. Je montre dans Burma la porte blindée d’accès. Tout le reste vous pouvez arpenter le XXe vous retrouverez les endroits.
Il cogite beaucoup Burma et souvent dans sa 203. Il tire toutes les ficelles pour dénouer l’intrigue. Vous avez fait un bon polar bien gratiné, bien mis en pages. Comment avez-vous travaillé ? Vous avez écrit l’intrigue d’une traite ?
Non le scénario est écrit de façon très lâche pour pouvoir injecter des éléments non prévus au départ. Sinon c’est ennuyeux comme parfois adapter un roman ce que j’ai fait avec Manchette ou Malet. C’était bien mais je connaissais la fin de l’histoire. Ce qui m’intéresse c’est d’avancer avec Burma qui arrive à tel endroit, fait face à un élément perturbateur. Comment je vais l’utiliser, ou pas ? Est-ce que j’ai raison de l’utiliser ? Oui, non, surtout pas parce que ça va m’entraîner je ne sais où.
Vous avancez en faisant des choix, sur une base posée mais que vous pouvez remettre en cause. Les Pères Noël vous les aviez ?
Oui j’en avais un dans les pages retrouvées et cela se passe juste avant le 25 décembre. Comme dans le film de Clouzot avec Jouvet qui joue un flic, Quai des Orfèvres qui se termine le soir de Noël.
Le format de l’album est réduit.
Il faut revenir en arrière. J’avais fait un truc très mauvais qui s’appelle Une Gueule de bois en plomb, bâclé. Surtout à ne pas rééditer. C’est le premier album que j’avais fait avec l’autorisation de Léo Malet dans le cadre de la BD. Il avait paru dans A Suivre et je n’avais pas d’avance. Il fallait fournir des pages tous les mois. Je n’en étais pas content. Mais j’avais envie de revenir sur un petit format comme celui de cet album, le format des comics. J’aurais aimé qu’à cette époque Casterman fasse une collection de comics mais ils n’y ont pas cru. Je trouvais ça bien car l’album grand format donne un côté solennel qui n’a pas lieu d’être. Je ne voulais pas rester sur ma faim donc j’y suis revenu avec Du Rififi à Ménilmontant trente ans plus tard.
Cela vous oblige quand même à changer le découpage dans votre page. Il y a trois à quatre cases par page. Cela vous a contraint à modifier votre style ?
Le dessin est beaucoup plus relâché, les images sont plus grandes. Le côté un peu croquis qui ne rentre pas dans tous les détails cela me plaît. Est-ce que l’histoire vous a paru cohérente ?
Absolument, on est en plus surpris, bluffé. Les trois Pères Noël, les turpitudes familiales avec l’autre type bouffé par les cochons…
Tant mieux. Je me balade, il y a un café, je rentre boire un verre et tout d’un coup le décor peut m’inspirer. Une chose qui a disparu c’est cette trappe qui s’ouvrait devant le comptoir pour monter les caisses de bouteilles de la cave. Aussi en parallèle avec Du Rififi pour les hommes. Au fait dans la présentation j’ai oublié et je m’en veux, de nommer Auguste Le Breton qui a écrit le roman et les dialogues du film. Il y a également des références à un autre film, Ballon Rouge qui a été tournée dans le quartier. Par bribes avec ces deux films on peut reconstituer un peu les lieux. Tout a été démoli dans ce coin. J’adore aussi trouver des photos chez Doisneau, Ronis. Il y a des coins qui n’ont pas bougé. D’autres ont disparu mais j’aime redonner sa forme d’origine au quartier. J’ai mis beaucoup de temps à retrouver la façade du cinéma qui s’appelle le Ménil Palace rue de Ménilmontant aujourd’hui un supermarché. Il me manquait la typo du nom. Il y avait des tas de cinéma dans ce quartier.
Il y ces fameux médicaments miracle que l’on trouvait beaucoup à l’époque dont ceux fait par votre Manchol dans le Burma.
Alors ce médicament apparait déjà dans Griffu qui tourne autour du trou des Halles. Il y a un couple âgé chez eux et sur un étagère un tube de Manchol. Manchol pour Manchette scénariste de Griffu. L’industrie pharmaceutique actuelle semble encore employer l’expérimentation animale. Je me souviens d’un type dans un reportage qui travaillait à ça dans un laboratoire. Il expliquait que c’était nécessaire pour des onguents absolument pas de première nécessité. Et ce type parlait de certains de ses collègues qui n’osaient pas dire le métier qu’il faisait.
En prime Manchol il se sert de cobayes humains rémunérés.
On y ajoute la chasse avec le père Manchol abattu pris pour un sanglier. Tout ça tourne autour des animaux, la violence.
C’est une écriture très Tardi dans le ton même si c’est un Burma d’après Malet. Pas piqué des vers.
C’est ce qu’il faut. Mais c’est toujours la fréquentation des cafés. Un jour j’entends, pas loin de chez moi un client qui dit dans un bar « un Père Lachaise ». C’est un café allongé. Comme on ne peut plus fumer à l’intérieur il n’y a plus de vie autour du zinc. Il y avait de grands moments.
Vous remettez aussi une couche à Thiers, à Foutriquet, donc enterré au Père Lachaise.
Je n’avais pas envie d’amener Burma au cimetière du Père Lachaise que j’ai si souvent dessin dessiné en particulier l’an dernier dans 20 ans en mai 1871. On passe devant un corbillard mais je ne voulais pas me laisser entraîner trop loin.
Il y a plein de voitures de l’époque, la 203 de Burma, une Vedette.
Mon père avait une 203 et un jour un monsieur débarque chez moi et il avait garé sa 203 mais j’avais terminé l’album. Dommage. Cela dit la 203 de Burma apparait dans d’autres albums. C’est très embêtant de dessiner derrière le conducteur. Il faut des photos, j’ai du mal à reconstituer le volume même de la voiture. La 203 n’était pas grosse. Elle ressemblait beaucoup à la voiture des officiers US à la fin de la guerre.
Vous avec mis en scène dans cet album énormément de gens connus, Dominique Grange, Pennac.
Tous les copains, Frémion, mes enfants. Les gens du quartier avec Passage Choiseul une boutique de matériel de dessin dont j’ai représenté le gérant. Il y a mon coiffeur, mon libraire. Des gens comme ce grand acteur Noël Roquevert, mon idole, le summum du Français râleur, superbe dans Les Diaboliques de Clouzot avec Signoret, Meurisse. Il y a des références à ce cinéma très riche. On n’est pas dans les films mangas. Vous vous saisissez ces références mais le public actuel je ne sais pas. Et je m’en fous. Qui se souvient de Noël Roquevert ? J’en parlais récemment avec de jeunes journalistes, je le leur montre. Inconnu au bataillon. Cela dit on ne doit pas avoir un raisonnement de vieux con.
Près de deux cents pages, on retrouve Tardi, Malet aussi. On est tenu par le suspens. C’est le dernier Burma ? C’est ce vous m’aviez dit.
Tant mieux. Le dernier ? Je n’en sais rien. Je ne sais pas. C’est ce que je dis à chaque fois.
Vous l’avez dit déjà avec Adèle.
Non mais Adèle c’est vraiment terminé. Burma tout dépend de l’histoire, du thème, du déclencheur. Je n’ai pas l’histoire au début mais si j’ai envie de dessiner tel coin, quartier. C’est comme ça que Malet procédait et vous pouvez démarrer une intrigue avec Burma. Pour l’instant je n’ai pas de projets tout courts, aucun.
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