Avec Yann, André Juillard avait signé Mezek (Dargaud). On était aux premiers jours de la naissance d’Israël. Des pilotes étrangers sont venus se battre sur des Bf 109 contre les Spitfire égyptiens. Cette fois, avec Double 7, le duo Yann-Juillard s’envole vers la Guerre d’Espagne pour une histoire d’amour, d’avions et aux nombreux détails historiques. Un pilote soviétique et une Républicaine espagnole sont les dignes successeurs de Roméo et Juliette. André Juillard revient en détails avec ligneclaire.info sur la génèse de Double 7. Un dessin superbe comme d’habitude, des planches originales époustouflantes. Et l’annonce par Juillard d’un nouveau tome de Léna avec Pierre Christin. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
André Juillard, vous allez devenir un grand spécialiste de l’aéronautique ? Vous avez fait un Mermoz (non publié), Mezek, dans les Blake il y a toujours des avions. Aujourd’hui vous sortez Double 7 avec la Guerre d’Espagne sur fond de guerre aérienne et Yann au scénario.
Pour l’aéronautique, c’est beaucoup dire. Le Mermoz, je n’ai aucune idée de là où je l’ai mis. Par contre, le sujet de la Guerre d’Espagne m’a toujours intéressé. C’est un épisode historique terrible qui m’a frappé par sa cruauté. Je connaissais plus ou moins. J’avais lu la BD de Giardino, Max Fridman, qui m’avait éclairée. Et puis il y a une sorte de légende qui s’est constituée avec les brigades internationales, Malraux, les soutiens ou pas des uns et des autres, les fascistes, l’URSS, le rôle de la France.
La France n’a pas eu un volontairement rôle majeur pendant la guerre. Son action a été surtout violente au moment de l’exode des Républicains en 1939, les camps de Rivesaltes, et Vichy qui a livré aux Allemands d’anciens combattants espagnols.
Oui. On attendait mieux de Blum, mais ils avaient tous la trouille d’une contagion politique européenne. Quand j’ai consulté la doc, il y avait matière, des avions, l’essentiel du soutien par les Soviétiques avec les fameux chasseurs Polikarpov, les tanks. On a plus approfondi l’ambiguïté de l’aide soviétique, avions, pilotes et un cargo qui embarque l’or espagnol vers l’URSS.
Et l’action d’une rare violence des commissaires politiques communistes qui ont éradiqué sur ordre de Staline anarchistes et socialistes.
Le but de Staline était une seule force en présence. Une tragédie avec une république élue, pas tendre non plus par son aspect antireligieux, le tout annonciateur de 1939. C’est le premier round où on teste le matériel allemand en particulier avec la Légion Condor italo-allemande. J’ai beaucoup appris en faisant cet album.
Plus, ce qui est la base de l’album, une histoire d’amour ?
Oui. La première version du scénario, Yann vous l’a dit, mettait en scène des personnages connus, Capa,Taro, Hemingway. L’histoire tournait autour d’eux. Moi je voulais une fiction. Je lui ai proposé un thème qui tournait autour de Roméo et Juliette. Je sortais du Blake et Mortimer qui concernait Shakespeare. J’avais revu pour cet album le Roméo et Juliette de Zeffirelli, très bien joué. Il y avait de quoi faire dans le style, avec les antagonismes républicains et franquistes, un aviateur russe et une Espagnole du côté opposé, anarchiste mais républicaine. Une franquiste cela aurait été compliqué. Yann a repris son scénario et j’y ai cru.
Histoire d’amour, Guerre d’Espagne mais histoire d’aviation ? Des combats aériens et plus d’action dans les airs que dans Mezek ? Compliqué ?
Oui et non. J’ai acheté des petites maquettes de Polikarpov et une documentation illimitée sur le web. Pour les combats aériens, j’aime bien dessiner les avions de cette époque, très pittoresques, mais je ne suis pas un grand spécialiste. J’ai essayé de trouver de la logique dans ces combats mais il semble que c’était la pagaille dans le ciel. Donc j’ai cherché des compositions, des angles pour que ce soit crédible. J’ai regardé Mourir à Madrid de Rossif. J’aurai aimé revoir le film de Ken Loach, Land and freedom, aussi pour la doc mais impossible de le trouver.
On voit aussi du Stuka, du Me 109, des Junker, des bombardiers italiens.
Yann, c’est lui le spécialiste. Les Allemands ont envoyé les premiers Me 109 qui ont assuré ensuite la suprématie aérienne aux Franquistes. Mais ce n’est pas tout le sujet. Il y a la vie de l’escadrille du Double 6, cosmopolite, qui a existé. Sur une photo on voit les impacts sur le domino peint sur la dérive d’un Polikarpov qui transforme le 6 en 7. C’est vrai. Yann est très précis sur ce genre de détails. Il y a trois pilotes dans l’album, le Russe, Ajax l’Américain, Dary le Français, un Mexicain aussi. Ce sont des mercenaires mais certains sont restés ensuite par conviction. Il y a Orlov qui part avec la caisse. Il a aussi existé car souvent les Russes qui repartaient au pays étaient exécutés pour déviationnisme. On a un mélange très varié de personnages authentiques comme le tueur en uniforme républicain qui agresse des religieuses. Sans oublier la répression franquiste qui a duré longtemps après.
La base historique était aussi forte dans Mezek. Elle est importante pour vous ?
Oui. Je n’ai pas envie, Yann non plus, de raconter n’importe quoi. Ce sont des personnages plus vrai que vrai.
Et on garde le suspense jusqu’au bout. Chacun pourra choisir sa propre fin.
La fin a en fait posé un problème car les juristes de l’éditeur ont soulevé le droit à l’image de la représentation des œuvres d’art. On termine sur le tableau de Picasso, Guernica. Il fallait que ce soit des morceaux du tableau, pas l’intégralité selon les souhaits de la fondation Picasso. En fait, j’avais dessiné une grande case en perspective où on voyait Guernica entièrement. C’est immense. J’ai dû refaire le strip. Et là le mystère reste entier. Mais on n’en dit pas plus. Fallait-il aller au bout du mythe de Roméo et Juliette ? Aux lecteurs de voir. Avec cette histoire de Guernica, il fallait peut-être trouver autre chose. Mais Yann tenait à sa fin qui n’a pas été évidente à mettre en scène.
Revenons sur la façon dont vous avez travaillé avec Yann. Vous n’avez pas eu le scénario en une fois ?
Non, en deux fois mais avec un synopsis avec une fin assez floue. Je préfère un scénario terminé mais avec Yann je ne me fais pas de soucis. Il y a souvent des corrections de dialogues mais il intervient peu dans le dessin. Pour un oubli de détail parfois, et il est toujours super enthousiaste. Je suis impressionné par sa rigueur et c’est sécurisant. Quand je fais une BD avec des éléments historiques très forts j’espère qu’elle va susciter la curiosité mais je n’aimerais pas qu’on donne de fausses infos pour le plaisir de la fiction.
Avec Double 7, on va redécouvrir un conflit même si il est de plus en plus souvent traité en BD, une guerre civile terrible, la répétition de 1939.
Le sujet n’est pas traité dans Double 7, mais ce qui me navre c’est l’accueil qu’on a fait aux réfugiés espagnols en 39, ce dont vous parliez tout à l’heure. Quand j’étais gamin j’habitais une petite ville de Corrèze où il y avait des réfugiés qui avaient été assez bien accueillis. Et qui se sont rapidement intégrés. Il y en avait un qui était un cycliste qui gagnait des courses. Mais à leur arrivée, ils ont été parqués, trahis.
C’est un sujet porteur qui devrait être bien reçu. Vous avez d’autres projets avec Yann ?
Pas pour le moment. Il m’a parlé d’un sujet qu’il faut que je lise sur la guerre d’Algérie, l’OAS. Je ne sais pas, si ça me plait, quand je pourrais le faire. Je suis actuellement sur un nouveau Lena avec Christin que j’ai commencé. J’aime bien ce personnage. Au départ, Pierre voulait faire un chapitre pour une intégrale. A y être, je lui ai dit faisons un album. C’est le troisième qui se passe de nos jours, un huis clos dans une conférence internationale pour remodeler le Moyen Orient.
Vaste programme.
Jusqu’à présent cela n’a pas été une réussite mais il y a dans l’album des gens de bonne volonté, pas tous, pour refaire la carte du Moyen Orient.
Et après ?
J’avais repris les Sept Vies de l’Épervier que j’avais arrêté faute de scénario. Cothias a réapparu il y a deux ans et m’a donné la fin de l’épisode, puis deux autres. Mais j’ai calé car j’aimerai bien écrire un scénario moi-même. Une histoire dans le genre du Cahier Bleu mais se situant au XVIIIe siècle aux alentours de la Révolution. Pas une BD historique. Je n’ai plus vraiment envie de faire du contemporain. Yann m’avait proposé aussi une bonne histoire sous l’Empire mais qui tournait au fantastique et ce n’est pas mon truc.
Blake et Mortimer ?
On a un projet avec Sente dans deux, trois ans. L’idée, en deux mots, d’une histoire qui tournerait autour de la légende du roi Arthur en Cornouailles. Olrik serait le personnage central de l’histoire. On a posé des jalons avec un cahier des charges, de l’action et les héros très présents. Dans le dernier j’ai été frustré. On voit Blake et Mortimer au début et ensuite pendant vingt pages ils disparaissent. C’est plaisant à dessiner mais frustrant (rires).
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