Olivier Dobremel, dit Dobbs, est un scénariste infatigable. Enseignant dans l’Hérault en Histoire du cinéma il a préféré se consacrer totalement au scénario et plus particulièrement à la BD. Scotland Yard, Alamo, Les Mines du roi Salomon, Dobbs aime l’action, le fantastique, la science-fiction et même l’horreur. Il a signé un des albums consacré à l’adaptation des romans de Stefan Wul chez Ankama mais c’est avec H.G. Wells qu’il est aujourd’hui sur le devant de la scène. Dobbs a adapté quatre des plus célèbres romans de l’auteur britannique pour une collection en six tomes chez Glénat. Rencontre avec Dobbs sur les traces d’un Wells auteur fantastique mais aussi politique. Propos recueillis par J-L. TRUC.
Qui a eu l’idée initiale, Dobbs, de cette collection H.G. Wells ?
J’ai pris contact avec Glénat. Je leur ai dit que j’étais disponible et avais des projets. Cédric Illand, éditeur chez Glénat et qui édite Ils ont fait l’Histoire, m’a parlé d’adaptation, de nouveautés. J’avais en tête depuis longtemps le projet de travailler sur La Guerre des Mondes. Wells est l’un de mes auteurs favoris comme Wul qui lui-aussi m’a permis de mener à bien un autre projet avec Olivier Vatine dessiné par Perger, Odyssée sous contrôle, chez Ankama.
Vous êtes un scénariste tout terrain ?
Je me consacre au scénario en général, que ce soit audiovisuel ou autre tout en me focalisant aujourd’hui sur la BD et les livres. Un jour je vais replonger dans l’histoire du cinéma, en particulier des effets spéciaux. Mais pour moi le langage BD et cinéma fonctionnent en simultané. Je suis sur un projet d’une histoire du cinéma thématique avec une part consacrée aux effets spéciaux. On est en train d’en voir de plus près les détails avec l’éditeur.
Pour revenir à votre actualité, l’adaptation de quatre célèbres romans de H.G.Wells, ce n’était pas évident. On est dans un univers très connu avec ces titres, que ce soit grâce au cinéma ou à la télévision.
Oui, ce ne sont pas des découvertes. On voulait se focaliser sur quatre œuvres fondatrices et qu’il y ait une unité. Dans la Machine à explorer le temps ( et pas à remonter, erreur courante) il y a des vrais bonds dans le temps. L’explorateur n’a pas de nom. C’est une sorte d’utopie ou de contre utopie, pas une uchronie. Wells fait une critique sociale de son époque, la fin du XIXe siècle en Angleterre et en Europe, la colonisation et la révolution industrielle. Il montre le front social et les travers de la civilisation humaine. Les Morlocks de La Machine, dans notre futur qui vivent sous terre ont un côté créatures de l’ombre au sens métaphorique et à la surface on est dans le dilettantisme, le plaisir. Ils sont jeunes et beaux. Mais où sont les tombes de cette jeunesse souriante qui ne vieillit pas ? Il y a une découverte de l’horreur bien sûr. C’est un sentiment très fort chez Wells. On le voit aussi avec L’Île du Docteur Moreau, autre adaptation BD dans la collection.
On peut en BD mélanger La Machine à remonter le temps et le Piège diabolique de Jacobs ?
Oui, mais Jacobs est plus feuilleton. J’ai adoré lire et relire les Blake mais je suis un peu moins fan par exemple de La Guerre des Mondes illustrée par Jacobs.
La Guerre des Mondes est le plus violent des romans de Wells ?
Oui car le héros vit l’action contrairement à La machine où le héros est témoin. La Guerre des Mondes, c’est au début l’horreur individuelle, puis perdre l’être cher, la recherche des disparus et enfin survivre. Dans le tome deux puisque ce sera un diptyque, on est à Londres. Les créatures sont déjà là, aucun moyen de les arrêter. C’est une invasion. Et puis, on s’en souvient, il y a l’adaptation radiophonique de Orson Welles et plus récemment le film à grand spectacle avec Tom Cruise de Spielberg. Un père de famille raté, la quête de l’enfant. J’ai le plus possible collé au texte du roman tout en prenant des libertés. La fidélité est au cœur même de l’adaptation. On a économisé par contre sur certains descriptifs.
Pour L’Homme Invisible on se souvient du feuilleton TV en noir et blanc.
Il y a eu beaucoup de versions mais ce qui m’a intéressé dans L’Homme Invisible c’est par contre le côté voyeur du film de Verhoeven. Dans la série TV c’est un gentil du côté du bien mais à la base dans le roman c’est tout le contraire. L’Homme invisible est un scientifique qui s’est marginalisé. Il est devenu un fou dangereux. Tout l’univers de Wells en fait est noir. Dans La Machine à explorer le temps ou La Guerre des Mondes, on assiste à des horreurs contre l’humanité qui elle-aussi, à cette époque a, en général pour les pays riches, une attitude répressive dans bien des pays dominés.
Cela a été difficile d’adapter en BD des textes aussi pointus, très écrits ?
J’avais déjà eu ce problème avec Les Mines du Roi Salomon. Il faut garder un cap, pour moi assez cinématographique, apprendre à la jeune génération ce qu’est Wells, moderniser. Les temps un peu morts devaient être écartés pour garder un rythme soutenu à l’ensemble.
Comment avez-vous vécu cette aventure et avez choisi les dessinateurs ?
J’ai eu carte blanche dès le départ pour la mener à bien. D’abord on a décidé d’adapter La Guerre des Mondes et ensuite est arrivé l’idée de la collection Wells. Au fur et à mesure après le choix de Cifuentes pour le dessin, mon éditeur chez Glénat m’a demandé si j’avais des idées pour d’autres dessinateurs. Que ce soit Moreau, Regnault, Fiorentino, je connaissais la plupart et il n’y a pas eu d’appels d’offres ou de sélection.
Comment livrez-vous vos scénarios, complets ou en « tranches » ?
Je suis très précis dans mes histoires. Ce sont en fait des storyboards écrits, très découpés. On parlait du cinéma mais mon scénario est prêt à être storyboardé au dessin, avec des panoramiques, les transitions de page à page. Ensuite avec le dessinateur on est dans le rapport classique des propositions, des aller-retour de planches. Mais j’aime finir mon scénario avent de le livrer. Je le complète avec des rappels cinématographiques, des idées de plans. Dans La Machine à explorer le temps il faut absolument avoir un concept de la fin pour bien traiter la totalité de l’album.
Quel est le programme éditorial de la collection Wells chez Glénat ?
La Guerre des Mondes 1 par Cifuentes et La Machine à explorer le temps par Moreau paraissent en janvier, puis en mars La Guerre de Mondes 2 et L’Homme Invisible 1 par Regnault . Enfin en juin paraîtront L’Île du Docteur Moreau dessiné par Fiorentino et L’Homme Invisible 2. Il fallait que sur six mois les albums soient publiés. Mais c’est une aventure qui a commencé il y a plus de deux ans.
Wells n’est pas très drôle comme auteur ?
Certes. Il n’y a pas d’humour si ce n’est de l’ironie dramatique. Les Anglais sont envahis dans La Guerre des Mondes et c’est une critique sociale du pouvoir royal en place théoriquement invincible. Ils sont impuissants devant les envahisseurs venus de l’espace. Mais le trait un peu comics du dessin évite un réalisme extrême. Il est assez doux. Il y a aussi des rajouts de ma part, des clins d’œil comme le sergent qui salue avant d’être désintégré.
Verne est plus prospectif, plus feuilletonesque. J’adore 20 000 Lieues sous les mers. Nemo a un côté terroriste. Dans les autres romans de Verne ont est dans l’aventure avec une projection technologique. Même si on retrouve la possibilité chez Wells d’une version feuilleton dramatisée et rendue crédible par Orson Welles dans son émission radio avec La Guerre des Mondes.
Il est rare aujourd’hui qu’un éditeur sorte six albums d’un coup.
Oui, c’est une collection dédiée pas une collection concept qui se légitimise. Dans La Guerre des Mondes il y a une progression. Idem pour L’Homme invisible qui à la fin du tome 1 montre bien que le scientifique est un criminel et ouvre la porte à un tome 2 dramatique. Pour ne pas perturber l’adaptation, j’ai mis de côté mes souvenirs cinématographiques et je me suis consacré au texte. C’est vrai qu’il y a beaucoup de descriptifs qui flirte avec l’horreur. La souffrance humaine est au cœur de l’œuvre de Wells. Donc pas de possibilité d’humour encore une fois mais de l’espoir, oui. On a fait de beaux albums, de la SF un peu rétro. Cela allie le côté ancienne collection et la modernité de traitement.
Qu’avez-vous comme projets ?
Me reposer un peu car cela a été beaucoup de travail car j’étais encore enseignant au début du projet. Ce que je ne suis plus. Cela a été un crève-cœur mais je ne pouvais plus mener de front les deux. Un livre sur le cinéma et des projets BD en attente encore pas signés. De l’adaptation encore sûrement et des choix thématiques dont les synopsis sont écrits. Mais pas encore de dessinateurs. J’ai déjà aussi des choses en tête pour les dessinateurs de Wells. Je ne ferai pas de Bécassine (rires). Sur les six prochains mois cela devrait se concrétiser. Je suis bien chez Glénat. J’ai refait mes preuves sur six albums et j’ai vraiment confiance. J’ai aussi scénarisé un album sur François 1er pour la collection Ils ont fait l’Histoire chez Glénat. Je viens juste de finir de l’écrire.
J’aime l’écriture visuelle que ce soit en BD, cinéma, pub. En BD on peut s’offrir des épopées à peu de frais.
Quel lecteur de BD êtes-vous ?
Cela dépend des époques. Ado je lisais des classiques, Tintin, Léonard, Les Tuniques Bleus et des albums qui n’étaient pas de mon âge comme Le Vagabond des limbes. Ensuite je suis passé aux comics. J’avais beaucoup de BD qui ont mal fini. Je suis un fan de Blacksad de Guarnido, de Moore. J’aime relire Goscinny car il y a tout dans ses scénarios. Je replonge régulièrement dans Adèle Blanc-Sec de Tardi car là aussi il y a tout ce qu’il faut à mes yeux dans le scénario.
La Machine à explorer le temps, Glénat, 14,50 €
La Guerre des Mondes, Tome 1, Glénat, 14,50 €
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