Classé parmi les plus grands et meilleurs ouvrages de langue anglaise, référence immédiate à tout dérapage mondial comme en mars dernier la pandémie, vision dit-on incontournable d’un demain qui serait déjà au présent, 1984 d’Orwell est un titre que beaucoup cite parfois sans l’avoir lu. C’est une sorte de drapeau noir qui flotte sur une marmite prête à exploser à la moindre occasion. Adapté sous toutes les coutures, inspirants auteurs des plus variés de Bowie à Terry Gilliam ou Guy Delisle (ou le génial V comme Vendetta), cette vision terrifiante montre un monde post-apocalyptique sous contrôle politique total. Des guerres atomiques ont laissé trois blocs face à face. 1984 a été écrit en 1949. Et donc héritier d’un passé réel plus que visionnaire d’un futur possible. Encore que. Jean-Christophe Derrien a scénarisé sa version de 1984 dessinée par Rémi Torregrossa. Big Brother aura-t-il la peau de Winston Smith ? La réponse on la connait mais ce qui est attirant dans cette mise en cases est avant tout la parfaite clarté du propos traduit du texte d’Orwell. Ce qui déjà n’était pas évident. Parution le 6 janvier.
Londres dévasté, on est à priori en 1984. Winston Smith est dans le moule comme tous les citoyens. Il tient pourtant un journal, fait une sorte de résistance et travaille au Ministère de la Vérité où il réécrit dans le bon sens, celui dicté par l’état, l’histoire du pays. Chaque jour il croise une jeune femme Julia, pendant la séance de haine contre Goldstein et d’amour pour Big Brother, chef suprême. Winston pense aussi que O’Brien pense comme lui, qu’il haït le système. Mais si la police de la pensée trouvait son journal il serait éliminé. Sa voisine lui demande de l’aide pour réparer une fuite et Winston peut voir comment ses enfants totalement sous contrôle de B.B. la dénonceront sûrement un jour. Le pays est en guerre permanente et Winston continue à réinventer un passé alors que même le langage est épuré, nettoyé, aseptisé.
Tout se tient dans 1984 qui est très marqué par une dénonciation du régime soviétique des années 50, auquel Orwell a ajouté des retours vers l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste. On le voit en particulier dans l’éducation des enfants ou la négation de la réalité historique. Il y a aussi les médias qui sont en fait des relais du pouvoir et servent à pénétrer dans l’intimité de tous, la fin de l’amour et des sentiments, l’absence désormais de libre arbitre, les jugements sommaires, l’élimination après la rééducation intellectuelle à la chinoise. Il est évident que 1984 et sa nouvelle adaptation en BD flanque la trouille si on ne pense qu’aux réseaux sociaux par exemple, le pistage sur le web. De là à dire que nous y sommes, même si on peut mais c’est un peu simple, y trouver des signes prémonitoires, il y a un monde. 1984 n’a pas été publié en 1920 dans quel cas il eut été vraiment visionnaire. Il n’en reste pas moins un tremplin pour éviter que ce qu’il montre puisse se répéter à notre sauce. Toute la structure de l’album, qualité du dessin comprise, est remarquable par ailleurs.
1984, Soleil éditions, 17,95 €
On retiendra aussi que d’autres versions BD de 1984 sont programmées dont une de Xavier Coste chez Sarbacane et une autre de Fido Nesti chez Grasset. C’est ce qui s’appelle se bousculer au portillon mais on ne les a pas lu.
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