Les Grandes Batailles Navales vont revivre sous la direction de Jean-Yves Delitte, spécialiste des beaux navires. Glénat se lance avec lui dans une nouvelle collection qui, de Trafalgar à Midway, va nous faire sillonner les océans. Peintre officiel de la Marine, Delitte (U-Boot, Black Crow, Le Sang des lâches) signe la plupart des scénarios, dessine plusieurs albums. On retrouvera à ses côtés, dans l’équipage à la manœuvre, Gine, Adamov, Béchu ou Seiter. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC. (Cet article a aussi paru dans le numéro de mars de ZOO).
Jean-Yves Delitte, comment vous-êtes vous embarqué dans cette aventure encore une fois maritime ?
Il faut toujours rendre à César ce qui lui appartient. C’est Philippe Haury chez Glénat qui m’a soumis l’idée de lancer une nouvelle collection sur les grandes batailles navales. Il trouvait dommage que le spécialiste maison en la matière ne participe pas au projet ou ne soit pas à la barre. La seule crainte que j’avais, c’est qu’on se retrouve dans un style Oncle Paul et ne raconter que le déroulement de la bataille. Surtout pas. J’ai proposé de partir sur des faits historiques et tracer chaque fois une grande épopée romanesque.
Vous vouliez ajouter du liant à une base historique ?
Oui, tout à fait. Plutôt que raconter Trafalgar à travers le seul personnage de Nelson, je préfère montrer un gabier qui a vécu la bataille en haut d’une hune ou dans la fosse aux câbles. J’ai voulu rendre les choses plus humaines.
Choisir les batailles a été difficile ?
Quand on a été d’accord chez Glénat sur la ligne éditoriale de la collection, on a fait une sélection. Il y a plus de six cents batailles et un choix s’imposait ou alors Glénat me signait un chèque en blanc jusqu’à la fin de mes jours (rires). On a choisi soit la notoriété comme avec Trafalgar, immanquable car elle aura des répercussions sur les guerres napoléoniennes. Soit une raison précise comme pour Hampton Roads qui n’a pas eu de conséquences sur la guerre de Sécession en 1862 mais où, pour la première fois, les cuirassés font leur apparition. La bataille de Lépante autre exemple, c’est un bouleversement politique au XVIIe siècle et l’arrêt de la progression de l’Empire Ottoman en Méditerranée.
Vous signez les scénarios et dessinez plusieurs albums.
Il y en aura une vingtaine d’albums au total avec une première sortie de trois titres en mars, Trafalgar, Jutland et Chesapeake. Sur les dix premiers albums en chantier je signe neuf scénarios mais Roger Seiter (HMS chez Casterman) a fait le dixième, Stamford Bridge, en toute liberté. Il y a des moments dans l’Histoire où l’homme s’est moins investi dans la Marine comme au Moyen-Age. Seiter m’a fait découvrir la bataille de Stamford Bridge en 1066 entre les anglo-saxons et les Vikings norvégiens. Comme il connaissait bien le sujet, je le lui ai laissé. Christian Gine sera au dessin. Je réalise par contre toutes les couvertures des albums ainsi que le cahier didactique qui clôture chaque bataille.
On va découvrir les noms de batailles souvent méconnues.
C’est paradoxal car pendant 2000 ans le principal moyen de transport et de guerre, c’est le navire. Mais c’est effectivement un domaine très méconnu. Sous Louis XIV la plupart des guerres ont été maritimes. On en parle peu dans les manuels scolaires. Commercialement aujourd’hui, la marine reste en tonnage le premier moyen de transport mondial. Elle a perdu à partir de 1945 avec l’essor du porte-avions, qui reste une arme relais, une partie de sa force face aux missiles et à l’aviation. Quand on voit la guerre des Malouines en 1982 on comprend la fragilité de la marine face à des armes nouvelles comme les Exocet largués par les Étendard argentins sur les vaisseaux britanniques.
Vous traiterez la bataille de Midway en juin 1942 ?
Oui, Midway est dans liste. C’est la première grande bataille aéronavale de l’Histoire qui a été un tournant car les USA ont gagné alors qu’ils étaient en position de faiblesse. Giuseppe Baiguera la dessinera.
Comment avez-vous choisi les albums que vous dessinez ?
Je ne voulais pas accaparer tous mes thèmes préférés et laisser ceux qui restaient aux autres dessinateurs. Pour Trafalgar que je connais pourtant bien j’ai confié le crayon à Denis Béchu. Pour Chesapeake qui se passe pendant l’une des mes périodes favorites, je dessine. Pour le Jutland aussi. J’ai un faible pour les vieux gréements en bois, moins pour les navires modernes. J’écris en ce moment l’épopée de l’Invincible Armada.
Dans ces batailles, l’ego des amiraux ou des dirigeants est énorme et joue souvent un rôle sur leur issue ?
Sous Louis XIV c’est effectivement une question d’ego entre dirigeants royaux. Ensuite on fait la guerre pour la nation. A la grande époque, celle où on se fait damer le pion par les Anglais, ce n’est pas parce qu’on n’a pas des très bons navires. C’est parce que dans le fonctionnement de la hiérarchie militaire on est resté très longtemps avec des amiraux choisis non pas pour leur valeur mais pour leur nom. Il suffisait de plaire au roi. Nelson, si il avait été français, n’aurait jamais eu le même destin car il n’était pas noble.
La mer et son histoire ont les faveurs d’un très large public.
Le navire vieux gréement ou les bolides de la mer d’aujourd’hui, c’est le génie de l’invention. Il y a aussi dans la mémoire collective le pirate ou le corsaire. On jouait enfant aux pirates.. Regardez l’Hermione et son voyage, le public qu’elle a attiré. La mer fait rêver.
Comment le commandant directeur de collection a mis en musique le travail de l’équipage ?
Je laisse toujours une grande liberté aux dessinateurs. Le Musée national de la Marine est partenaire de la collection donc je donne des conseils parfois afin de bien rester dans la ligne. Mais je ne peux pas commencer à pinailler sur le moindre détail. C’est de la BD qui doit faire participer à une aventure. Il faut que cela cependant reste cohérent et réaliste. On a une grosse documentation au niveau de l’image au XVII et XVIIIe. Quand on remonte dans l’antiquité, on se réfère à des textes de batailles qui vantent le camp auquel appartient l’auteur et alors c’est ubuesque. On le voit aussi dans les péplum au cinéma qui exagère la taille des galères. Vous savez, c’est un monde qui fait peur aux dessinateurs la marine. Ils craignent de mal la dessiner comme l’aviation où il doit y avoir la même appréhension. Ce sont des domaines très spécifiques qui effraient.
Vous travaillez de façon traditionnelle et vous êtes sur plusieurs projets à la fois. Jamais débordé ?
Mes planches sont en noir et blanc en format A2. Je me suis laissé aller à la mise en couleur numérique. Je m’impose une discipline depuis mes débuts à Tintin. Quand vous deviez livrer en temps et heures vos pages, si vous ne le faisiez pas une fois, on ne vous demandait plus rien. Je signe entre dix et douze pages par mois. Et je relativise. Je me suis fait des plaisirs en dessin parfois que personne n’a vu. J’achève Le Sang des lâches, tome 4 chez Casterman et Black Crow dont les scénarios des tomes 7 et 8 sont bouclés. J’ai fini Chesapeake et je commence une autre grande bataille. Trafalgar ouvre le bal en mars. Une bataille qui n’est pas vraiment un bon souvenir pour la France, ce que m’a fait remarquer le Musée de la Marine. Chesapeake suivra car c’est par contre un vrai succès français pendant la guerre d’Indépendance américaine.
Quand je dessine, je ne bâcle jamais mon travail sans aller trop loin car cela deviendrait un boulot d’ingénieur. Quand j’ai rencontré le commandant du Bélem il m’a dit : « votre album m’a fait rêver mais votre gréement se casse la gueule ». Comme quoi il faut savoir rester modeste.
Bonjour,
j’ai retrouvé avec bonheur la qualité du dessin de J.Y. Delitte dans Jutland et Chesapeake. Je viens de recevoir Tsushima et Trafalgar et quelle déception!!!!! Après la qualité et le soucie des détails de J.Y.Delitte voilà des dessins sommaires avec des navires aux proportions erronées et je ne parle pas des gréements fantaisistes. Je ne comprends pas que M. Delitte puisse cautionner de telles réalisations. L’espère que la barre sera redressée dans les prochains volumes.