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Jours de sable, la photo et son rôle

Quand on pense à la Grande Dépression aux États-Unis dans les années trente, inévitablement vient à l’esprit la photo de Dorothea Lange, Migrant Mother, cette femme au visage émacié perdu dans le vague, entourée d’enfants dont on ne voit que la nuque. Steinbeck vient aussi s’imposer au souvenir de ce qui reste comme une crise sans précédent mais que Jours de sable de Aimée de Jongh vient compléter, si ce n’est faire découvrir sous un jour inédit. En 1937 les états du Dust Bowl dont l’Oklahoma meurent sous la poussière de sable, la sécheresse, la famine. Kansas, Colorado, Nouveau Mexique payent aussi l’agriculture intensive, la disparition de l’herbe qui retenait le sable transporté en tempête par le vent. Un Sahara en plein centre des USA. Un jeune photographe va y aller pour ramener des photos pour le FSA, le Farm Security Administration, pour témoigner, sensibiliser la population au sort tragique, désespéré des fermiers et de leurs familles. Une descente aux enfers pour John Clark qui peu à peu va prendre conscience de son rôle, de celui de ses photos et en être à jamais marqué. Un ouvrage d’une rare intensité que signe Aimée De Jongh.

Il court comme un lièvre dans les rues de Washington. John Clark a rendez-vous à la FSA pour un job de photographe. Il faut qu’il aille dans le Sud, dans le Dust Bowl où le sable envahit tout. Le pays est submergé par la Crise. Et le climat en rajoute des couches. Pas de pluie et des tempêtes de sable qui non seulement détruisent tout mais tuent enfants, adultes en noyant leur poumons. Au passage, chez son employeur, John prend sa première leçon de photo-journalisme avec un crâne de bœuf photographié dans des contextes différents. Il va falloir qu’il montre, en y allant, ce qu’est la vie des fermiers, leurs souffrances et pour certains leur départ vers la Californie. On lui donne une liste de sujets à traiter, enfants affamés, orphelins ou maisons abandonnées. Il part pour l’Oklahoma et découvre des paysages désertiques, des enfants masqués.

C’est finalement le rôle du photographe de presse que Aimée De Jongh (Le Retour de la bondréeL’Obsolescence programmée de nos sentiments) décrypte et sur lequel, à travers son personnage, elle jette un regard critique. Si on peut dire que son album est un vrai moment d’émotion, de narration qui rend toute la violences des faits, c’est aussi une réflexion sur la photo qui interpelle. On ne peut pas prendre une photo sans s »intéresser à son sujet, à avoir pour lui une empathie. Mais jusqu’où ? C’est là où, de l’avis des plus grands photoreporteurs, on flirte avec le danger de tout lâcher. Quand on est au Biafra, au Liban en flammes, sans oublier l’Indochine des rizières sous le feu du napalm à My Laï, sur les plages du 6 juin, un appareil à la main, on appuie sur le déclencheur. Après on verra mais un terrain d’action en chasse un autre. Au moins un temps.

La photo n’est pas l’art de tromper. La fin de Jours de sable répond au choix que fait l’autrice. D’autres auraient pu voir dans le travail du photographe une raison pour aller encore plus loin, ailleurs ou pas, pour témoigner mais sans mise en scène bien sûr. Un ouvrage essentiel car la photo n’est et ne sera jamais supplantée avec sa force évocatrice, le talent et l’abnégation de ses créateurs sur le terrain par le film. Reste un album singulier et hors du commun, puissant et bouleversant, au dessin finalement très bien cadré comme une bonne photo.

Jours de sable, Dargaud, 29,99 €

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