Interviews

Interview avec David Sala Prix Landerneau BD 2022 pour Le Poids des Héros

Pour la 11e édition du Prix Landerneau BD, le jury, composé de libraires spécialisés du réseau des Espaces Culturels E. Leclerc et présidé par Pénélope Bagieu aux côtés de Michel-Édouard Leclerc, a unanimement choisi de récompenser David Sala pour Le Poids des Héros (Casterman). On avait interviewé David Sala pour son exposition au récent bd BOUM à Blois. Cette interview revient largement sur son album.

David Sala. Florent Drillon / Daniel Maghen ©

L’auteur-illustrateur retrace dans Le Poids des Héros sa trajectoire personnelle, très tôt marquée par les figures tutélaires – mais non moins écrasantes – de ses grands-pères, héros de guerre et de la résistance. Une exploration majestueuse et foisonnante de l’enfance et de l’adolescence. Le recours à l’imaginaire permet d’approcher les zones d’ombre et les failles à bonne distance, tout en recomposant un parcours d’apprentissage et de transmission universel pour le lecteur. « Un album nécessaire, d’une beauté à couper le souffle. » C’est l’avis de Pénélope Bagieu, Présidente du Prix Landerneau BD 2022.

Voici ce que David Sala a dit à Ligne Claire sur son album, son parcours, son exposition qui se tient à Blois jusqu’au 7 janvier 2023.

David Sala, de quoi est composée votre exposition à Blois dans le cadre de bd BOUM ?

Il y aura autant de planches du Joueur d’échecs que du Poids des héros, des illustrations jeunesse, au total plus de 40 dessins.

Ce n’est pas une rétrospective mais un état des lieux sur vous et la BD après vos deux derniers albums ?

Je n’ai jamais quitté la BD en fait avant ces albums. Il y avait eu par exemple Cauchemar dans la rue et d’autres. J’ai fait effectivement une pause de quelques années pour me concentrer sur la Jeunesse. Je voulais me retrouver, casser mes habitudes, trouver une nouvelle respiration. Une BD, c’est deux ou trois ans de travail.

Qui vous a proposé l’exposition ? Le Festival de Blois ?

Oui comme je devais venir dédicacer Bruno Genini de bd BOUM me l’a proposée. Il est venu chercher les dessins et les planches.

Comment se bâtit une exposition ? Le choix se fait à deux, il y a des textes ?

Ils les feront et on ne me l’a pas demandé. Il y a quinze planches de chaque album et j’ai voulu diversifier, varier les tonalités. Je m’en suis occupé et il a fallu trier.

Quel est le format de vos pages ?

Du demi raisin 40 par 30 cm grosso modo. Les illustrations sont plus imposantes 40 par 60 cm. Il y aura une toile aussi, qui est liée au Poids des héros. Elle ira ensuite je pense à l’exposition chez Maghen en 2023.

Quelle est votre technique, façon de travailler ? Vous écrivez un scénario complet ?

Le story-board est lui complet. Avant de dessiner, j’ai toute l’histoire sinon c’est trop compliqué. Ensuite je travaille par séquence et des fois je ne sais pas ce que je vais faire d’une planche à l’autre. Il y a une part émotionnelle, j’aime me laisser surprendre. Je commence par du pastel, puis la part histoire à l’aquarelle, dans le camp à la gouache, quelques planches à l’huile, des cases à l’acrylique, au lavis. Je mélange parce que la couleur et la technique racontent quelque chose. L’impact n’est pas le même et Le Poids des héros se prêtait bien à ça. Le Joueur d’échecs a été fait par contre entièrement à l’aquarelle.

Quel est le titre de l’expo et elle dure combien de temps ?

« David Sala », simplement, depuis le 7 novembre au 7 janvier 2023 à la Bibliothèque Abbé-Grégoire, espace Julien-Angelier de Blois.

On revient sur le Poids des héros, une histoire atypique et que l’on peut retrouver dans certains foyers marqués par la guerre. Ce Poids, vous l’avez ressenti toute votre vie et avez pu l’exorciser aujourd’hui ?

Ce poids il est à double sens. Il peut générer une grande fierté et être aussi pesant. C’est à l’adolescence que beaucoup de choses ressurgissent. Adulte j’ai voulu explorer cet héritage.

Le tableau de votre grand-père dans le camp de concentration a été le déclic ? Ou c’est un retour sur image sur vous, personnel, sur le poids de ces évènements sur vos parents, votre univers familial ?

Disons que, comme je le montre, cela a été omniprésent. Ce n’est pas une révélation, cela a toujours été là. Mes parents étaient militants politiques, on en parlait souvent. J’ai baigné là-dedans et ce sont des choses qui reviennent encore plus aujourd’hui avec la montée des extrêmes. Le déclic a été inverse car je voulais raconter cette histoire il y a déjà longtemps, celle de ces exilés. Faire un livre historique après Le Joueur d’échecs ne me semblait pas intéressant. Je n’avais pas trouvé l’angle pour cette histoire. Et puis il y a eu ce déclic. Il ne fallait pas que raconte leur histoire mais la mienne.

C’est aussi un devoir de mémoire et de transmission ?

Bien sûr mais guidé par mon regard d’enfant ou d’adolescent. Grande et petite histoire à travers mon propre regard. D’autres l’ont certainement vécu différemment autour de moi.

Vous aviez des liens privilégiés avec ce grand-père ?

J’étais familialement au milieu. Mon grand-frère était plus éloigné, mon autre frère trop petit. J’avais un âge charnière. On a tous une sensibilité propre et il y avait des choses qui me perturbaient. Cela m’intéressait vraiment.

Cela vous a aussi non pas fait vieillir trop vite mais passer plus vite à l’âge adulte ?

C’est sûr. On prend une maturité accélérée quand on est confronté à ce genre de récit. Il y a une gravité qui s’installe. Je n’en parlais pas mais on est ailleurs.

Le fait que votre famille soit très militante politiquement a joué un rôle sur votre évolution ?

Je suis imprégné, encore aujourd’hui. Les démons du passé ressurgissent. Quand j’ai sorti le livre je ne pensais pas qu’un exode de réfugiés, celle de mes grands-parents pourrait se reproduire comme en Ukraine. La vigilance doit être de chaque instant. A quoi a servi leur combat à mes grands-pères ? Le passé ressurgit sans retenue. Ces gens-là ont toujours existé mais on s’habitue donc ils peuvent renaître. En France aussi on entend aussi des choses impossibles encore dans les années 80. On banalise.

C’est l’absence de témoins désormais qui est à craindre ?

Oui mais c’est la société qui l’accepte en fait. On a les dirigeants qu’on mérite, Italie, Russie et la force de la propagande. La Suède peut-être et pourquoi pas la France après peuvent basculer. La peur fait faire n’importe quoi comme les idées miraculeuses en temps de crise. Le monde réfléchit de moins en moins. On est dans l’émotion immédiate.

Dans votre album il y a beaucoup d’émotion mais de la colère également ?

La colère j’ai essayé de l’évacuer. J’ai été un adolescent en colère, en rébellion. J’ai rangé cette colère ailleurs. Il a fallu replonger dans des souvenirs difficiles, sombres mais cela fait partie de l’exercice. Nostalgie, tristesse mais avec la colère je n’aurais pas fait Le Poids des héros de cette façon.

On devient souvent l’adulte que des évènements comme ceux que vous racontez ont marqué. Comment en parlez-vous avec vos propres enfants ?

On en parle sans en parler. Le paradoxe avec cet album est que je transmets et que je veux arrêter de le faire. Mon travail est de dire qu’on ne peut pas vivre en permanence avec des morts et à travers la souffrance. Il faut faire un choix pour acquérir une certaine sérénité. Je transmets bien sûr mais pas comme on l’a fait avec moi. On l’a dit : des fois je me demande à quoi bon tout ça pour que cela revienne aujourd’hui. J’ai fait un livre qui m’a apaisé, j’ai fait mon travail. Le temps s’écoule et je ne peux pas perpétuer un combat qui va me faire passer à côté de belles choses. On n’oublie pas mais on met de côté, on range.

Vous êtes libéré de ce poids maintenant ?

Ce sont toutes les années où je ne me sentais pas prêt qui ont été pesantes. Le décès de ma mère m’a fait me retrouver en première ligne. Elle m’a passé le relais de la mémoire.

Vous parlez de dessins vocabulaire.

Le dessin ce sont des mots et pendant 20 ans je me suis cherché. Ces années m’ont donné les armes pour raconter Mauthausen par exemple, dans l’urgence, l’énergie sans tomber dans l’imagerie documentaire.

Votre album a été un choc pour les lecteurs.

Oui, on a eu un très beau retour public. J’ai été très étonné, agréablement, et on pouvait toucher les gens, ce qui était très émouvant.

Et après le Poids ?

Il faut s’éloigner du sujet et retourner vers mon métier, chercher, explorer, me faire peur et trouver des projets. J’ai plein de choses qui font peur. J’aime adapter, peut-être un roman gothique. Pour l’an prochain je prépare un livre jeunesse, illustré à l’huile. Il y aura aussi des tirages de tête en novembre du Joueur d’échecs et du Poids des héros.

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