Le marché de la vente de planches originales est en pleine expansion. Ventes aux enchères aux prix records dont celles de Maghen-Christie’s mais aussi galeries virtuelles où dès le début d’expositions les planches sont en vente. Comic Art Factory à Bruxelles a commencé avec le net en 2014. Succès aidant son créateur Frédéric Lorge a aussi ouvert une galerie en « dur » si l’on peut dire où il veut promouvoir les œuvres d’artistes tout en maîtrisant les prix, ouvrir le marché aussi aux amateurs passionnés mais moins fortunés. Une démarche qui dénote, avec une vision intelligente, et sur laquelle Frédéric Lorge revient en détails, sans tabous, avec Ligne Claire. La BD est-elle devenue une valeur très sûre et incontournable désormais du marché de l’art ? Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Frédéric Lorge, vous avez crée au départ en 2014 un site dédié à la vente pure et dure, sans enchères, puis dernièrement une galerie à Bruxelles. D’où vous vient cette passion de la BD ?
J’ai commencé très jeune par la BD américaine, Strange, Avengers puis les grands classiques. Je suis resté un grand lecteur. Je suis devenu collectionneur il y a une douzaine d’années avec des auteurs américains parce que le franco-belge n’était pas accessible. Je n’y suis passé qu’il y a cinq, six ans.
Vous dites dans une émission consacrée à la vente d’originaux que le comics était plus facile.
Il l’est toujours parce qu’il y a une grande différence de production. Pour certaines séries qui viennent de sortir on trouve un mois plus tard des planches entre 200 et 400 dollars. La finition est différente par rapport à une série franco-belge mais on peut devenir collectionneur aux USA avec un ticket financier moins important.
Ce qu’on voit aujourd’hui dans les grandes ventes c’est avant tout du franco-belge. Sur votre site vous en avez aussi.
En grande majorité. C’est le plus souvent des artistes qui me confient leurs œuvres et je fais de mon mieux pour les mettre en valeur.
Qui comme auteurs ?
Renaud Dillies par exemple qui est aussi l’auteur exposé à la galerie en fixe. Kokor pour Alexandrin, Isabelle Dethan des Terres Horus et je vais travailler avec Gilbert Shelton qui vit en France.
On trouve aussi des dessins dédicacés comme un Graton, un Gotlib. Quel public visez-vous ? Il y a une question de moyens, d’accès, non ?
Je ne sais pas si je vise un public en particulier. La majorité des auteurs avec qui je travaille on est dans une tranche de prix inférieure à 1000 euros. Tout dépend des auteurs et de leurs succès. Je préfère les planches aux illustrations car j’aime la narration, voir le texte dans les bulles. J’ai travaillé avec François Dermaut qui a fait Les Chemins de Malefosse. On est sur du classique historique mais qui me parle.
Quand on voit les tarifs annoncés dans certaines ventes, vous restez dans un créneau raisonnable où un amateur peut se faire plaisir ?
Dans l’exposition Renaud Dillies (Saveur Coco, Mélodie au crépuscule), j’ai cinq clients nouveaux qui ont acheté pour la première fois un original de BD. Sur une même expo cinq lecteurs qui aiment un auteur depuis longtemps et décident d’acheter une œuvre, je ne l’avais jamais vu. Ils l’ont aperçu sur le net, appelé et commandé. On était sur 700 ou 900 euros par planche format A3.
Vous pouvez avoir aussi du Moebius. Vous mettez une barre aux prix ou pas ?
Pour l’instant je n’ai pas eu de planche à 10 000 euros. Mais il le faudra si je veux me développer, faire des expositions. Je l’espère mais c’est pour cela qu’il me fallait aussi une galerie qui permette de mieux voir l’œuvre quand on est dans cette gamme de prix.
Voir la planche accrochée ?
Oui. C’est ce qui s’est passé pour Dillies, vu sur le net, acheté à la galerie.
Vous avez donc une galerie net plus une galerie traditionnelle ?
Mon site a été créé en 2014 et la galerie a ouvert il y a peu. Tout ce qui est sur le site est visible à la galerie où il y aura une exposition physique par mois.
Le marché de la planche, vous l’ouvrez à une population moins fortunée que par ailleurs. Comment se porte ce marché ? Il est sans limite de sommets ?
Je n’ai pas de boule de cristal. Ni de garantie. Il y a des valeurs sûres dans la BD, des auteurs disparus, Franquin, Hergé puis quelques auteurs comme Uderzo ou Bilal qui lui dépasse la BD. On est dans l’art contemporain. Et puis il y a beaucoup d’auteurs où on est dans une gamme de prix entre 1000 et 5000 euros la planche. La majorité.
Si vous prenez Gibrat ou Mézières, Juillard, on est au-dessus. Prenez Anna Mirallès qui propose bientôt à la vente des œuvres faites spécialement pour cela, c’est aussi une tendance ? Les BD pour même certains grands noms ne suffisent pas à les faire vivre ?
La majorité des auteurs ont effectivement besoin d’un complément financier.
Il y a des happy fews côté vendeurs, mais aussi côté acheteurs qui peuvent mettre 100, 200 000 euros ou plus à une planche ?
Ce ne sont pas mes clients. J’ai parmi eux des gens qui achètent plusieurs dizaines de milliers d’euros mais la plupart du temps ils gardent les œuvres. Pas des investisseurs car ce sont des achats plaisir. Je ne collabore pas avec une maison de vente aux enchères parce que ce n’est pas mon objectif. Je vois l’énergie que cela demande et j’ai beaucoup d’admiration pour eux. Cela met aussi un coup de projecteur chaque fois sur la BD. Moi, je suis à un niveau artisanal.
En fait prenons Dermaut pour Malefosse, il y a des séries qui n’ont plus la même notoriété, elles baissent.
C’est clair que le meilleur moment pour vendre c’est quand la série est au sommet et qu’il y a une demande. A l’époque Dermaut n’avait pas voulu vendre car la façon dont il avait été approché ne lui avait pas plu. Il a gardé ses planches, simplement. On s’est croisé par hasard. J’ai vu ses planches, la qualité de son encrage. Les gens qui m’ont acheté Dermaut avaient lu Malefosse. C’est l’achat madeleine de Proust.
Aujourd’hui le marché est bien en main et n’arrête pas de monter. Il y a trente ans on trouvait des planches facilement. Si maintenant je veux me faire plaisir avec un Gibrat ce n’est pas possible. Qui crée la cote ? L’investisseur ou le collectionneur ?
Je pense que ce sont les deux. Il suffit d’avoir plusieurs personnes motivées dans une vente. La cote se base sur une répétition de prix confirmés, de valeurs sûres. J’ai vu des gens se faire plaisir avec un Largo Winch ou un Blueberry à 50 000 euros parce qu’ils en rêvaient.
Ce n’est pas rien.
Quand je propose des œuvres, j’essaye d’avoir des prix pertinents comme quand je cherchais pour moi. Il faut permettre aux amateurs de commencer une collection.
On peut jouer aussi sur la valeur future. On prend des débutants et on achète en espérant le succès. Cela arrive ?
Je ne suis pas dans les arcanes de mes collègues. Il s’est passé au fil des ans des choses plus ou moins agréables à entendre. Le temps jugera. On est pour moi sur une collaboration saine.
Ce qui veut dire en termes de rapport financier ?
Ma galerie prend 40% sur la vente. Promotion, travail, encadrement, vidéo, vernissage et mon salaire (ndlr : c’est la moyenne constatée).
Vous êtes en Belgique. Vous avez envie de venir en France ?
Pour l’instant je débute et je veux développer mon lieu ici. Je me déplace régulièrement sur Paris ou ailleurs pour voir artistes et collectionneurs.
Quelles sont vos prochaines propositions ?
Ce sera Gilbert Shelton, personnage important dans l’underground US, contemporain de Crumb, créateur des Freaks Brothers. Ensuite ce sera une exposition sur l’heroïc fantasy avec les travaux de deux artistes, Thibaud de Rochebrune pour La Geste des Chevaliers Dragons et Cédric Fernandez qui a repris Les Forêts d’Opale chez Soleil. A la rentrée ce sera Ninn, une série avec une aventurière détective de Darlot et Pilet qui change de ce qu’on connait, un superbe travail au crayon.
Des clients vous amènent des œuvres à vendre ?
Cela commence avec la galerie physique. On m’en propose en dépôt mais je veux me consacrer surtout aux artistes avec qui je travaille.
Je vois aussi du Keith Burns pour les fans d’aviation.
C’est une collaboration avec lui. Il y a une huile, des acryliques A3. J’ai découvert son travail sur Johnny Red avec Tully. Je pensais que c’était fait sur Photoshop comme beaucoup de séries d’aviation. Je l’ai contacté, j’ai acheté des planches pour moi. C’est un travail à la plume et au pinceau. Il y aura un expo Burns. C’est aussi une surprise du métier alors que je n’ai aucune connaissance en aviation et ne suis pas passionné par les histoires de guerre. Quand j’ai vu la composition des planches j’ai été bluffé. Il faut les voir en vrai. Cela peut aussi intéresser des amateurs de modélisme.
Les médias communiquent sur les records mais pas sur le fait qu’il est encore possible d’acheter des planches originales pour moins de 1000 euros. Si on voit au mur encadrée une planche qui nous amène du plaisir pour des années c’est un investissement qui a un autre sens.
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