Un album qui mérite une introduction précise et éditoriale. Dans Le voyage de Marcel Grob, Philippe Collin et Sébastien Goethals évoquent en détail le parcours d’un jeune Alsacien enrôlé de force dans la Waffen SS, troupe dite d’élite de l’Allemagne nazie, responsable de la plupart des plus atroces massacres en Europe de la seconde guerre mondiale. Si un grand nombre d’Alsaciens et de Lorrains, Français devenus Allemands après la défaite en 1940, ont été des « Malgré nous », obligés de prendre l’uniforme de leur nationalité du moment, pour la SS la situation est beaucoup plus compliquée. Volontaires ou enrôlés de force, la frontière était parfois mince. A Oradour, dans la division Das Reich qui massacre la population, il y a des SS alsaciens. Le procès de ces hommes dans les années cinquante à Bordeaux va poser un cas de conscience. De la prison ce qui n’est pas assez pour les uns, et trop pour les autres en Alsace. Pour cause de cohésion nationale, il y aura amnistie, ce qui est, quoiqu’on en dise, un scandale. Avec le Voyage de Marcel Grob, on retombe dans le même schéma. Les auteurs seront en dédicace le 10 novembre à la librairie Sauramps à Montpellier.
Enrôlé de force, obéir aux ordres, tuer, quelle est la vraie part de responsabilité de ces Alsaciens parmi lesquels, il faut le dire, il y a eu des volontaires ? Et qui pour la plupart ont été endoctrinés au préalable dans les Jeunesses hitlériennes ou le service du travail nazi en Alsace allemande ? Quand les hommes du général Leclerc capturent des SS français pendant la campagne d’Alsace, il les fait fusiller sans jugement. Il faut donc lire avec attention cet album qui aborde par le menu, à partir d’une histoire vraie, une plaie toujours ouverte, un épisode douloureux de notre Histoire mais sur lequel il faut rester prudent, même plus de 70 ans plus tard. J-L. TRUC.
2009, le bureau d’un juge d’instruction. Il interroge Marcel Grob, un Alsacien rattrapé par le souffre de l’Histoire. Il aurait été dans la Waffen SS, ce qu’il réfute dans un premier temps mais les preuves sont là, dont son livret militaire. Volontaire ou enrôlé de force, tout porte sur ce point. Il entre dans la SS en juin 1944. Il part avec son copain Antoine, rencontre dans le train un autre ami Müller qui lui veut se battre contre les communistes. Ils savent que c’est dans la SS qu’ils vont être enrôlés. On parle allemand et ils se retrouvent à la caserne. Entraînement, endoctrinement, tatouage du groupe sanguin, ce qui aura une importance vitale en cas de désertion ou de capture, on le verra. Deux SS qui ont voulu déserter sont exécutés. Un officier éprouve de la sympathie pour Grob. Direction l’Italie pour se battre contre les partisans. Les combats sont sans pitié, les blessés achevés. Un nouveau chef, Reder, un tueur, prend le commandement. A Marzabatto, la population est enfermée dans une église par les SS et ils mettent le feu. Grob participe au massacre mais constate qu’un officier ne tire pas sur des rescapés.
Grob va se raconter confronté aux détails que le juge ajoute, assène. Grob serait devenu une vedette dans une équipe de foot SS, ce qui va lui sauver la vie en lui permettant d’être muté dans le génie. Il va pourtant retrouver son ami officier SS au grand cœur. Il est blessé mais s’en sort. Pour lui, c’est le chantage exercé sur sa famille en Alsace qui a déterminé sa conduite. On notera aussi la distinction classique faite par un soldat, mais qui n’excuse rien, entre Waffen SS, combattants, et l’Allgemeine SS, gardiens des camps. Quelle différence entre les tueries sur le front de l’Est par la Waffen SS et celles des camps par la Allgemeine SS ? Dire comme on le voit dans l’album par un soldat de la Wehrmacht que la SS a déshonoré l’armée allemande est déplacé. En Russie cette même Wehrmacht a participé aux einsatzgruppen qui ont abattus des dizaines de milliers de Juifs. Il y aura enfin l’absolution au moins dans l’album par un officier français gaulliste mais pas par le juge.
On est mal à l’aise et c’est bien en lisant ce récit. On sent la réticence de Grob à considérer qu’il est coupable et que son statut d’enrôlé de force excuse et doit protéger. La démarche des auteurs est par moment trop romanesque. Qu’elle empathie peut-on avoir avec Grob ? Il n’empêche que cet album est important, courageux car il met le doigt où cela fait encore mal, donne des pistes, fait acte de mémoire même imparfait. Il n’a pratiquement plus de SS survivants. La justice a souvent été clémente envers eux. A la Libération, en RDA comme en Allemagne de l’Ouest, on avait besoin de professionnels. Les vainqueurs ont souvent fermé les yeux. En France aussi face aux policiers, gendarmes, juges qui avaient violemment exercé leurs pouvoirs sous Vichy. Encore la réconciliation nationale.
Le voyage de Marcel Grob, Futuropolis, 24 €
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