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Interview : Tamara de Lempicka avec Virginie Greiner et Daphné Collignon pour le portrait d’une femme libre

Tamara de Lempicka est une des plus atypiques et talentueuses peintres du XXe siècle. Partie de Russie à la révolution, arrivée à Paris elle va travailler d’arrache-pied pour se faire un nom dans le milieu de la peinture. Femme libre, indépendante, elle y parvient avec l’aide de Gide, obsédée par la quête du modèle parfait. Après une période de gloire, reine de la peinture Art Déco, Tamara sera oubliée puis redécouverte dans les années quatre-vingts. Aujourd’hui ses œuvres sont introuvables ou se vendent des millions d’euros. Virginie Greiner, scénariste, et Daphné Collignon, dessinatrice qui ont aussi signé Avant l’heure du tigre, en dressent un portrait saisissant, attachant dans Tamara de Lempicka, une femme moderne (Glénat). Elles reviennent pour ligneclaire.info sur leur album. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Virginie Greiner et Daphné Collignon à Quai des Bulles 2017. JLT ®

Virginie Greiner, Daphné Colignon, Tamara de Lempicka est un personnage séduisant, une peintre reconnue mais pourquoi l’avoir choisie elle?

V. G : Au départ l’album devait faire partie de la collection des Grands peintres chez Glénat. Il y avait déjà une sélection de cinquante peintres et pas une femme parmi elle.

Ce qui rappelle la polémique d’un récent festival d’Angoulême, non ?

V. G : Le problème c’est que c’est toujours d’actualité ce genre d’absence alors que de nombreuses femmes ont fait progresser l’histoire de l’Art. Elle sont un peu mises de côté à l’époque. Valadon, Berthe Morisot, on les oublie. Du coup j’ai fait une petite liste de femmes peintres et on en a discuté avec l’éditeur. On est tombé d’accord sur Tamara car elle vit à une époque bouillonnante. Ce qui était intéressant aussi est qu’on connait souvent ses tableaux, elle est la peintre de l’Art Déco. Mais on ne met pas un nom dessus.

Daphné Collignon, comment êtes vous arrivée dans le projet ?

D. C : Virginie m’a proposé de travailler avec elle. Le personnage me touchait.

Vous avez montré une partie de la vie, son travail acharné et le moment où elle devient une peintre reconnue.

V. G : Quand on a 46 pages il faut faire des choix. Donc le dessin prend de la place et c’est bien. On fait des choix narratifs parce que cela me permettait d’introduire la fausse quête du modèle idéal que je décris dans l’album. C’est un peu plus romancé dans l’album que dans la réalité. En fait la belle Rafaela était un modèle qu’elle avait payé. Cela montrait aussi toute sa sensualité, ce qu’elle projetait comme désir dans ses tableaux.

Vous avec eu le scénario complet ?

D. C : J’ai eu le scénario, le découpage et j’ai adapté le tout avec mon dessin au fur et à mesure. C’est compliqué à expliquer mais on ressent à travers l’écriture ce qu’il faut mettre en scène. Pour les tableaux de Tamara, je les recopie mais il y a aussi mon trait.

On découvre que Gide a été un peu son mentor ?

V. G : Ils étaient très proches, oui, mais pas son mentor. Gide apparait comme quelqu’un qui fait découvrir Paris à Tamara. Il connait des endroits un peu sulfureux. Tamara n’y avait pas ses entrées. Cocteau aussi, tout ce milieu de la bohème parisienne assez spécifique.

Elle n’a pas été inspirée par la photo alors qu’on est en plein développement de cet art ?

V. G : Non. Tamara était pour la peinture avant tout. Elle adorait les classiques italiens. Elle passait des heures à les reproduire au Louvre. Idem dans la recherche de ses couleurs. Il y a le bleu Tamara. Elle allait chercher les pigments lumineux et purs qu’elle voyait dans les tableaux de la Renaissance italienne. Elle y a intégré son propre talent.

On peut rapprocher Frida Kahlo et Tamara de Lempicka ?

V. G : Elles vivent dans la même période. Tamara était beaucoup plus indépendante que Frida qui a peint sur sa souffrance. Tamara était dans une sorte de jet-set et croquait les plaisirs de la vie.

Elle est dure aussi Tamara.

V. G : Elle veut aller au bout de sa vie. Elle est tendre par contre avec sa fille. C’est son mari qui sacrifie sa vie de famille et ne supporte pas ce que fait Tamara, sa liberté. En plus c’est elle qui finance le foyer.

C’est vraiment l’incarnation de la femme libre.

V. G : Oui pour ces années là, celles de l’après-guerre, des garçonnes. Comme Colette un peu avant.

Elle aura des hauts et des bas ?

V. G : On l’oublie avant la guerre de 1939. On la retrouve plus tard grâce aux stars américaines comme Madonna ou Nicholson qui ont adoré les tableaux de Tamara. Cela lui a redonné vie. C’est une femme fascinante. Les années vingt c’était aussi l’image d’un Paris en ébullition.

Tamara en impose, elle est hors normes. Comment arrive-t-on à la dessiner, à lui donner vie ?

D. C : J’ai du mal à parler du dessin parce que c’est instinctif pour moi. Ce qui m’intéresse dans la BD c’est la narration. Aussi bien rédactionnelle que graphique. Je m’investis dans les personnages que je dessine. J’ai du mal à parler du contenu créatif. C’est dur.

V. G : En fait, Daphné s’investit effectivement dans la construction du personnage et vit comme le personnage. Donc le regard qu’elle leur fait avec son dessin est de l’ordre du ressenti. On est très proche car confiante l’une envers l’autre. On met toujours de soi mais Daphné peut réinterpréter. Je ne suis pas un scénariste qui a raison une fois pour toute.

D. C : On a une relation complice avec Virginie. Je suis libre de m’approprier les personnages. C’est une liberté importante. On a un nouveau projet ensemble.

Et quel est le thème ?

V. G : On en reparlera. Deux fois cent pages. Il faut que cela avance avant d’en dire trop.

Avec Tamara vous signez un bel album avec une vraie puissance du dessin.

D. C : Quand on travaille ensemble on fait des choix de mise en forme et quand j’ai le scénario, je fais un peu le travail du metteur en scène au cinéma. Il y a une sorte de ping-pong entre nous. J’ai une grille de découpage et j’interprète. La recherche de fond sur les personnages je ne pourrais pas être aussi précise historiquement que Virginie. C’est le côté émotionnel qui m’intéresse. Je n’interviens pas sur la génèse.

Vous parliez de cinéma, vous poussez les acteurs donc vos personnages au meilleur de leur jeu avec votre dessin ?

D. C : A partir du scénario, oui. Et j’essaye de les amener au meilleur d’eux-même. Je sais ce que Virginie veut faire passer, qu’elle est son idée maîtresse. Elle me connait bien aussi donc elle a un peu en tête ce que ça va donner, ce que je vais allé pécher chez les personnages pour leur donner vie. Au début de cet album la première mouture était plus osée sexuellement, ce qui n’est pas vraiment mon registre. Je ne savais plus si c’était vraiment pour moi. On en a discuté, comment elle voyait Tamara, ses attitudes qui dévoilaient sa personnalité. On m’avait proposé déjà des scénarios érotiques mais là ce n’était le cas en fait.

V. G : Ce qui nous intéressait c’est de montrer ce qu’elle était, et pas la seule vision lointaine d’une bisexuelle. En fait c’était pour elle une question d’envie tout simplement.

Et donc pour la suite de votre collaboration, on y revient, pas possible d’en savoir plus ? La peinture encore ? Époque contemporaine ?

V. G : C’est dans le milieu culturel, en noir et blanc. Dans les années cinquante, USA-France, entre la littérature et le cinéma. Une histoire de couple.

Ce n’est pas Camus. Romain Gary peut-être ?

V. G : Bravo. C’est ça.

Et donc Jean Seberg ?

V. G : Oui. Ce sera aux Arènes. En deux albums on co-écrit et on fait l’adaptation avec Paul Pavlowitch, le neveu de Romain Gary qui a sa demande avait endossé le pseudonyme d’Émile Ajar. Mais on y reviendra.

Tamara de Lempicka, Une femme moderne, Glénat, 14,50 €

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