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Interview : Clément Oubrerie de Meurtre en Abyssinie à Cyberfatale pour Saint-Malo

Clément Oubrerie serait-il un artiste presque parfait ? Il écrit et dessine des BD, illustre, produit des films d’animation et a reçu le Grand Prix de l’Affiche à Quai des Bulles 2017. Il signe donc celle de 2018. En octobre il sort avec de mystérieux scénaristes Cyberfatale chez Rue de Sèvres et commence fin août avec Julie Birmant les aventures de Renée Stone dans Meurtre en Abyssinie (Dargaud). Pleins feux sur un Oubrerie discret, passionné et surtout sincère qui s’est confié à ligneclaire.info. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Clément Oubrerie. JLT ®

Quand on a suivi votre parcours, votre évolution créatrice, le séjour USA, on sait que vous êtes un artiste complet. Si vous aviez à vous qualifier, à vous demander qui suis-je ?

Je répondrai que ça dépend des jours. Ces derniers temps je suis vraiment dans la BD. C’est ce qui m’amuse et m’occupe totalement. Je suis auteur et dessinateur de BD. Donc très facile à définir même si j’ai fait pas mal de métiers avant. La pub, l’illustration, je ne le regrette pas, au contraire.

Pour vous, c’est important les prix comme celui de l’Affiche à Saint-Malo ?

Ce qui est important pour moi c’est la survie. Et tout ce qui aide à la survie est primordial. Les prix ça aide, ça fait vendre des livres dans les librairies.

Le prix conforte une réussite ?

On n’a jamais réussi. Chaque fois que je termine un projet j’ai l’impression qu’il faudrait tout refaire. La vie des auteurs est difficile.

Votre affiche pour Quai des Bulles 2018 est une envolée lyrique avec une femme sur un fond de voile de bateau, une corsaire.

Je conçois une affiche comme une tache sur un fond contrasté, très simple, qui peut se voir de loin. Je ne suis pas partisan des affiches de BD avec plein de personnages. L’affiche doit être complète, ouvrir un univers. Je voulais donner envie d’aller au festival, que cela évoque Saint-Malo et la BD. Il y aura aussi une exposition qui se monte. Ce sera une sorte de rétrospective qui retrace des projets différents, des dessins divers en forme de melting-pot avec Pablo, Aya ou autre. J’ai proposé également qu’on fasse avec des copains musiciens de jazz un concert dessiné sur le thème des années 30 en raison du thème de Meurtre en Abyssinie un de mes nouveaux albums qui va sortir fin août.

Vous allez donc être très présent sur le festival avec en plus la sortie de deux albums ?

Je serai à Saint-Malo du début à la fin. C’est de plus un festival que j’adore. Meurtre en Abyssinie (Dargaud) sera déjà en librairie. Le second, Cyberfatale (Rue de Sèvres) sera là en exclusivité pour le festival.

Il y a pas mal d’humour dans vos deux derniers albums, que ce soit dans Cyberfatale ou Meurtre en Abyssinie qui rappelle Meurtre sur le Nil d’Agatha Christie. Un des héros ressemble beaucoup en fait à Peter Ustinov ?

Il y a plein de références bien sûr mais ce sont deux projets très différents. Meurtre en Abyssinie est plus polar et aventures que Cyberfatale qui est un peu plus dans l’humour, comme du Pétillon qui veut rendre des situations modernes loufoques.

Cyberfatale, c’est une histoire réaliste mais décalée ?

Pour moi ce n’est pas vraiment réaliste.

Mais sur le fond, ce qui se passe dans Cyberfatale peut arriver ?

Les situations décrites sont réelles. Le traitement graphique est léger. Un peu burlesque, drôle. Avec Meurtre en Abyssinie, on est plus près de Pratt, Indiana Jones, la fille de Miss Marple aurait pu être Renée Stone, la femme écrivain personnage principal. Dans les deux albums on est toutefois dans de la fiction pure.

Pour Cyberfatale, les auteurs c’est Cépanou, pseudo des scénaristes, et Clément Oubrerie au dessin. En cherchant un peu on apprend que Julie Birmant faisait partie du trio. Elle en parle dans une interview dans Ouest France en février dernier.

Cépanou, c’est bien un trio d’auteurs dont l’identité sera révélée ultérieurement s’ils le peuvent et le veulent pour des raisons de sécurité. Si Julie a en parlé… c’est qu’elle en fait partie. Mais ce n’est pas grave pour sa sécurité à elle.

Donc embargo total mais il semble bien qu’il y ait dans le lot un spécialiste de la cyberdéfense ?

Il a été le bras droit de l’amiral en charge de la cyberdéfense au niveau national.

On pense un peu à Blain avec son Quai d’Orsay.

C’est une situation comparable. Mais le reste ne l’est pas.

On reconnait parmi les personnages dans les premières pages un conseiller à l’Élysée qui ressemble à Pierre Joxe, ministre socialiste sous Mitterrand.

C’est vrai, à force de dessiner ce personnage il a fini par lui ressembler. En plus jeune. C’est un peu un hasard, un menton retravaillé et voilà le résultat.

Dans Cyberfatale, la montée en puissance du scénario s’appuie au départ sur une photo du président en slip léopard qui n’a pu être bloquée à temps sur le net et des secrets d’état qui risquent d’être dévoilés dont des ventes d’armes ?

Dans une cyberattaque il y a toujours plusieurs étapes et ça commence par une sorte de gag qui annonce la vraie attaque. Un journaliste qui est en reportage à la demande de la Présidence sur le sujet va se retrouver en pleine pagaille. Mais je ne peux pas en dire plus.

Comment avec vous crées au dessin les personnages ?

Je suis arrivé sur le tard dans le projet. Le scénario était déjà écrit. Ce ne m’était pas destiné. C’était tangent car j’avais déjà deux séries en marche, Voltaire amoureux et Meurtre en Abyssinie. Mais il était tentant de se lancer dans cette nouvelle aventure.

Clément Oubrerie et Julie Birmant. JLT ®

Toujours dans les personnages de Cyberfatale, titre amusant, il y a un Esperandieu. On pense à Tardi et Adèle Blanc-Sec. Il y a beaucoup de clins d’œil de la sorte ?

Je crois que c’est le nom aussi d’un journaliste. Un des trois auteurs est un fan de BD donc il y a des allusions mais ce sera aussi un album codé. Il va falloir chercher. Pour les hackers coder et décoder est un vrai sport. Dans Cyberfatale il y a quelque chose à trouver. Il y aura des éléments que certains ne verront pas. Sauf des hackers peut-être.

Vous vous être bien amusé semble-t-il.

On s’est dit que vu le sujet que ça allait séduire les gens qui vivent dans cet univers. Dans le hacking il y a des concours, une nuit de la spécialité. C’est un petit truc en plus ce codage dans l’album. En fait je ne fais que des choses qui m’amusent. Le problème de la BD c’est qu’il y a des moments de passage inévitable. On a des scènes intéressantes et entre des phases qui sont nécessaires au récit. Il faut un juste récit. Je ne fais pas les choses qui m’ennuient.

Pour Meurtre en Abyssinie on est dans un autre registre, du grand spectacle, le couronnement du Négus Haïlé Sélassié en 1930, un pays avec une trame romanesque à la Agatha Christie, Ustinov comme modèle, des décors fouillés.

C’était trop tentant Ustinov. C’est une chasse au trésor mais je parle comme spectateur du processus créatif. Quand Julie se lance dans un projet ce n’est jamais sans raison. Quand on travaillait sur Isadora on est allé au British Museum et on est tombé sur les plaquettes syriennes de la chasse au lion. De fil en aiguille elle s’est intéressé aux plaquettes mésopotamiennes. Où les a-t-on trouvées, de quand elles datent ? On vient de trouver une tablette de l’Odyssée d’ailleurs. Là-dessus Julie a inventé une fiction autour d’elles. C’est un projet commun avec Julie. On a convenu ensemble de l’histoire.

Il y a une belle vision cinématographique dans Meurtre en Abyssinie.

Comme à chaque fois j’essaye de changer les règles, de donner un langage qui corresponde à l’histoire. Pour le coup j’ai découvert plein de faits historiques qu’il a été amusant de creuser.

Vous êtes sur combien d’albums pour ces nouvelles séries ?

Dans les deux cas sur une série au long cours. Ce sont des albums qui se suivent mais il y aura des épisodes qui se terminent. J’ai donc trois séries en même temps avec le Voltaire amoureux dont le prochain tome sortira en début d’année prochaine et je signe scénario plus dessin.

Tout au long de ces années vous avez ressenti une progression dans votre façon de travailler ?

En fait, s’il n’y avait pas d’évolution ce serait compliqué et très ennuyeux de toujours faire la même chose. Ce qui intéressant c’est de progresser, d’évoluer, de changer de sujets, se mettre dans des situations nouvelles. J’essaye d’avoir un éventail ouvert et large. Voltaire amoureux par exemple, c’est mon fils chéri tout à moi. C’est moins drôle que de travailler à plusieurs mais il m’appartient.

Justement quelles seraient vos envies, à chaud ?

Là je me suis mis d’un coup sur trois situations nouvelles. Mon envie c’est de développer ces trois univers très différents, de les faire vivre avant de repartir sur autre chose. J’ai aussi un volume des Royaumes du Nord qui va sortir dont je signe le dessin. Donc quatre albums d’ici la fin de l’année.

Quelles techniques utilisez-vous ?

Je mélange mes façons de travailler, encre ou ordinateur. Comme je refais tout trois fois c’est plus simple. Je ne suis pas bien placé pour en parler parce que j’ai commencé avec le succès d’Aya de Yopougon. Donc j’ai démarré dans le confort. Le risque était que ma situation se dégrade. Mais je vois bien que la situation sociale, fiscale des auteurs aujourd’hui est dure. Plus ça va, plus la part qui reste à l’auteur est faible. Certains sont obligés d’arrêter. La BD prend énormément de temps et n’offre aucune garantie. Il faut trouver l’équilibre. En ce qui me concerne j’ai eu la chance de prendre un agent et depuis je n’ai pas de problème avec les éditeurs. Je peux avoir avec eux des relations amicales. La partie dure ne passe pas part moi.

Et l’animation ? Petit Vampire ?

Je n’y participe pas vraiment. J’aime l’animation comme spectateur. Soit comme auteur mais je n’ai pas vraiment envie d’être du côté de la fabrication. Non, la BD d’abord même s’il y a des projets comme adapter Pablo au cinéma. Cyberfatale intéresse aussi des gens.

Pas d’autres idées en tête ?

Non, trop de choses à mener de front.

Quelles sont été vos sources d’inspirations en BD ?

En général ? Le top pour moi, c’est les B, Blutch et Blain. Après il y a Rabaté, Pratt, Windsor McCay, Gotlib, Gary Larson. Plus jeune je lisais Vian, j’ai rencontré sa femme. J’ai aimé sa vie, ingénieur farfelu. J’adore Queneau, Prévert. Ou Carrère, Nabokov.

Si vous aviez un seul film que vous aimez à nommer ?

Un seul ? Celui de Woody Allen avec Charlotte Rampling et Marie-Christine Barrault, Stardust Memories. Un chef d’œuvre absolu. Si je faisais une BD aussi forte que ce film je ne pourrais plus rien faire après. A mourir de rire.

Votre actualité avant Saint-Malo ?

Je vais en Corée du Sud au festival de Bucheon. Pablo a eu le grand prix.

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