Qui mieux qu’un survivant peut raconter la lâcheté de ceux qui l’on envoyé à la mort . Il a survécu et il en est revenu, témoin gênant et décalé pour une population unie dans le crime et la délation. En adaptant Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel en BD (le premier tome a été largement et justement récompensé), Manu Larcenet est remonté dans le temps pas si lointain de la déportation, des goulags, des génocides, de la trahison, de la dénonciation, de la lâcheté humaine ordinaire et extraordinaire dont Claudel avait su tracer le tableau horrifiant. Dans le tome 2 et dernier de son adaptation en teintes sombres, noires comme l’orage et la nuit, la tempête sur le fond immaculé de la neige, Manu Larcenet reste dans le tristement humain, l’homme capable du pire, par peur souvent, par bêtise aussi ou calcul avoué. Une exposition des planches originales a lieu chez Barbier et Mathon à Paris du 15 juin au 10 septembre.
Brodeck raconte comme on lui a demandé dans le village ce qui s’est passé avec l’étranger que les habitants ont tué. Qui était cet homme ? Quel était son but ? Avait-il percé à jour la vraie nature de tous ? Pourquoi Brodeck a-t-il été, lui, déporté par les hordes casquées qui ont envahi et dominé son village ? Pourquoi sa femme est-elle devenue folle ? Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Pourtant Brodeck se souvient de tout même si les pressions lui font comprendre qu’une fois de plus, lui aussi a été un étranger qui a eu un tort, celui de survivre et qui empêche désormais les villageois de tirer un trait sur un passé où pour sauver sa peau il fallait sacrifier les autres. Quant à résister c’est une autre histoire. Victime, ne sera-t-il pas à son tour un lâche ?
On a pu dire que Le Rapport de Brodeck avait un côté fable. Parabole peut-être mais c’est avant tout une chronique intelligente tout à fait moderne sur le témoin gênant, sur la compromission, sur la survie à tout prix. On n’a qu’une envie au fil des pages, que Brodeck se venge. Et bien non. On n’est pas dans une série B. Brodeck sait qu’il est encore coupable, sentiment pourtant injuste, aux yeux des autres d’avoir survécu, de savoir combien victimes et bourreaux ont vécu dans l’ignoble. Larcenet pose indirectement des questions, demande que l’on s’interroge, ne juge pas mais surtout que l’on n’oublie pas, pour que le passé ne recommence pas. Adapter Claudel en BD a un côté salvateur. Roman et albums forment désormais un tout écrasant de talent et ouvrent la porte à des lecteurs d’aujourd’hui qui seront interpellés par l’œuvre, chercheront des repères et réfléchiront.
Le Rapport de Brodeck 2, L’indicible, Dargaud, 22,50 €
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