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Interview : Avec Odawaa, pour Cédric Apikian, Christian Rossi lui a fait un très beau film en BD

Cédric Apikian est cinéaste, journaliste TV (réalisateur de l’émission BD PifPafPoum) et désormais scénariste de BD. Avec La Ballade du soldat Odawaa (Casterman), il est parti, accompagné de Christian Rossi, sur les traces des Amérindiens, redoutables tireurs d’élite de l’armée canadienne pendant la Grande Guerre. Mais sans pour autant ne pas faire qu’une BD historique. Si tout est exact dans les moindres détails, Apikian a eu le talent de glisser, dans ce qui était à la base un projet cinématographique, une part non négligeable de romanesque inattendu, prenant, bouleversant. Rossi signe aussi, peut-être, l’un de ses meilleurs albums, bourré de force, de violence, de vie et de mort, d’un lyrisme graphique écrasant. Ce Soldat Odawaa pourrait bien rejoindre dans le genre un certain Soldat Ryan. Cédric Apikian est revenu avec Ligne Claire sur la genèse d’Odawaa. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Cédric Apikian à Berlin en 2012

Cédric Apikian, Comment vous êtes-vous penché sur ce sujet méconnu, ces Amérindiens canadiens combattants en 14 ?

Je suis auteur réalisateur de cinéma à la base. Je suis fou de films de genre et j’adore l’Histoire. Enfant, je pensais plus devenir archéologue qu’autre chose. Donc mes films ont tous un rapport avec l’Histoire. Je sortais d’un drame, un western moyen-métrage que je venais de faire, Là où l’Indien dort, pendant la guerre de Sécession. Par hasard, ma compagne me dit que dans ses recherches, elle avait lu qu’il y avait eu des Indiens pendant la première guerre mondiale. Des snipers. Je le savais pour la seconde mais absolument pas que des Amérindiens s’étaient battus en 1914. J’ai creusé le sujet et suis tombé sur le héros canadien Francis « Peggy » Pegahmagabow qui a eu plus de trois cents cibles à son actif comme tireur d’élite. Je n’ai pas attendu longtemps pour écrire un scénario de long métrage sur le sujet. En parallèle, mon père avait trouvé dans la cave d’un magasin qu’il avait acheté à Marseille des lettres de poilus. Ça m’avait marqué. Les lettres plus les Indiens, il y avait les bases de Odawaa.

Vous partez sur une idée de base avec les Amérindiens canadiens mais vous dérivez vers un scénario romanesque plein de surprises, de rebondissements très durs, imprévisibles.

Je voulais m’éloigner de la bio ou de la reconstitution historique pure et dure. C’est plus légitime qu’un descendant d’Amérindien parle de ses ancêtres, dans ce cas, que moi. J’ai utilisé ces personnages pour les faire connaître mais surtout pour faire une histoire de fiction. Quand j’écris un film, je suis un spectateur dans la salle. En tant que scénariste de BD, c’est pareil. Qu’est-ce que j’aimerais lire ? Je pars comme ça, je vais me faire plaisir. Et ça fonctionne.

Il y a bien un moment où vous avez mis en place votre scénario BD, d’ailleurs très cinématographique. Mais qu’est-ce qui vous a provoqué le déclic pour inventer ces histoires assez tordues de manipulations, d’identité ? Difficile d’en dire plus sans trop en dire en fait, non ?

Oui, tout à fait. Les personnages sont réels, je me suis servi d’eux pour créer d’Odawaa. Qu’est ce qui fait qu’on bascule de l’action à une sorte de propagande ? Au moment où on écrit une histoire, il se passe des choses autour de soi, la peur de l’inconnu, de ce qui vient d’ailleurs, c’est très actuel. Ça a joué pour construire mon personnage, en particulier le capitaine Keating, chef des snipers amérindiens qui s’en sert mais ne combat pas avec eux.

Keating se sert des exploits, de l’image de l’Indien fantôme qui finira par tomber sur un autre chasseur mais allemand.

Cette propagande ressemble à ce que sont des manipulations très actuelles. A l’époque pas de téléphone, pas de communications, un brin de folklore. J’écris souvent au cinéma pour des comédiens qui vont m’interroger sur mes intentions. En BD, on survole souvent le scénario, mais dans mon cas je suis plus proche de ma façon de travailler pour un film. Je me mets à la place de mes personnages et je me repose sur des faits qui ont eu lieu.

Il y a beaucoup de signes symboliques comme le coquelicot qui sera la marque du souvenir des tués britanniques au combat comme en France le bleuet. Vous y avez ajouté un côté un peu western aussi ?

J’ai beaucoup adapté l’Histoire à cette BD. Mais il y a une part qu’on découvre dans l’album, une sorte de puzzle, un suspense. Pour le western, oui, c’est vrai, et Christian Rossi s’est aussi fait plaisir. Il y a un peu de Lee Van Cleef effectivement dans un personnage. J’avais le casting rêvé quand j’ai écrit le scénario. Rossi a pu évoluer en liberté.

Justement, passons au dessin avec Rossi. Comment vous êtes-vous rencontré ?

Je savais que faire le film serait trop long à faire. En BD, on pouvait en tirer un album. J’ai commencé à contacter les maisons d’édition qui m’ont demandé quel dessinateur j’aimerais avoir. J’ai dit Christian Rossi parce qu’une case de lui dans Deadline m’avait fait frémir, sa poésie, sa dureté. Et puis je connais son œuvre. On m’a dit d’arrêter de rêver, que je n’aurai pas Rossi. Puis comme je suis décidé il se trouve que j’ai eu l’occasion de le rencontrer, de lui montrer mon scénario. On a discuté pour l’émission que je faisais en télé. Il a lu le scénario, celui du film, complet. Quand il a su qu’il pourrait y participer, il a dit oui, qu’il n’avait jamais fait une histoire de guerre pareille. Ensuite, tout s’est fait en confiance, il a dessiné les premiers crayonnés. Et un jour, il me demande si je connais les Celtiques de Pratt. Alors là, il ne pouvait pas mieux tomber. C’est l’une des trois ou quatre BD que j’adore.

C’était quand ?

Fin janvier 2018, Christian commence à travailler. Le 8 février, Casterman donne son accord. Il fait les crayonnés et je lui ai livré au départ un scénario complet. Il y a eu des ajustements de mise en scène. Christian met du sens dans tout ce qu’il fait. J’ai repris des choses, la longueur des dialogues, des détails en fait. On a vraiment changé la fin. La dernière page est un clin d’œil à un autre scénario que j’ai.

Les couleurs jouent aussi un rôle très important.

C’est Christian qui s’en est occupé avec Walter. J’avais donné quelques pistes. Vert, gris, la boue, du dénaturée, comme des consignes à un directeur photo. Je leur ai dit de prendre l’affiche du Soldat Ryan et celle de Valhalla Rising. Ils avaient ainsi toutes les teintes du film que j’avais en tête.

C’est un one-shot qui a demandé une très grosse documentation. Vous remerciez Jean-Pierre Verney qui a travaillé sur 14-18 avec Tardi. C’est vraiment très précis, uniformes, décors, armement.

J’ai fait un maximum de recherches, compulsé des archives. Par contre, il y avait des points importants pour lesquels je me suis tourné vers Verney. Par exemple les grenades à gaz asphyxiant. On peut imaginer que c’était des prototypes d’essai utilisés dans l’album mais elles arrivent vraiment un peu après mon récit. Second point, le grade d’Hitler à cette date, quand il avait été nommé caporal, les numéros des régiments allemands sur les couvres casques à pointe qui disparaissent au cours de la guerre. Quand je ne savais pas, je demandais à Jean-Pierre.

C’est vrai que de nos jours c’est devenu important l’exactitude du détail.

Oui, j’étais allé au musée de Meaux sur la Grande Guerre. J’avais pris des photos. J’ai tout donné à Christian qui lui-même s’était beaucoup documenté.

Finalement, le capitaine Keating qui est à l’origine de toute cette histoire, est un personnage très littéraire, qui écrit beaucoup. Il a un petit côté Francis Blake ce Keating, non ?

Oui et en avance sur son temps. Il essaye aussi d’oublier sa propre vie. Il fait la guerre pour ça, celle d’un lettré. Pour Blake (rires), ce n’est pas faux. Au départ pas du tout. Il était un peu bourru, grosse moustache. Casterman a demandé à Christian d’affiner. Il l’a fait, et pour moi c’était Francis Blake. Ce qui n’était pas l’avis général mais je leur ai dit que tout le monde allait penser à Blake. Mais j’adore. Au fur et à mesure, il évolue physiquement.

Maintenant que la BD vous a ouvert ses pages, vous avez d’autres projets ? Le duo formé avec Rossi a donné un album très fort.

Déjà, l’exercice m’a plu. Rossi m’a fait un très beau film en BD. On peut concrétiser en BD ce qu’on aurait aimé produire sur écran. J’ai des scénarios prêts. Selon les ventes, on a la possibilité de faire un préquel à Odawaa, avec Rossi qui est intéressé, mais tout dépendra. Ce serait la partie canadienne avant la guerre qui n’est qu’évoquée. La Police Montée etc. Après il y a des auteurs avec lesquels j’aimerais travailler, avec qui on a échangé sur d’autres sujets. Steve Cuzor, Timothée Montaigne ont tout mon intérêt. Corentin Rouge aussi dont j’adore Rio mais je ne lui ai pas parlé. Il y a aussi Paul Gastine.

En thématique, qu’est-ce qui vous tenterait ?

Par goûts, la guerre de Sécession, 14-18, le western, la Commune à Paris, tout ce qui est autour des guerres napoléoniennes. C’est vaste, non ?

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