Carole Maurel et Navie, dont c’est le premier scénario de BD, ont signé Collaboration horizontale chez Delcourt. Un témoignage qui fait aussi acte de mémoire sur l’Occupation allemande en France. Il y a eu, c’est vrai, des histoires d’amour entre ennemis potentiels comme celle de Mark, officier allemand, et Rose dont le mari est prisonnier dans un stalag. On connait la relation de l’actrice Arletty avec un pilote de la Luftwaffe. On se retrouve donc à huis-clos dans un immeuble où vont se jouer plusieurs drames en même temps. Avec Carole Maurel et Navie, ligneclaire est revenue au salon du Livre de Paris sur cette Collaboration horizontale superbement dessinée sans ambiguïté et qui a la force de l’authenticité. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Un immeuble, un huis clos, l’occupation, un amour interdit, pourquoi ce choix ?
Navie : Le choix de l’époque, c’est lié à mes études d’Histoire. Je me suis spécialisé en étude des fascismes et de la collaboration. Le sujet m’attirait parce que c’est une zone d’ombre de notre passé récent, peu documentée et traitée. Quand il a fallu faire un synopsis, parler de courage ou de faiblesse, le huis-clos était parfait et permettait de créer de nombreux personnages réalistes. On trouvait beaucoup de communautés de voisinage à cette époque comme celle de l’immeuble que nous montrons.
Comment s’est monté le projet ? Le scénario était terminé ?
Navie : Pas du tout. Le scénario a été vendu sous la forme d’un synopsis de quelques pages qui a été présenté à Carole. Juste quelques lignes pour voir si cela lui plaisait. Elle a dit oui. On a travaillé ensuite par tiers. Elle a commencé à dessiner, on a échangé au fur et à mesure que j’écrivais le scénario.
Vous avez sûrement eu à faire un vrai travail de casting ?
Carole Maurel : Oui, le mot casting est juste. Il y a eu des personnages qui ne sont pas restés car ils n’apportaient rien. On a eu parfois des choix à faire, des coupes en fonction d’un volume global qui devait se tenir. En particulier en fonction du nombre de pages.
On aurait presque pu faire une série avec un album par personnage.
Carole Maurel : Oui mais c’était un one-shot dès le départ et Navie a écrit dans ce sens. J’avais par contre des fiches signalétiques par personnage.
Navie : Il y en a eu des compliqués comme Mark le soldat allemand. Il ne fallait pas tomber dans la caricature. Pour la belle Joséphine, paumée, c’est notre Marilyn fragile et triste, la malédiction de la beauté. Carole a trouvé des pistes avec des essais comme pour Henriette. Elle semble fragile, a vieilli vite mais est en fait est très dure.
Quand vous avez eu les noms sur l’affiche il fallait que tous vivent dans un espace clos, compliqué ? Avec des sentiments, un panel représentant ce que pouvait être l’époque.
Navie : Oui mais c’est avant tout un panel d’êtres humains. Tout le monde devait pouvoir mettre au départ des étiquettes sur les personnages qui allaient changer au fil des pages. Comme dans la vie il y a des apparences qui évoluent, sans clichés.
L’environnement est connu, il a laissé des traces avec l’épuration. On n’en pas vraiment parlé après la guerre.
Navie : On a honte de ces débordements. On est avec Carole une génération impliquée dans le féminisme et c’est en exhumant ce genre de problématiques qu’on peut en parler.
Carole Maurel : Oui il y a un côté actuel. On lapide bien des femmes aujourd’hui pour adultère. Ces femmes tondues ont été jugées par la foule avant la justice officielle. Ce sont des comportements malgré tout humains, que ce soit la violence ou l’amour.
Le dessin est souligné, coloré, plein de vie. Une victime va devenir bourreau, c’est Sarah qui est juive cachée dans l’immeuble.
Navie : On a tendance à croire qu’une victime a peur. En fait elle peut se rebeller devenir à son tour un bourreau.
Carole Maurel : On est souvent manichéen. On s’interdit de donner un rôle de méchant à une victime. Sarah a peur d’être dénoncée et son ami couche avec l’ennemi. C’est une trahison à ses yeux et elle ne défendra pas Carole qui l’a pourtant aidée.
Il y a aussi deux hommes, un bon et un méchant, un gendarme.
Navie : J’ai eu un peu peur de trop le caricaturer et en fait c’est un homme qui existe, il est le symbole du patriarcat. Il protège une femme et donc il considère qu’elle lui appartient. Il devient aussi un FFI de la dernière heure. Le second est aveugle, devenu bon peut-être. On ne sait pas trop. Il est tendre, il ne voit pas la beauté des femmes et il n’a pas d’envie.
Ce que vous montrez a existé.
Navie : J’ai travaillé pour mes études sur les lettres de dénonciations rassemblées à la préfecture de Police de Paris. C’était passionnant et instructif. Les tribunaux d’exception, des discussions avec ma famille, je sentais un malaise. On montrait des femmes se faire tondre aux écoliers. Il y avait un rapport évident à la sexualité. En temps de guerre c’est la panique. On rase ces femmes, on les prive de leur symbole féminin. On a laissé faire car on voulait se penser victorieux à tout prix et effacer l’humiliation de 1940. A la fin de l’album il y a des scènes animalières. Je voulais quand je l’ai écrit que ce soit des animaux qui regardent les femmes se faire tondre.
Vous avez dessiné dans un registre nouveau pour vous ?
Carole Maurel : C’est cohérent. Je voulais me lâcher avec des pistes inédites. On est sur du sensible, de l’émotion. J’ai eu bien sûr besoin de documentation d’époque.
Il y aurait pu avoir un happy-end ?
Navie et Carole Maurel : On y a réfléchi avec une jeune fille qui retrouvait le nom de son père. Mais c’était avant tout une grande histoire d’amour que transmettait la grand-mère à sa petite fille. On était plus sur le fond que sur la forme. Il y a eu des cas qui ont bien fini mais je voulais figer cet amour à cette époque. Ce sont mes premiers pas en BD mais pas en écriture. J’adore le scénario. J’ai une deuxième BD en cours et je retrouve Carole pour la 3ème. Je ne veux pas m’enfermer dans un genre. Carole est capable de se lancer dans n’importe quelle voie. Je vais bientôt lui envoyer le synopsis.
Comment a été reçu l’album ?
Navie et Carole Maurel : Très bien. On a été étonné. Je pensais que l’histoire pourrait déranger et en fait les gens nous demandent en dédicace le dessin de Mark. C’est une histoire d’amour avec un jeune homme qui lui aussi a souffert. Il a été élevé dans la haine de la France. On oublie l’âge de ces jeunes qui ont vingt ans à l’époque, sans excuser quoique ce soit. Cela dit l’Histoire peut balbutier à nouveau. Notre album est une façon d’appeler à la vigilance.
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