Le hasard des sorties a fait que Baudelaire soit le héros du dernier (très bon) roman de Jean Teulé (Crénom, Baudelaire ! éditions Mialet Barrault) au moment même où, dans Aire Libre, Yslaire poursuit la publication des ses très beaux cahiers tout autant consacrés à celui que l’on a pour coutume d’appeler le poète maudit. Et cela dans le cadre de ce qui sera chez Dupuis l’album hommage pour le bicentenaire de la naissance de cet écrivain remarquable. Il est vrai cependant qu’il n’a pas fait dans la dentelle ce jeune homme de bonne famille que l’on destine à la diplomatie et qu’un beau-père militaire va envoyer jeter sa gourme outre-mer. Mais voilà, Baudelaire est certes un génie tourmenté mais bourré aux as par héritage de son paternel décédé, amoureux en prime d’une Vénus Noire qui lui coûte cher. Ramdam chez les Baudelaire, ce qu’Yslaire met de fort belle façon en images dans ce cahier numéro 2.
Jeanne Duval est la muse du poète qui a écrit L’Albatros, Les Fleurs du mal et dont la santé va être rapidement mise à mal par la plupart des maladies vénériennes de l’époque. Il aime bien les prostituées Charles. La Jeanne dite la Vénus Noire, va être le fil rouge, la narratrice des aventures épiques mais tristounettes de ce bon Charles dont elle revendiquera l’héritage après l’avoir déjà mis sur la paille. Faut dire qu’elle est belle la Vénus, douée non seulement pour la bagatelle mais aussi pour écrire, si ce n’est, allez savoir, réécrire les poèmes de son amant. Il était parti vers les Indes le Charles, contraint et forcé, n’était pas passé inaperçu sur le bateau fringué ministre, peu causant, voire délirant. Il croise un albatros, fait une pause sur l’Île Bourbon et revient jouer à la bohème à Paris avec ses copains, De Banville, Nadar qui ne fait pas encore de photos, De Nerval pour les plus connus. Que fait Baudelaire ? Des vers. Et honore sa Vénus dont il est raide dingue amoureux.
Il y a évidemment du désespoir dans la course au pire de Baudelaire. La confiture verte dont il s’assomme chaque jour, drogue hallucinogène, ses relations pour le moins incongrues avec Sarah-la-louchette de peu de vertu qu’il rachètera, son notaire qui s’effraye de l’argent qu’il dépense, sa mère remariée, Charles navigue à vue. Le trait d’Yslaire lui donne une chair, une présence incroyable, lui apporte une dose de tristesse chronique et le replace dans le contexte du Paris des poètes en mal de reconnaissance. Mais la Vénus que sublime Yslaire est là, apporte toute son ambiguïté, sa beauté, peut-être son talent complice, à la vie courte de Baudelaire. Yslaire par instant a un dessin qui flirte avec celui de Daumier. Les pages sont des chocs visuels permanents. Et puis, on le répète une fois encore, il y a le cahier, la forme, l’objet, superbe et envoûtant. Trois tomes sont prévus. Le tirage de chacun est limité à 2500 exemplaires. A ne pas laisser passer.
Cahiers Baudelaire 2, Aire Libre Dupuis, 17,95 €
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