Franck Bourgeron, Hervé Bourhis au scénario, Hervé Tanquerelle au dessin, Isabelle Merlet aux couleurs ont pris en main la vie d’un des personnages les plus marquants du siècle dernier, André Malraux. A travers leur album Le Ministre et la Joconde (Casterman) qui raconte le prêt du célèbre tableau par la France aux États-Unis, suspense maritime, ils signent aussi une biographie en touches douces et font de Malraux un héros de BD. On saluera la performance du trio et celle du dessinateur Tanquerelle qui a ressuscité André Malraux, lui a sculpté un visage plus vrai que nature légèrement caricatural. Mais après tout Malraux n’était-il-pas capable avec le recul de se caricaturer lui-même ? Entretien avec les trois auteurs et un voyage dans le temps à côté d’un Malraux qui de la Guerre d’Espagne à la Chine de Mao où à L’Espoir reste une figure incontournable dont il faut garder le souvenir. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Votre trio fait revivre un Malraux exubérant. Pourquoi mettre Malraux en première ligne, certes héros atypique ? C’est une idée que vous aviez et qui a progressé ?
Bourhis : ça fait vingt ans qu’on blague avec Bourgeron, on est amis, autour des barons du gaullisme. On aime imiter leur façon de parler, ça nous fait rire. Et il y a la figure de Malraux qui nous fascine. On avait bien envisagé d’écrire une histoire autour de son personnage mais sans trouver l’axe. On avait pensé à Malraux en Inde puis on s’est rappelé l’anecdote de la Joconde sur le France en 1962. On a vérifié et Malraux était bien à bord.
A partir de là vous restez sur une base historique tout en y ajoutant un thriller maritime où il peut donner toute sa puissance. Comment avez vous travaillé pour restituer toute la saveur du personnage, les tics, les regards, les mots ?
Tanquerelle : Bourgeron et Bourhis m’avaient envoyé toute une doc, captures d’écrans, où on voit sa gestuelle. C’était une base et je suis allé ensuite chercher à droite à gauche des photos, travail classique du dessinateur avec la volonté d’en faire un vrai personnage, trouver la manière de dessiner mon Malraux. Il fallait aussi qu’il corresponde au Malraux des scénaristes. Un casting qui a débordé sur les premières pages et où il fallu resserrer les boulons pour qu’il joue juste.
Ce qui est le cas, il a un petit côté oiseau de proie, très vivant, fascinant dans les pages.
Bourhis : Il a un côté mythique mais humain. Malraux c’est un écrivain, un intellectuel et il a eu une vie avant de s’engager auprès de De Gaulle. Il a ensuite une densité totale. Il ne doit rien à De Gaulle contrairement à Mesmer ou Debré.
Son poste de ministre de la Culture quand même.
Bourgeron : Il aurait pu vivre sans être ministre mais content de l’être.
Bourhis : On a fait une comédie parce que Malraux peut être flamboyant et pathétique à la fois.
C’est une personnalité hors normes dont vous racontez la vie sur le France. Cambodge, années 20, la Joconde, la Résistance etc.. Vous vous êtes bien amusés.
Bourgeron : On fait son portrait avec le rythme nécessaire pour appuyer la fiction.
Bourhis : Oui la croisière s’amuse.
Un dessin qui revient sur Groenland Vertigo de Tanquerelle. Comment avec-vous travaillé à deux sur ce scénario ?
Bourgeron : La première étape a été une longue maturation autour du projet des barons du gaullisme. Bourhis a eu cette idée de Malraux. On s’est retrouvé sur le bateau des auteurs de Saint-Malo et là on a inventé l’unité de lieu, de temps et le concept général du voyage sur le France. Un symbole ce paquebot.
Bourhis : Le déclencheur est la disparition du tableau et j’ai écrit un premier jet.
Bourgeron : La planche de Jijé de 1972 a été déterminante où il est déjà un personnage de BD.
Il a tous les stéréotypes d’un héros de BD, Malraux. Tintin au Cambodge, la guerre d’Espagne, Alsace-Lorraine, Compagnon de la Libération, anti-colonialiste, l’Algérie, vous avez fait des choix ?
Bourhis : On en fait toujours. On a évité des choses plus personnelles, sentimentales, les décès et la mort qui rode autour de lui. On a parlé des choses qui demeurent dans l’inconscient collectif. Il y a l’enquête pour le vol et notre autre mission était de raconter sa vie sans que cela se voit.
On est tenu par le suspense et les briques des épisodes de sa vie viennent s’ajouter. Il faut savoir qui est Malraux pour apprécier votre album ?
Tanquerelle : On espère bien que non. Je pense qu’on peut lire cet album, s’amuser sans le connaître. On ne dit pas son nom dans les dialogues.
Il part en vrille mais est puissant.
Bourgeron: Il a l’oreille de De Gaulle. Il y a eu deux ministres de la Culture dont on se souvient, Malraux et Lang.
Bourhis : Il est comme un oiseau qui gonfle ses plumes pour être plus puissant. Il aurait aimé être ministre des Affaires Étrangères. Il a des imitateurs comme Bernard Henri-Lévy.
Si on veut mais il en est loin quand même. On pense parfois par contre à Sacha Guitry pour ses réparties. Combien de temps pour faire cet album ?
Bourgeron : Pour son emphase. On s’est bien amusé sur les dialogues d’ailleurs.
Tanquerelle: Un peu moins d’un an pour moi au dessin.
Bourhis : Ce n’est pas linéaire. Il y a eu une période de maturation.
Bourgeron : Mais quand on a commencé le scénario on savait le ton puis on a mis quelques mois pour l’écrire. On a livré le scénario complet, on est revenu sur des planches. Tout s’est fait naturellement. On s’est vraiment bien amusé, ont pris beaucoup de plaisir à le faire.
C’est une belle réussite. Il y a de l’émotion. Malraux ne peut pas laisser insensible.
Bourhis : Il est émouvant parce que pathétique. Forcément on a une vision de ces gens plus éloignée à l’époque. Nous on l’a rendue plus accessible, plus humain, drôle et tendre aussi. Il y a à la fois la volonté de l’égratigner mais on l’aime bien notre Malraux.
Bourgeron : On a du respect pour son parcours. Malraux c’était quelqu’un pour moi jeune qui était devenu un pilier du gaullisme et donc loin de ses idéaux du départ. On est dans un temps historique aujourd’hui et cela remet les choses à leur place avec le recul.
Un charmeur qui osait tout, de séduction. On aimerait bien peut-être le retrouver dans de nouvelles aventures. C’est une redécouverte aussi de Malraux votre album, très humain.
Bourgeron : On n’y avait pas pensé mais pourquoi pas. C’était un oiseau de haut vol. On a rencontré quelqu’un qui nous dit que l’image de Malraux s’estompait, ses ventes de bouquins aussi. On va peut-être remettre Malraux sur le devant de la scène.
Articles similaires