Il aura été une cible sur laquelle il était de bon ton de tirer à boulets rouges. Depuis l’affaire du Sofitel sur laquelle on ne saura sûrement jamais toute la vérité, Dominique Strauss-Kahn s’est vu ensuite affligé de tous les maux. L’ancien futur président a été embarqué dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire du Carlton où, avec d’autres personnages parfois atypiques, il était accusé par des juges d’instruction moralisateurs et sans recul, imbus d’une puissance sans frein, de proxénétisme aggravé en bande organisée. Flinguage garanti, tout était semble-t-il joué. Sauf que la pièce n’a pas eu la fin prévue. Dans Le Procès Carlton, une excellente consœur, Pascale Robert-Diard du Monde, et un brillant dessinateur, François Boucq, ont fait cause commune pour rendre compte en toute objectivité de ce qui restera comme une leçon de droit à l’encontre de juges d’instruction qui ont confondu pouvoir et interprétation du code.
Les chroniqueurs judiciaires, les bons, sont des happy few comme on dit, une poignée de professionnels rompus à tous les rouages d’affaires complexes et souvent très médiatisées dont l’exemple le plus célèbre depuis que la TV existe a été Frédéric Pottecher. Il était capable de reconstituer en cinq minutes atmosphère et personnages des procès les plus populaires. Il les vivait en direct à l’antenne.
Pascale Robert-Diard est l’une des spécialistes de ces scènes incroyables en prétoire où se joue le destin de femmes et d’hommes à qui la Justice reproche des actes divers, souvent hors normes. Jamais à l’abri d’un coup de théâtre. François Boucq, lui, est un auteur de bande dessinée. Il a endossé avec le Procès Carlton le costume de dessinateur judiciaire, de presse, seul moyen d’avoir des traces visuelles d’un procès qui ne peut être photographié après son ouverture et pendant les débats. Pas évident cette association. Il a fallu que Pascale Robert-Diard s’adapte au format de cet album et non plus à ses chroniques quotidiennes du Monde remises en forme. Et Boucq vivait en direct un scénario qui allait évoluer selon le bon vouloir des acteurs.
Le résultat est à la hauteur de leurs ambitions dont celle de vouloir rendre compte de la complexité d’une situation certes moralement indéfendable mais juridiquement inattaquable. Boucq n’a fait ni caricature, ni dessin réaliste. Il a dessiné DSK ou Momo la saumure tels qu’il les ressentaient. Ce qui surprendra ceux qui attendent à tort le dessinateur du Bouncer dans l’exercice. Une autre face de son talent, risquée mais réussie. On dévore ce Procès Carlton remarquablement écrit et illustré. Quelle fiction aurait pu rejoindre cette réalité ? Une lutte entre procureur et instruction qui avait bâti son accusation sur une interprétation des textes, sur des témoignages fragiles pour ne pas dire plus, sur des interprétations. C’est la Justice qui a gagné. Reste le verdict pour DSK, la relaxe. Un sentiment, après Outreau, d’un gâchis de plus nuisible à l’image que l’on devrait avoir impartiale et sereine de l’instruction.
Le Procès Carlton, Le Lombard, 15 €
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