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Nungesser : il a fait de sa vie une légende

Un dandy, mélange de Peter Pan et de Petit Prince, Charles Nungesser était un aventurier impénitent, As de la chasse en 1918, acrobate aérien après guerre. Son dernier vol à bord de l’Oiseau Blanc reste aujourd’hui son titre de noblesse. Nungesser et Coli, son navigateur, n’ont jamais atteint l’Amérique le 8 mai 1927. Fred Bernard et Aseyn signent chez Casterman une foisonnante biographie hagiographique donc embellie de 150 pages. Décollage immédiat vers ces cieux insondables qui ont accueilli l’âme d’enfant capricieux de Charles Nungesser. Texte de Jean-Laurent TRUC également publié dans le mensuel ZOO de septembre.

Nungesser, c’est une histoire d’éditeur, celle de Didier Borg chez Casterman qui a pour l’aviateur passion et curiosité. « Sincèrement, je ne connaissais pas grand chose de Nungesser avant que Didier Borg ne m’en parle », avoue Fred Bernard. « Hormis, bien sûr, l’Oiseau blanc perdu en mer dont on n’a jamais su la fin en 1927 » poursuit le scénariste. Pas évident en effet pour le créateur de l’ineffable et adorable Jeanne Picquigny de se plonger en piqué dans l’univers de Nungesser. Didier Borg lui donne carte blanche. « Mais je ne pouvais pas à la fois écrire et dessiner. Pas le temps. Trop de travail de recherche à pour trier entre légende et réalité ». Il fallait donc trouver un dessinateur. Cela a pris du temps pour proposer à Aseyn de s’envoler aux côtés de Fred Bernard.

« J’ai fait des essais et Fred a aimé », se souvient Aseyn. « J’ai apprécié cette collaboration que nous devrions d’ailleurs renouveler. Je suis resté pointilleux pour éviter des anachronismes dans mon dessin. Je suis allé sur des sites spécialisés. J’ai totalement travaillé sur ordinateur. C’est plus simple et permet d’avoir aussi une vraie homogénéité dans le trait. Sur papier on dessine. Sur écran on fait une image. »

Une carte postale d’époque du départ de Paris sur L’Oiseau Blanc

Comme Nungesser et Coli pour l’Atlantique, le duo Fred Bernard et Aseyn s’attaquait aussi à un défi. Redonner vie à Nungesser, enfant gâté, sale gosse génial, qui a eu un destin d’exception. A 15 ans il part en Amérique du Sud, devient coureur automobile, boxeur, monte dans un Blériot et décolle sans jamais avoir piloté. Un casse-cou que rien n’effraie. Il voudra toute sa vie que son père soit fier de lui. Le jeune Charles s’embarque dans la foulée dans la Grande Guerre en 1914. Héros vite décoré, il demande à passer dans l’aviation. Sa légende commence.

Un cercueil et une tête de mort

« Il fait peindre un cercueil et une tête de mort sur son Nieuport. Il ne vole que pour descendre des avions allemands, défie l’autorité, gamin espiègle et sûr de lui qui va souffrir l’enfer après avoir été blessé à maintes reprises. Il refuse qu’on l’anesthésie quand on l’opère. Nungesser veut avoir prise sur sa vie à chaque instant », a découvert Fred Bernard. Il est devenu, comme Guynemer ou Fonck, l’image même de l’As guerrier. Pour être un As il faut avoir abattu au moins cinq avions. Nungesser sera crédité de 45. Il a trouvé la gloire.

Et puis il y a le séducteur, le beau mec au regard sympathique que Aseyn dessine plus juvénile que dans la réalité, le tout en noir et blanc, d’un trait aussi léger que l’air qui porte l’Oiseau Blanc. Nungesser, on l’adore ou on le hait. A ses côtés, toute sa vie, il y aura la belle et amoureuse Émilie. Fred Bernard lui a inventé ce prénom et en a fait la narratrice de la course à la gloire de Nungesser. Elle a vraiment existé. Jamais Nungesser, qui épousera Consuelo la riche américaine, ne s’éloignera d’Émilie. « J’ai imaginé qu’Émilie se moquait un peu de lui. Elle montre l’envers du décor ».

Aseyn, lui, a inventé Émilie graphiquement : « Une brune aux cheveux longs. Pour le père de Nungesser j’ai adouci les traits ». Aseyn a réussi à recréer l’ambiance de ces fous volants dans leurs drôles de machines. Il a imposé son style qui colle à merveille avec le récit de Fred Bernard. « Je ne suis pas comme mon ami Romain Hugault dont les fans pistent les détails des dessins. J’ai découvert que par exemple on démarrait le moteur en lançant l’hélice à la main en 1914 », complète Aseyn.

Après la guerre Nungesser monte une école de pilotage et fait faillite. Le pilote n’est pas un gestionnaire. Il lui faut la gloire encore et toujours. Il part en Amérique dans un cirque aérien, reconversion de ces pilotes qui inondent le marché. Il tourne même un film où il joue (mal) son rôle. Et puis il y a la chasse aux records, la traversée de l’Atlantique. Nungesser, affirme Fred Bernard, veut « vivre plus fort que pendant la guerre. Et c’est l’Oiseau Blanc avec Coli son navigateur. Il s’envolent et n’arriveront jamais à New York. On ne sait toujours pas ce qui s’est passé. C’est Lindbergh qui sera le premier dix jours plus tard ». Nungesser a eu une existence aussi dense que l’album qu’on lui consacre. Sans l’Oiseau Blanc et son mystère, pas sûr qu’on se souvienne encore autant de lui. Comme le dit Fred Bernard « je voulais qu’on soit ému à la fin, qu’on se soit attaché à lui, à ce charmeur héroïque qui a fait de sa vie une légende ».

Lire aussi l’interview des auteurs sur CultureBD.

Nungesser, par Fred Bernard et Aseyn, Casterman, 150 pages noir et blanc, 23 €

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