Nottingham, un nom qui se suffit à lui-même, évocateur bien sûr d’un mythe, celui de Robin des Bois ou Hood, comme on veut. Errol Flynn en collant ou Kevin Costner, Russell Crowe qui ne sourient jamais, le roi de Sherwood revient dans une série écrite par Brugeas (Ira Dei, Conan, The Regiment) et Herzet qui avaient signé La Cagoule. On rebat les cartes et le Shérif est un Robin potentiel. Ils ont osé, avec au dessin Benoit Dellac (Sonora, Serpent Dieu) qui, de crayon de maître, a investi ce monde universel et explique à ligneclaire comment il s’est retrouvé parmi les joyeux compagnons de Sherwood aux côtés aussi d’une Marianne en libératrice sans états d’âme. Un défi très réussi. L’album parait ce 22 janvier. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Benoît Dellac, vous êtes un iconoclaste. Vous revisitez avec vos scénaristes un mythe qui a bercé des générations d’enfants taillant dans des branches pour se faire arc et flèches comme Robin des Bois ?
C’était un bon défi à relever. Il y a d’ailleurs beaucoup d’attente de ma part sur le ressenti des lecteurs. Quand j’ai lu le synopsis et cette évolution de l’identité de Robin des Bois qui serait le Shérif de Nottingham, cela m’a donné envie de m’y mettre et ne pas refaire un énième Robin classique.
Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure et rejoint la bande de Robin ?
C’est Matthias, un éditeur du Lombard qui m’a contacté via Facebook. En été 2019, il avait lu le tome 2 du Serpent Dieu et m’a demandé si j’étais intéressé par travailler avec Brugeas et Herzet sur un sujet qui collerait bien à mon graphisme. J’ai donc eu ce synopsis avec le titre, Nottingham, et j’ai dit OK.
Vous connaissiez les scénaristes ?
Leur travail oui mais pas personnellement. Ils n’avaient que le pitch présenté au Lombard. Ils ont écrit entre septembre et décembre 2019. Pendant ce temps j’ai pu faire les premières recherches.
Je leur ai demandé quelle était leur vision, leur inspiration. J’ai cherché, fait des propositions de personnages retenues quand c’était intéressant. Il y a eu un échange permanent pendant la conception du script entre ce qu’ils écrivaient et mes recherches. Quand j’ai attaqué le dessin, j’étais en plein dans le sujet.
Vous avez donc participé à l’élaboration ?
En fait ils travaillent une fois par semaine sur Skype et on reçoit leurs pages avec l’éditeur pour qu’on leur donne notre avis. Donc on a eu une implication très agréable.
Vous étiez vous-même un fervent de Robin des Bois ?
Oui tout à fait. J’avais vu les films, le Disney, le Mel Brooks. J’avais apprécié le Ridley Scott pour son esthétisme. J’ai tout revu et gardé ce qui me semblait le plus intéressant. Et quand je travaillais je me les repassais.
L’idée étonnante est que finalement Robin emprunte un peu à Zorro. On est plus dans le vengeur masqué que dans Robin des Bois, sans oublier le lien avec Marianne.
Les scénaristes ont rendu le personnage encore plus réel. On n’est jamais blanc ou noir, il y a du gris dans la vie. Le héros va vouloir avancer, faire des choix, prendre une autre identité pour y arriver mais qui va aussi lui poser des problèmes. Comme Shérif il va être en contradiction avec ce qu’il veut mettre en place avec Marianne. Il y a plein de petits évènements qui apportent à la crédibilité et à l’humain.
Pour vous dessinateur, en vous glissant dans cette histoire en partie réinventée bien que gardant des repères, avez-vous pu entrer dans le jeu et tirer un trait sur votre souvenir de Robin ?
Oui, on va voir arriver ces repères, mais de façon inattendue. On est sur trois albums, le second dans un an. Je suis très agréablement surpris et content de ce que Le Lombard a fait autour de Nottingham. On a donné le meilleur et quand il a été lu au Lombard les gens ont été réceptifs. Ils ont foncé.
C’est vrai aussi qu’on est dans un environnement assez sombre contrairement à la version de Curtiz ou autre. On est dans une version plus noire.
On est dans quelque chose de plus réaliste, qui colle plus à l’époque. Cela ne devait pas être joyeux tous les jours. Et ce côté sombre était intéressant à amener avec des décisions qui ne seront pas simples à vivre. D’où ce que j’ai mis comme intentions dans mon dessin pour surprendre et donner envie de continuer à lire, découvrir.
Marianne apparait assez vite comme femme d’action dans les films les plus récents. Dans votre album aussi. Il y aura encore plus de surprises par rapport à la vison traditionnelle ? Gisborne n’est pas là, c’est Morville qui est l’âme damnée du Prince Jean.
Le but est d’avoir des surprises dans chaque album et d’arriver au final au mythe de Robin des Bois. Tout va se mettre en place au fur et à mesure. Mais le Shérif reste qui il est dans le tome 1. On le dit de suite pour attirer le lecteur. C’est Robin mais de façon différente.
Une fois le scénario bouclé comment avez-vous travaillé ?
J’aime bien avoir tout le scénario quand je travaille. Cela me permet de savoir où je vais. Je sais réajuster, placer les décors. Je peux planifier plus efficacement. Je fais un story-board crayonné assez poussé pour présenter aux scénaristes quelque chose de très lisible. J’imprime au bleu. J’encre au pinceau et encre de Chine. L’univers me parlait beaucoup. J’aime avoir des arbres, de la pierre. Cela coule naturellement quand j’encre et je prends plaisir. Je travaille sur du A2. J’ai fait, comme vous l’avez remarqué, une panoramique de deux pages où les bandes passent en parallèle d’un côté à l’autre. C’est une demande des scénaristes et ils sont ouverts à tout, en particulier pour les flashbacks qui ont été très travaillés. Je tente des choses et je me fais plaisir, ce qui est nécessaire. Toutes les intentions sont posées à l’encrage.
Je reviens à la notion de Zorro car personne ne sait dans Nottingham que c’est lui le justicier à part Marianne ou Scarlett. Il a un côté super-héros anonyme dans la vie quotidienne. C’est aussi ça la démarche ?
Je ne crois pas même si on avait évoqué Batman et la double identité. Ça reste cela dit un peu ça. Il y a effectivement la question de l’identité qui empêche de faire ce que l’on veut publiquement d’où ce mélange qui rajoute du piment.
A la fin du premier album, les cartes sont abattues surtout face au Prince Jean, lui fidèle de Richard donc dans le tome 2 il aura du mal à jouer sur tous les tableaux.
Il va se retrouver dans une position où s’il fait trop Robin il va provoquer des soupçons. Il ne pourra pas être à deux endroits à la fois. Morville va se poser des questions. Le Shérif va être bloqué par sa position officielle. D’où des choix à faire dans le tome 2. Cela va se jouer à plusieurs niveaux. Si le public est au rendez-vous il pourrait y avoir un second cycle. Une autre aventure en fait. Mais on verra. Disons qu’on a un personnage qui le permet tout en faisant une histoire complète avec les trois premiers albums.
Vous n’avez pas eu peur de déstabiliser le lecteur ?
C’est un risque quand vous prenez un personnage emblématique. Il y aura de tout comme réactions et on en a été conscient. On redécouvre en fait le mythe et ça m’a donné envie de voir. Nottingham c’est Robin de toute façon.
Plus le couple Marianne et le Shérif qui ira on ne sait où ?
Marianne a une vraie position de hors la loi et lui est Shérif, donc avec des choix en contradictions avec les siens. Cela donne une richesse aux personnages et donne envie de savoir ce qui va leur arriver.
Vous l’avez campée comme une femme forte, décidée, intransigeante.
Elle se coupe les cheveux à la fin, ce n’est pas neutre et cela a fait rebondir le scénario, plus sa voix en off. Marianne est presque le personnage principal. Le fait qu’ils soient deux est donc plus simple théoriquement pour jouer sur l’action.
Quels sont vos projets hormis la belle et fougueuse Marianne ?
Je suis sur plusieurs séries comme story-boarder chez Soleil. J’attaque aussi deux projets avec mon scénariste de Serpent Dieu chez Glénat Jerome LeGris, Hawkmoon de Michael Moorcock, écrivain d’Elric et une histoire d’amour à l’époque victorienne à Londres en one-shot. J’arrive à me mettre au travail assez vite. Il me faut six mois pour un album. Pour Nottingham Brugeas et Herzet sont en train d’écrire le tome 3. Les autres albums sont écrits et c’est un vrai luxe à condition de bien s’organiser.
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