Béatrice Tillier était la présidente de l’édition 2019 du festival de Fabrègues dans l’Hérault. Elle en avait signé l’affiche. Avec le cycle des Sorcières sur le scénario de Jean Dufaux, et après l’exceptionnel Bois des Vierges, Béatrice Tillier a imposé son trait élégant, riche et envoûtant. Elle revient avec Ligne Claire sur la Complainte des Landes Perdues, Delaby, Dufaux et parle aussi de sa façon de travailler, de ses projets. Béatrice Tillier auteure complète, scénario et dessin ? Pourquoi pas. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Béatrice Tillier, faisons un point d’étape. Vous savez, avec Jean Dufaux, jusqu’où vous allez avec la Complainte et le cycle des Sorcières ?
On travaille sur le troisième cycle qui comportera quatre tomes. On raccroche les wagons avec ce qu’avait fait Delaby dans les Chevaliers du Pardon. On a la genèse des sorcières à boucler. Jean sait sûrement lui où il veut aller ensuite. On peut toujours ménager des suites mais c’est lui qui a son fil rouge en tête.
La Complainte est une quête aux noms prestigieux Rosinsnki, Delaby, vous, mais aussi lourde à gérer, qui a marqué. Cela a été compliqué pour vous de vous lancer dans cette aventure ?
Non, cela s’est fait très naturellement. J’étais avec Jean Dufaux à Saint-Malo pour savoir ce que l’on ferait si le Bois des Vierges n’était pas repris. Le cycle 3 des Sorcières était annoncé et je lui ai demandé si un dessinateur était prévu. Il m’a dit non, qu’il n’y avait pas réfléchi. Je lui ai dit que le projet et l’univers m’intéressait. J’aimais déjà beaucoup la dernière Complainte, son univers. Quand j’ai rencontré Delaby, j’ai vu que son travail était dans la veine de mes univers.
Vous n’avez pas pris la suite de Delaby en fait ?
Pas du tout. Ce n’est pas une reprise. Je n’ai pas pris effectivement la suite de de Delaby. Il savait que c’était moi qui allait faire les Sorcières et c’est lui qui l’a annoncé. Il était fier de le dire. Le but était aussi de ne pas trahir sa mémoire. Il n’y a pas de personnages communs avec les autres cycles dans celui des Sorcières.
On est toujours dans un environnement fantastique ? Des ambiances graphiquement plus fortes, loin d’un réalisme plus contemporain qui pourrait vous tenter ?
Oui. Mais je ne me sens pas trop à l’aise dans du contemporain classique. J’ai essayé. Il faut que je laisse vagabonder mon esprit. Fantasmer, avoir une liberté certaine.
Comment travaillez-vous avec Jean Dufaux ? Beaucoup d’échanges, un scénario très écrit ?
On avait commencé à mettre en place une façon de travailler avec le Bois de Vierges. On se voyait une fois par mois, on faisait le point sur les planches. S’est installé peu à peu une confiance totale entre ce que Jean me donnait et moi. Aujourd’hui, on n’a plus besoin de ça. Il sait ce que je vais faire de son scénario.
Il écrit sous forme de séquences, de pages, un scénario complet ?
Je n’ai jamais de synopsis. C’est toujours le découpage par page, dialogues, des intentions. Pour le reste je suis libre même pour la création des personnages. Il y a parfois des détails comme les têtes de mort en boucles d’oreille. Pour le tome 3, Regina obscura, j’ai eu d’un coup tout le scénario.
Ça coule bien parce qu’il y a a une grande complicité entre vous ?
On a la même vision cinématographique de la BD. Des références cinéma, séries. Game of Thrones, les Vikings. La façon d’aborder graphiquement les scènes, le langage est aussi cinématographique. On parle souvent en termes de caméra, de photo, de couleurs. Chaque fois que je termine une planche je la lui envoie.
Il réagit ?
Rarement. Quand on se voit. Il n’y a même plus de story-board. Pour les deux premiers tomes je ne savais pas la fin en commençant. C’est un peu compliqué quand on apprend en plein milieu une filiation entre deux personnages qu’on avait pas matérialisé. Pour le tome 3, j’ai eu l’album d’un coup. Et j’en suis à une quinzaine de planches pour une parution dans deux ans. J’ai eu beaucoup de promo cette année. La Complainte alterne avec Murena.
Comment travaillez-vous à partir du scénario ?
De façon classique, je m’imprègne du texte. S’il y a de nouveaux personnages je me fais un casting, des recherches pour savoir où je vais. Je travaille la documentation. J’enrichis tout ça. Une grosse phase préparatoire pour la doc afin de tout avoir sous la main quand je vais commencer. Je muris la mise en scène, l’action. Je fais un découpage plus ou moins précis selon la difficulté des scènes. Et je passe au crayonné reproduit sur table puis encrage sur papier. L’ordinateur me sert pour une mise en place des dialogues et le nettoyage. Je travaille sur format A3. Si je travaillais plus grand, j’aurais tendance à en mettre plus (rires).
En parallèle des Complaintes vous avez d’autres envies, des travaux en préparation ?
Non, vraiment, quand je suis dans un album je m’y consacre. Si je fais des choses à côté ce sera dans le cadre de l’album, affiche, couvertures, ex-libris.
Le côté animalier du Bois des Vierges vous manque ? Vous pourriez y revenir ?
Ce qui me plaisait était le côté créatures du Bois. Les hybrides que je pouvais inventer. En dédicace, j’aime me reposer, me faire plaisir avec un dessin pour le Bois. C’est une autre approche, une récréation. J’ai des idées. Il y a tellement de choses que l’on n’a pas pu exploiter après la reprise par Delcourt qui serait très partant pour une suite.
Et travailler seule, scénario et dessin ?
J’aimerais bien m’y mettre. J’ai deux diptyques écrits qui n’ont pas de rapport entre eux. J’aime raconter des histoires évidemment. La formule du conte, pas forcément du fantastique mais un Moyen Âge imaginaire ou rêvé. Un univers avec des légendes. Pas un Moyen Age historique, idéalisé plutôt. Me faire plaisir avec costumes, architecture et me concentrer sur les personnages, ce qui leur arrive.
Une histoire joyeuse, tragique, dramatique ?
De l’humour, un peu violent mais c’est personnel pour l’instant. J’enrichis mes textes peu à peu. Travailler avec Jean Dufaux est une bonne école pour le scénario. Quand les quatre tomes de la Complainte seront finis je pourrai m’y consacrer plus facilement.
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