Si il y a bien dans la littérature française contemporaine un maître mythique totalement décalé, indépendant, génial, c’est bien Joseph Kessel. Spontanément on citera de lui Le Lion mais ce serait réducteur d’en rester là. Avec Joseph Kessel l’indomptable de Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun au scénario (Ligne Claire va publier leur interview), Nicolas Otéro au dessin, on rentre dans une partie de l’intimité de l’écrivain grand reporter académicien. Mais parce qu’il l’a bien voulu à l’époque la dévoiler en se laissant enregistrer par son filleul, Jean-Marie Baron dont le père était très proche de lui et un des premiers ralliés à la France Libre. Un voyage au cœur du XXe siècle dont Kessel restera à jamais un des rares grands témoins.
1974, Kessel dit à Jean-Marie Baron qui ne l’a jamais lu, que son père était l’un de ses plus grands lecteurs. Kessel a vécu ou presque ce qu’il y a dans ses livres. Et se raconte, Baron enregistre. Ses origines russes, ses parents qui se rencontrent à Montpellier où ils font médecine. Seul son père le deviendra. Direction l’Amérique du Sud où on parle d’installer une colonie juive. 1898 en Argentine né Joseph Kessel. Son père soigne les pauvres mais son épouse le pousse à retourner en Russie, ce qu’ils font, à Orenburg. Sur le bateau Joseph bébé échappe à la mort. Lazare son petit frère, celui qui va devenir son âme sœur, né en Russie. Ils émigrent en France, à Nice. Kessel se découvre une passion pour la littérature, il voulait vivre comme d’Artagnan et écrire comme Dumas. Aventure, courage, respect de la parole donnée, amitié. Il écrit son premier ouvrage, une BD illustrée par son frère. Mais la guerre de 14 le rattrape, il quitte son frère si aimé, devient pilote, n’est pas épargné par l’antisémitisme, veille sur son lit de mort son capitaine. Il part en 1918 à Vladivostok pour l’armée. C’est aussi le début véritable de ses aventures qui vont donner tant de superbes romans.
Kessel c’est bien sûr L’Armée des Ombres écrit à Londres comme Le Chant des partisans avec Maurice Druon pendant la guerre. L’Équipage et l’aviation, il se rengage dans la France Libre comme pilote. Ce sera la guerre en Irlande puis d’Espagne comme envoyé spécial, Nuits de Montmartre, Belle de jour adapté et tourné avec Deneuve, Les Mains du miracle, Les Cavaliers, Fortune Carrée et Tous n’étaient pas des anges. Il est inépuisable Kessel et on ne peut dissocier de lui au moins pour ses grands reportages Pierre Lazareff patron illustre de Paris Soir qui deviendra France Soir et un des fondateurs de Cinq Colonnes à la Une, émission culte de grands reportages à la TV des années 60.
Kessel c’était un regard, à la fois interrogateur, pensif, qui pesait homme ou le fait. Quand on l’a croisé une fois, qu’on a échangé quelques mots avec lui, idole de toute une génération de jeunes futurs journalistes, on en garde pour toujours la marque. Kessel n’a jamais quitté le devant de la scène. Il est rentré à La Pléiade, ses ventes ont grimpé pendant le confinement. L’album de Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun lui redonne vie, l’explique, bien qu’il ait gardé une grande partie de ses secrets. Ce qui fait aussi partie du personnage et de son mythe. Otéro a parfaitement graphiquement su scander époques, relief du personnage.
Joseph Kessel l’indomptable, Steinkis, 20 €
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