Parler de Recep Tayyip Erdoğan aujourd’hui, en pleine crise ukrainienne le ferait presque passer pour un grand calme, ex-trublion excité largement dépassé par Poutine. Et pourtant on joue avec Erdogan dans la même catégorie de dictateur impitoyable, prime à la religion cependant pour le maître de la Turquie. Un parcours incroyable, mené avec une volonté hors normes, une détermination sans faille, une absence totale de sentiments, Erdogan aura marqué deux siècles, la fin du XXe et le XXIe sans qu’on sache jusqu’où ira son besoin de puissance viscéral. Cette biographie sous forme de roman graphique n’a rien d’autorisé évidemment. Ce sont deux opposants au régime turc et exilés, le dessinateur Anwar et le journaliste, Can Dündar qui la signent. On suit pas à pas la montée en puissance d’Erdogan le monomaniaque et cela fait froid dans le dos sans que pour autant l’Occident ait, ou veuille vraiment en prendre conscience. Reste que cet ouvrage explique bien, fait découvrir dans le détail un homme qui quoiqu’il en soit est incontournable à ce jour sur la scène mondiale.
Recep Erdogan aurait pu être un joueur de foot reconnu. Né au début des années 50, fil du capitaine Ahmet Erdogan sa famille est pauvre. Il passe beaucoup de temps à la mosquée et deviendra très pieux, un trait majeur de sa personnalité. Il rêve de foot comme un petit garçon peut le faire, avec joie et passion mais contre l’avis de son père qui va le battre souvent. La discipline, un autre trait d’Erdogan et des accès de colère hérités de son père. En Turquie au début des années soixante tout bouge. Erdogan intègre un lycée religieux pour étudiants pauvres. Il fait des petits boulots, son père continue à le maltraiter. Mais on finit par le laisser jouer, son oncle intercède. Erdogan continue à privilégier famille et religion. Il va faire bientôt ses premiers pas en politique avec le MTTB d’obédience religieuse qui aura son martyr, Mustafa Bigil. Erbakan deviendra son idole et celle des jeunes musulmans qui se sentent opprimés par l’Occident. Il prône une union islamique.
310 pages pour cette biographie, un Erdogan qui va être longtemps l’homme des occasions manquées. Coup d’état militaire de 1971, la génération verte soutenue par les USA pour se battre contre le communisme, Ergodan, c’est en toile de fond la grande histoire du monde. Homme de terrain et petit employé communal, il sait gravir les échelons, trouve la moindre faille. Erdogan a une vraie conscience politique, une réelle intelligence, sait jouer aussi en sous main, être d’un opportunisme naturel si besoin est. Sa vie est passée au peigne fin sur des textes et des dessins qui placent parfaitement tous les pions sur cet échiquier qui va en faire si ce n’est un roi mais un sultan moderne. Une documentation énorme, de tout bord, photos, cette biographie qui va jusqu’à son arrivée à la tête de la Turquie est une somme qui, une fois encore, permet de comprendre que pour Erdogan comme le disent les auteurs, la démocratie est un moyen, pas une fin. Quelle sera la prochaine étape pour un homme qui est déjà au plus haut du pouvoir en pleine crise ukrainienne ? Médiateur pour reconquérir une légitimité internationale ? Possible.
Erdogan, Le nouveau sultan, Delcourt Encrages, 29,95 €
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