San-Antonio vu par François Boucq, c’est toute une histoire. Et un Artbook, mais un retour en arrière s’impose. Au début, celui des Souris ont la peau tendre, de Rue des macchabées ou de Fleur de nave vinaigrette, les couvertures de San-Antonio, flic de choc, beau gosse, tombeur, fils fidèle, ancien résistant, indestructible, étaient dans la plus pure tradition Fleuve Noir. Un format poche que Gourdon dessinait donnant un ton à la collection que Frédéric Dard signait sous pseudo.
De quoi marquer plusieurs générations qui s’esclaffaient à l’argot et au style de Dard, aux facéties de Bérurier ou de Pinaud dit Pinuche. Sans oublier leur patron au crâne boule de billard, un pur et dur à tendance Grand Charles si on se souvient bien. Certains ont même profité des vacances scolaires forcées de mai 68 pour lire la totalité des titres parus à l’époque.
Arrivera plus tard un autre sacré loustic côté dessin, Dubout, qui, lui, illustrera L’Histoire de France vue par San-Antonio, Béru-Béru ou Les Vacances de Bérurier avec sa femme, Berthe, gentiment surnommée la Baleine. Du grand art parce que Dubout avait su s’approprier les personnages comme il l’avait fait pour les affiches de la trilogie de Pagnol, Marius, César et Fanny. On passe sur la suite pour les couvertures, banales en diable hormis celles bien sûr, parfaitement dans le ton, d’un certain Wolinski. Et oui, du beau boulot. Jusqu’au jour, au début de ce siècle, où Boucq les réinvente ces couvertures et leur donne son crayon pour les redessiner. Et alors là, on exulte. Le commissaire et sa troupe d’improbables façon Dard se repayent une jeunesse. D’où cet Artbook, on y vient enfin, qui les rassemblent, préfacé par Antoine De Caunes et par une interview qu’il avait réalisé avec Frédéric Dard. François Rivière, grand spécialiste du commissaire, s’est chargé de la postface et Eric Verhoest d’un article bien trempé sur Boucq, sa façon d’appréhender le sujet, le travailler pour en arriver à des scènes d’anthologie capable de donner envie de lire le polar, de donner un ton drôle et décalé.
Ce n’était pas évident comme défi. San-Antonio, un peu moins peut-être aujourd’hui, c’était une sorte de héros national, une mémoire collective, un super-héros à la française. Il fallait tout le talent subversif parfois de Boucq, son humour à froid et son coup de crayon pour que ces 103 couvertures new-look puissent se démarquer des précédentes, renouvelles la vision du mythe. Dans le Artbook, elles y sont dans un beau format où Boucq s’en donne à cœur joie. Il ne passe pas en force. Il ruse, dans le ton, un peu surréaliste. Pour La vérité en salade, Bérurier et Pinuche tentent de faire parler une laitue. Humour. Il faut les savourer ces couvertures sur lesquelles par contre San-Antonio, le héros, est la plupart du temps aux abonnés absents. Béru est la star avec Pinuche ou la Baleine, plus quelques autres gais lurons de circonstances. On tourne les pages avec un brin de nostalgie. On rit, on se souvient et Boucq atteint toujours sa cible, associé parfaitement à l’univers de San-Antonio. Encore un titre tout public à offrir à Noël.
Artbook Boucq, Tome 1, San-Antonio, Champaka Brussels – Dupuis Aire Libre, 28,95 €
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