Pigalle 1950, un polar atypique signé au scénario par Pierre Christin qui forme avec Jean-Michel Arroyo un duo étonnant, détonnant dont les talents réciproques sont venus s’associer en toute simplicité. Après Buck Danny Classic, Arroyo d’un trait époustouflant de rigueur qui montre la vraie dimension de son talent toujours en mouvement, a su se mettre au service de l’écriture de l’un des plus grands maîtres du scénario. Arroyo-Christin, c’est une interview croisée en exclusivité avec Ligne Claire qui parle de Pigalle 1950 prévu à la fin de l’année mais aussi de leur prochaine collaboration, L’Île des riches, qui paraîtra aussi chez Aire Libre en 2022. Pierre Christin revient également sur le Valérian que dessinera Valérie Augustin. A noter que le biterrois Jean-Michel Arroyo est présent à BD Plage Sète les 28 et 29 août prochains. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Pierre Christin, comment en êtes-vous arrivé à travailler avec Jean-Michel Arroyo pour faire ce Pigalle 1950 ?
Pierre Christin : C’est venu de notre éditeur commun chez Dupuis. On terminait chacun un livre, lui un Buck Danny. En discutant, mon éditeur m’a dit qu’il y avait un garçon qui pouvait m’intéresser. J’ai répondu que j’étais un peu vieux pour repartir avec un nouvel auteur. Il m’a dit qu’il allait m’envoyer une planche. Ce qu’Arroyo a fait. C’était un peu du Jijé. J’ai parlé avec Jean-Michel et je lui ai demandé ce qui le tentait. Il m’a répondu qu’il aimé les ambiances 1950 à Paris, Pigalle. J’avoue que quand j’étais jeune ce n’était pas mon quartier favori et je le connais mal. Le fait qu’on en parle m’a tenté d’aller re-traîner mes guêtres dans Pigalle pour y écrire une histoire contemporaine.
Du noir et blanc, comme dans le cinéma de ces années là. Arroyo a confirmé que cela aussi le tenterait aussi beaucoup. Je voulais retrouver atmosphère et argot de l’époque comme le petit Parigot que je suis. Simonin, Blondin, je continue à me servir de ce vocabulaire en fait. J’ai réfléchi, trouvé le temps. Il s’est mis à travailler d’une façon extraordinaire. Il m’a envoyé des dessins préparatoires plus du tout dans son style « aviateur » et là on a décidé de faire un album ensemble.
Jean-Michel Arroyo, on peut aussi revenir avec vous sur la genèse de ce projet avec Pierre Christin ?
Jean-Michel Arroyo : C’est effectivement José Louis Bocquet, qui était directeur éditorial de Dupuis, qui m’a téléphoné alors qu’il déjeunait avec lui. Il m’a demandé si cela me tenterait qu’on travaille ensemble. J’ai bien sûr dit oui. On a discuté. On s’est rencontré. On a de suite accroché et il m’a expliqué ce qu’il avait envie de faire, un polar qui se passait à Montmartre, Pigalle. Avec des références aux films noirs de Becker, Melville. Ce qui était aussi pour moi un envie. Et donc il a écrit un scénario original. Un peu pour moi et après quelques discussions il a livré la totalité du scénario. A cette époque j’étais sur le tome 4 de Buck Danny mais je ne pouvais pas faire les deux en même temps. J’ai du mal à travailler sur deux projets à la foi. J’ai fini le Danny et en 2018 je me suis mis totalement sur ce polar de 126 pages, plus les habillages, des images supplémentaires à paraitre chez Aire Libre.
Et vous Pierre Christin, où avez-trouvé ce héros qui vient de l’Aubrac ? Comment avez-vous concocté cette aventure qui n’est pas vraiment un polar ? Comment vous qualifieriez ce Pigalle 50 ?
P.C : C’est quand même un polar, certes un peu familial qui repose sur tous ces gars qui quittaient Aveyron et Aubrac dans les années 50. Ils venaient travailler chez les cousins de Paris et c’est un sujet que je connaissais bien pour avoir écrit un roman qui se passait déjà dans ce milieu. Et ça me plaisait de retrouver ces ambiances en BD avec des choses que les lecteurs d’aujourd’hui ne savent pas. Je voulais ancrer cette réalité dans un univers encore agricole qui devient urbain en 1950.
Avec un héros, un type qui va se retrouver dans des situations qui le dépassent un peu ?
P. C : Oui, et qui va se révéler, se fabriquer au fil des évènements. Il comprend les plans des truands qui sentent le vent tourner, passent à la vitesse supérieure, les prémices de la French Connexion. Il va s’adapter. Au fil des années il va aussi devenir un intello, l’histoire est un monologue intérieur.
J-M. A : C’est très intimiste. Un jeune qui travaille sur l’Aubrac dans un buron, monte à la capitale et se retrouve parmi les Aveyronnais, dans leurs brasseries et il monte les échelons. Antoine très jeune est enrôlé dans une boite de nuit, homme à tout faire et pris dans une affaire qui va le dépasser. Le pitch, c’est le destin d’Antoine que symbolisait le premier titre, Le Funiculaire redescend toujours. Le titre définitif sera Pigalle 1950. Il y aura aussi une histoire sentimentale.
C’est un gros bouquin avec une belle recherche iconographique sur un Paris qui a disparu ?
J’ai cru que j’aurais du mal à trouver de la doc mais non, et plein de souvenirs de lecteur de presse que je suis sont revenus. Mon père était coiffeur et recevait beaucoup de journaux que je lisais, Détective, Radar. J’ai baigné dans cette atmosphère de faits-divers illustré par le célèbre Di Marco. J’ai dit à Jean-Michel qu’on allait le prendre comme une des références de l’album. Pas de second degré. Du plein fouet. Dans mon esprit c’était une caméra qu’avait Di Marco avec ses illustrations. Je ne comprenais pas comment il pouvait être là au moment où le type tuait sa femme.
Vous avez livré un scénario complet à Arroyo ?
P. C : J’ai attaqué, livré quelques pages pour étudier le découpage, les personnages, le format. Arroyo est un gros bosseur et lui ai donné très vite la totalité de l’histoire. On s‘est vu soit à Paris, à Béziers ou en Aveyron. Il m’envoyait des dessins. Il travaille comme un métronome, une page par semaine environ. Je commentais à chaud au fil de l’histoire. On a retravaillé certaines scènes pour des questions de goût de ma part mais pas pour la qualité de son dessin qui est exemplaire. Arroyo adore discuter de son travail et on n’a pas eu un seul instant d’incompréhension.
Jean-Michel, c’est du noir et blanc, du lavis ? Comment avez-vous travaillé avec Pierre ?
J-M. A : Oui en couleur directe au lavis sur les pages. Pierre m’a envoyé un manuscrit sans pagination. Une nouvelle, sans cases, avec les dialogues, les indications mais sans découpage.
C’était plus un scénario de cinéma ?
J-M. A : Quand je l’ai lu, oui, j’ai vu un film. Ça aurait pu donner un long-métrage.
Cela vous a paru plus compliqué ou plus facile, Jean-Michel ?
J-M. A : Plus facile car moins sous contraintes et avec un sujet qui me tenait à cœur. Je me suis amusé avec des éléments que j’avais envie de dessiner, Paris, les années 50. J’aime le design des voitures. Mais pas d’avion cette fois. Je me suis régalé avec les ambiances. Le polar est plus la toile de fond du destin d’un type qui a une vie chargée. C’est crépusculaire.
Arroyo est très heureux effectivement de travailler avec vous. Le titre de l’album sera bien Pigalle 1950 ?
P. C : Oui tout à fait. Il sortira à la fin de l’année ou au tout début de la prochaine. Le sous-titre sera le Funiculaire redescend toujours qui était le titre initial.
Il pourrait y avoir, je crois, une autre collaboration ensemble ?
P. C : Oui. C’est autre chose, un autre album, même dispositif mais où je pense que (Jean-Michel n’a pas encore donné tout ce qu’il peut faire à savoir énormément), ce sera tout le contraire de Pigalle. Un album très coloré, d’aventures, polychrome, très nerveux, qui se passe en une journée, on n’en dit pas plus. C’est violent et critique sur un plan social. Il sera plus court. Arroyo fera ses couleurs lui-même sur 80 à 90 pages.
J-M. A : Pigalle 1950, c’est un projet abouti qui va paraitre. Ce ne sera pas un grand format mais comme celui d’Est Ouest. Il y aura aussi ensuite L’Île des riches toujours avec Pierre Christin chez Dupuis. Ce n’est pas un polar mais un huis-clos sur une île du Pacifique. On ne va pas en dire plus, suspense oblige. Je le démarre à peine. J’ai modelé une île. Ce sera en couleur et il me faudra un an et demi. En grand format avec 80 à 100 pages.
Vous avez-trouvé avec Jean-Michel un auteur qui vous satisfait pleinement ?
P. C : J’ai toujours eu de la chance avec mes jeunes auteurs. J’ai eu une qualité, à savoir reconnaître des dessinateurs en devenir. Le scénariste peut dire que c’est bien mais « tu peux faire beaucoup mieux ». Il y a une timidité chez les plus jeunes. Avec Arroyo c’est arrivé très vite comme pour l’album Orwell avec Verdier. Il devrait y avoir une exposition dont des illustrations, grandes sur le Paris des années 50 que l’on verra chez Maghen à la sortie de Pigalle. Mais un Paris plus intimiste comme les anciennes usines Citroën. Avec les ambiances, les véhicules etc…
Vous avez autre chose en cours avec Pierre Christin ?
P. C : J’ai 83 ans pour ne rien vous cacher. Donc je ferme un peu les écoutilles. J’ai accepté un livre de commande bénévole sur la greffe du rein, un acte chirurgical dont j’ai bénéficié il y a dix ans. Et puis il y a ce que je voulais faire depuis longtemps, un Valérian avec une dessinatrice. Quand je l’ai dit à Mézières je pensais que cela allait le désarçonner. Ce sera donc Virginie Augustin très habile, très adroite.
Jean-Claude a posé les pinceaux pour Valérian et n’a pas voulu prolonger. Moi, j’avais une nostalgie de Valérian, de Laureline. Qu’ils ne soient plus dans ma vie me chagrinait. Virginie Augustin s’en tire bien et vous n’en saurez pas plus (rires). Il sortira en 2022. Pour le moment il n’y a rien d’autres de prévus. Celui qui le plus travaillé en fait sur une suite de Valérian c’est Luc Besson qui a écrit deux scénarios. Mais c’est une question d’argent donc c’est encore dans les cartons.
Rien de plus en cours ?
P. C : Non mais je peux encore me surprendre moi-même.
Et vous Jean-Michel Arroyo, d’autres projets ?
J-M. A : Non car tout s’est enchainé très vite avec Pierre. On avait passé du bon temps avec le polar et Pierre m’a demandé si je voulais continuer sur un autre thème. Et L’Île des Riches me convient parfaitement. J’ai besoin de m’immerger. Je me suis rendu compte que je travaillais vite avant avec Danny, un par an. Prendre plus de temps m’a permis de retrouver le plaisir de mon travail. Les échanges ont été superbes avec Pierre, avec des rapports normaux et enrichissants. Je lui envoie les planches comme aussi à Doug Headline qui est directeur d’édition maintenant chez Dupuis. C’est bienveillant, pertinent.
Qu’est-ce que vous aimeriez de faire d’autre en BD ?
J-M. A : Cela dépend. Il y a des projets qui m’ont été proposés. Je ne suis pas fait pour des séries. J’aime la découverte. Là je me régale et mon envie de créer est revenue. C’est le plus important pour moi.
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