A la veille de l’ouverture du 40e Festival d’Angoulême, Benoît Mouchart, directeur artistique du festival, se confie à ligneclaire. Depuis 2003, il gère, organise tous les évènements qui ponctuent le festival. Cet homme de Lettres, comme il se définit, reste droit dans ses bottes, défend ses choix et parle d’avenir. Dont celui de la désignation du Grand Prix. A noter qu’on ne savait pas encore que Benoît Mouchart rejoignait en mars les éditions Casterman et, de fait, que son poste au festival serait peut-être remis en cause. Cette interview vient aussi de paraître dans le magazine BD ZOO.
Une 40e édition, dix ans aux commandes : tout va bien ?
Absolument. Même si je ne suis pas un homme de chiffres en voici un : en quatre ans le festival est passé d’une vingtaine d’évènements sur quatre jours à trois cents. C’est mon dixième festival. Mon job est d’en superviser la programmation. Le choix des expositions, les spectacles, les invités internationaux, je dois suivre la conception et la réalisation de nos projets.
Et donc satisfait de votre bilan, de votre vision de ce que doit être ce festival ?
Si je me base sur la fréquentation des expositions elles ne sont pas vides. Trois cents évènements aussi divers ce n’est pas trop non plus. Demandez au public ce qu’il en pense. On refuse du monde aux rencontres du festival. J’avais fait un pari : que l’aspect culturel monte en puissance. Je pense l’avoir gagné.
C’est quoi la définition d’un festival de BD ?
Trouver les bonnes propositions, offrir autre chose qu’un simple lieu de dédicaces. Il faut à Angoulême faire une différence entre le festival et le salon du livre de la BD avec dédicaces qui se tient sous les chapiteaux.
Ce sont les éditeurs qui gèrent leurs stands. C’est leur choix. Ils ont aussi une ouverture vers les jeunes auteurs.
Oui. Chaque éditeur fait ce qu’il veut. Cela ne change pas le fait qu’il n’y a pas d’équivalent en France à Angoulême. Les éditeurs me parlent du succès de Saint-Malo. Un challenger pour Angoulême ? Ils sont très loin de ce que nous faisons ici. Les autres salons sont effectivement des lieux de dédicaces et la plupart seulement de dédicaces. Je reviens à mon pari de vouloir impliquer tout le monde dont les jeunes auteurs, inventer des endroits de créations, ne pas faire que de la promotion.
Angoulême, c’est un peu comme Cannes pour le cinéma. On en parle quinze jours avant, pendant le festival, et terminé jusqu’à l’année prochaine.
Faux. Vous croyez que monter avec le festival une exposition comme celle de Spiegelman au Centre Pompidou à Paris cela se fait en cinq minutes ? Il faut des semaines, des mois de préparation hors festival bien sûr pour y arriver, prévoir les itinéraires.
J’avais commencé dès 2003, à mon arrivée, avec l’exposition Blake et Mortimer au Musée de l’Homme. Nous sommes une très petite équipe. Une exposition se conçoit au moins un an avant. Une exemple tout chaud : depuis deux ans nous travaillons sur celle d’Enki Bilal qui se tiendra l’an prochain aux Arts et Métiers. Côté coulisses du festival, le soufflet ne retombe jamais.
A Angoulême, chaque année, il y a une sélection d’albums en compétition. Qui fait souvent débat.
Vous avez déjà vu des sélections qui font l’unanimité vous ? Moi pas. Le comité nommé pour trois ans est composé de journalistes, de libraires, de moi aussi. On lit tout ce que les éditeurs nous envoient et a paru entre le 1er décembre et le 30 novembre. Nous avons plusieurs réunions dans l’année. Je vous assure que les discussions sont tendues. Cette année nous avons fait le choix de mettre moins d’albums en compétition.
Le but c’est que notre sélection puisse peser sur la mise en place en librairies. Il faut un impact pour augmenter les ventes. Les choix, c’est comme au cinéma. Il en faut pour tout le monde, du film d’arts et essais très pointu à la grosse production américaine.
La sélection est à l’image de la large palette que l’on trouve en BD et aussi de la subjectivité inévitable des membres de la commission. Mais pour moi je maintiens que cette sélection est représentative.
Pas d’influences extérieures ? Pourquoi par exemple un prix du polar ? Pourquoi multiplier les prix, série, jeunesse ou autre ?
Sur les pressions ou influences, non. Il n’y en a pas. Vous avez été membre du jury et vous avez pu être témoin de son indépendance. Nous sommes totalement libres et les éditeurs n’interviennent pas. Certains aimeraient peut-être.
Pour vous répondre sur le prix du polar, c’est effectivement une demande de notre partenaire la SNCF qui voulait communiquer sur ce thème. Quant à multiplier les prix, quoi de plus noble que le prix jeunesse que vous citiez ? Il faut défendre les albums destinés aux plus jeunes. Imaginez la chance que représente le succès d’un Titeuf pour un accès du jeune public à la BD. Vous savez quelles sont les meilleures ventes de l’année ? Tintin, Astérix et les Simpson. Il est donc très important que la BD offre un champ nouveau pour les enfants.
Le web est aussi d’après vous une nouvelle piste pour la BD ?
Il y a déjà des choses qui existent. Des blogs, des collectifs, mais il faut une vraie réflexion par rapport à ce support de publication. Comme en presse écrite, et vous le savez bien, le modèle économique n’est pas au rendez-vous. Il faut être créatif, inventer. La BD fait des livres. Le modèle fonctionne encore donc on ne le change pas. On se limite à une adaptation pour l’écran du catalogue. Les éditeurs sont fragiles. Un gros éditeur, c’est l’un d’eux qui le dit, fait annuellement le chiffre d’affaires d’un supermarché de grande ville. Comparez à ce que rapporte le jeux vidéo. Plus que le cinéma. La BD ne pèse pas très lourd.
Concentrations, surproduction, libraires en difficultés pour défendre les titres, avenir de la BD ?
Les concentrations d’éditeurs sont assez logiques. Et pas catastrophiques. Elles permettent toujours aux artistes qui veulent s’exprimer de le faire. Pour la surproduction si la position des libraires n’est pas facile, celle des éditeurs non plus.
Il est arrivé cette année que des albums poids-lourds ne se vendent pas aussi bien que prévu avec des retours de 50 %. Le libraire, son rôle est avant tout le conseil. Voila ce qui nous a incité à Angoulême à réduire la liste des albums sélectionnés. Aux libraires de faire leurs choix, de défendre les jeunes auteurs dont la vie est souvent compliquée.
Il y a 250 éditeurs au total. 17 trustent la plus grande part du marché de la BD. En 1983 on a publié 800 albums pour 30 millions d’Euros. En 2011 on en est 4400 albums pour l’année avec 410 millions d’Euros. On produit plus pour essayer de gagner à peu près proportionnellement la même chose.
La BD est une vraie forme d’expression. La presse a été à l’origine de son succès. Puis elle est passée au stade du livre. Il lui faut creuser sa différence comme le théâtre l’a fait avec succès. C’est vital.
On revient à cette 40e édition. Un retour aux fondamentaux avec Uderzo. Il était temps, non ?
C‘est vrai. Uderzo n’a pas été salué comme il aurait du l’être. Il n’a pas sauté de joie au départ quand je lui ai fait part de notre volonté de célébrer de grands artistes dont lui, bien sûr. Uderzo, c’est le dernier des géants. Il sera à Angoulême en personne et son exposition, 500 m2, ne sera pas chronologique mais thématique. Un génie à qui l’on doit beaucoup.
Pour Disney, autre géant, nous avons voulu rendre hommage à ces grands talents qui se cachent derrière Mickey et Donald comme Carl Barks ou Don Rosa. La Corée sera représentée par une vingtaine d’auteurs et montrera son implication dans le numérique. La BD algérienne nous présentera son histoire. Enfin nous aurons cette année avec Cultura un nouveau partenaire.
Vous êtes un directeur artistique heureux. Enfin l’élection du Grand Prix sera-t-elle modifiée ? Pour la 41e édition, des idées ?
Heureux, oui. J’ai eu la chance de pouvoir concrétiser tous les projets qui me tenaient à cœur. Que des cadeaux.
Pour l’élection du Grand Prix nous sommes en négociation. Nous souhaiterions faire voter l’ensemble des auteurs accrédités sur le festival chaque année. Ils sont près de 1500 en moyenne. Vous pensez bien que ce n’est pas simple. Certains des anciens Grand Prix, qui sont à cette heure seuls juges pour désigner leur successeur, y sont favorables. D’autres non. Mais nous devons arriver à une réforme de la désignation du Grand Prix. Nous sommes l’organisateur après tout. (NDLR : c’est fait. Lire l’article sur le choix par les Grands Prix d’un nom dans une liste)
Pour Angoulême 2014, l’évènement n’est pas remis en cause bien sûr mais nous étudions dans les détails son avenir. Vous savez, Angoulême, c’est un joli château de sable permanent.
Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC
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