Il faut l’avoir connu, ou au moins vu en action, en direct pour comprendre. André Malraux était un phénomène unique. Ministre du Grand Charles qui l’a fait fait Compagnon de la Libération et mis à la Culture, Malraux c’est aussi la bonne conscience de plusieurs générations. Guerre d’Espagne, anti-raciste, résistance en 1940, la Brigade Alsace-Lorraine pour libérer la France, il est sur tous les fronts, et même sur celui de l’anti-colonialisme. Romancier bien sûr, Goncourt, on le retrouve héros, c’est sa destinée, dans ce Ministre et la Joconde qui brode joyeusement sur le prêt de la Joconde aux Américains en 1962 promis et mis en œuvre par Malraux contre l’avis général sauf celui justement du général qui avait bien besoin que les relations avec les USA se réchauffent peu de temps après l’indépendance de l’Algérie. Sans oublier que De Gaulle avait flashé en tout bien tout honneur sur Jackie Kennedy pendant sa visite en France avec son John de mari. De Gaulle marchera en 1963 derrière son cercueil. D’où le travail entre réalisme historique, romanesque flamboyant, polar à huis-clos sur le France signé par deux talents, deux pointures au scénario Hervé Bourhis et Franck Bourgeron (que l’on apprécie vraiment beaucoup) et Hervé Tanquerelle au dessin tactique, dans le ton, très inspiré et convaincu tout en étant convainquant. Sans oublier car superbes les couleurs d’Isabelle Merlet. Un Malraux dans le texte, tics et mimiques confondues, regard noir, dont on entend la voix au long des bulles. Entre ici la Joconde… (A lire le 11 septembre 2022 l’interview des trois auteurs).
1962, Le Havre, le France paquebot emblème de la République, Malraux grincheux, la Presse et une Joconde bien empaquetée et sous forte protection dirigée par un barbouze, Calvi, monte à bord. La Conservatrice en chef Leblanc de Romilly fait la gueule et est du voyage.Pour elle les trésors nationaux doivent s’empoussiérer. Moreau gère la communication. Malraux a le mal de mer mais se retape. La comédie est en mer, son sens de la formule navigue. Le Pacha ou commandant du France a un petit air bien connu. Malraux a la main sur tout même à table où se presse le Gotha mondain. Il séduit, fait des phases et invite dans sa cabine une jeune femme à voir la Joconde. Qui s’est faite la malle.
Bon, on sait qu’il n’en a rien été mais les scénaristes ont bien monté leur coup. Barbara chantonne, Malraux éructe, sue sans et eau et fait une crise quand il apprend que l’excellent Von Karajan, qu’Hitler aimait bien, va diriger l’orchestre du bord. Faut dire qu’on a la mémoire courte. Alors cette Joconde, elle est partie aux pâquerettes ? Qui est à l’origine de ce crime (ce n’est pas la première fois qu’on pique la Joconde en fait) ? Charles va être mécontent et Malraux retrouver les angoisses existentielles de ses passages d’antiquaire en chambre rapace parmi les temples d’Angkor. Amphétamines, et c’est reparti comme sur les Champs-Élysées en 1968 pour une manifestation mémorable. Si, si, on l’a vu en direct. Explosé André. On l’a aimé Malraux, incomparable quand il voulait monter une brigade internationales pour le Bangladesh et qu’on tapait à 20 ans à sa porte. Un album qui est réjouissant, un peu comme le 13 mai 58 de Bouc et Juncker. Comme quoi, De Gaulle, Malraux, des valeurs sûres inimitables en bien des points et intemporelles.
Le Ministre et la Joconde, Casterman, 20 €
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