Leur Moi, assassin avait primé maintes fois, par l’ACBD, par Quais du Polar, nominé à Angoulême. Antonio Altarriba avait été l’invité de la Comédie du Livre à Montpellier. Avec Moi, menteur, il revient avec Keko et va faire un large tour dans un milieu où par définition mentir est un art, une fin en soi, une obligation éthique. En politique, on le voit tous les jours et encore plus en ces temps troublés, la vérité est à vitesse réduite dépassée par des mensonges de circonstance assénés comme des évidences. Antonio Altarriba et Keko ouvrent le bal avec une citation d’un maître en la matière, Machiavel. Un communicant, Adrian, dresse ses poulains à dire, ne pas dire ou marteler le bon message, celui qui va dans le sens d’un électorat versatile ou dépassé. Une belle leçon effrayante qui conclue la trilogie du Moi des deux auteurs dont Moi, fou avait été le premier opus.
Adrian drive Morodo, un maire qui pourrait avoir un avenir national ce dont il doute. Le menteur doit créer un monde. Et quand on se met à découvrir des têtes moulées de membres de son part dans des flacons en verre, il va falloir réagir vite fait. Avec l’aide de flics aux ordres qui vont devoir suivre la piste suggérée par des messages retrouvés près des flacons. Adrian a tiré un trait sur sa vie de famille ou mieux ment encore et a une double vie. Coups tordus, manipulations, chantages, pots de vin, Adrian tire toutes les ficelles possibles en toute honnêteté, la sienne. C’est son job et il assume sans oublier que la communication peut être une marche vers le pouvoir tout en sachant ne pas viser trop haut, savoir profiter ou créer les opportunités. Une maîtresse avenante, un candidat dont l’homosexualité sera un atout, Adrian est le joker d’une ville tentaculaire où il a placé ses pions. Mais son fils sait désormais qu’il est un menteur.
Une construction méthodique, détaillée, avec en voix off celle du héros, Machiavel arriviste doué, on sait que ce que les auteurs mettent en lumière est la réalité. Magouille immobilière, Adrian sait ne jamais laisser tomber le masque, un pro incontournable qui sait construire la vérité, ce qui n’est pas finalement à ses yeux mentir. Sans chercher, il suffit tous les jours de regarder nos dirigeants, nos politiques. Un bouquin d’une rare force, qui démontre que tout est possible dans un monde où l’on n’entend que ce qui nous flatte et nous soulage. Inquiétant et parfaitement mis en scène.
Moi, menteur, Denoël Graphic, 21,90 €
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