Pour être franc, dire qui était Ibn Battûta doit être difficile pour une très grande majorité à laquelle on ne peut avoir que le regret d’appartenir. Car maintenant que, grâce à Lotfi Akalay et au chaleureux Joël Alessandra, on sait pratiquement tout à son sujet car ils l’on réinventé, on reste ébahi, charmé par les récits de voyage de ce conteur né, de ce globe-trotter avant l’heure qu’a été Ibn Battûta. Témoin infatigable, qui a pu être un dessinateur pointilleux dans une XIVe siècle où seul crayon et papier peuvent conserver souvenirs et mémoire des lieux, Ibn Battûta va sillonner le monde arabe, de Tanger à Bagdad, Ispahan, Samarkand comme Corto, puis pousser vers une Asie lointaine dont Pékin sera la halte la plus lointaine. En ouvrant la première page de ce recueil si bien enluminé par Alessandra, on ne peut pas ne ne pas tomber sous le charme, on glisse ses pas dans ceux de ce Shéhérazade fait homme, demi frère de Marco Polo, cousin de Vasco de Gama, découvreur de terres inconnues, dangereuses parfois mais toujours sources de rêves et de poésie.
C’est en 1534 que finit le voyage de Ibn Battûta, à Fez. Il était parti pour faire le pèlerinage de la Mecque trente ans plus tôt. Son retour et les exploits qu’il raconte, ses découvertes, ses rencontres, les pays lointains qu’il a visité, où est la vérité dans tout cela ? Quoi de plus simple pour se justifier que se livrer lui-même face à son sultan à la narration de ce parcours hors normes. Tanger en 1325, c’est le départ vers le berceau de l’Islam avec cahiers et encre pour mieux garder le souvenir des lieux visités. Il part seul, l’Égypte l’attend après Alger, Tunis, Tripoli. Il commence à écouter les anecdotes rassemblées sur la route, souvent édifiantes. Il sera qâdi, un juge musulman aussi bien pour des fonctions civiles, judiciaires ou religieuses. Tout au long de son voyage cela l’aidera à s’imposer auprès des plus nobles dirigeants, se faire accepter, aider. Les femmes seront aussi sur sa route. Charmeur pourquoi pas et émerveillé par l’Égypte, le Nil jusqu’à Assouan, Adfou. Mais ce n’est qu’une entrée en matière, un amuse gueule. La route va être longue et peuplée de surprises.
Si il y a bien la grandiose aventure du voyageur à une époque où elle est exceptionnelle, serait-elle la même sans les aquarelles et les dessins d’Alessandra ? En aucun cas tant on est ébloui par la beauté des paysages, des monuments, la fidélité des ambiances, l’émotion, les portraits de ceux qui vont croiser la route de cet éternel voyageur qu’est Ibn Battûta. On est à ses côtés, immergé. Alessandra a sublimé ce qu’avait écrit sur « ce premier touriste du monde » Lotfi Akalay. L’Histoire se dévoile, la grande. Chroniqueur et journaliste qui s’ignore, Ibn Battûta est un découvreur, un explorateur même si il s’est approprié sûrement des petites histoires glanées de ci de là. Un journaliste en fait tout autant. Le résultat de cette balade incomparable mise ainsi en lumière est un tour de magie somptueux dont Joël Alessandra a été le parfait maître d’œuvre, redonnant en prime vie à un Ibn Battûta malicieux qui méritait bien ce coup de projecteur. Tout en montrant aussi la grandeur et la puissance de l’empire musulman au XIVe siècle qu’on a tendance à oublier si ce n’est mépriser. Lire absolument la préface de Ali Benmakhlouf, philosophe et professeur d’université, qui replace d’Ibn Battûta dans son contexte.
Les Voyages d’Ibn Battûta, Aire Libre Dupuis, 29,90 €
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