Joël Alessandra a quitté très provisoirement ses carnets de route et de voyages. Il signe chez Casterman une biographie romancée de Louise Brooks, actrice mythique du cinéma muet qui n’a jamais voulu accepter le « parlant ». Avec Chantal Van Den Heuvel au scénario, Alessandra suit les hauts et les bas d’une actrice qui est restée avec sa coupe à la garçonne une icône du 7e art. Propos recueillis par J-L. TRUC
Joël Alessandra, comment en êtes vous arrivé à suivre les pas de Louise Brooks ?
J’étais sur un projet toujours dans l’esprit d’avoir un personnage à la première personne, me mettre en scène. Après l’Algérie et la Mer Rouge, on avait un troisième tome sur le whisky car je suis marié à une Anglaise dont la tante est une grande figure emblématique du whisky. Elle avait écrit une vingtaine de bouquins sur le sujet et avait sa propre marque. Je voulais faire quelque chose de très humain et introspectif. Ce que je ferai d’ailleurs.
On vous a proposé cette biographie ?
Mon éditeur bruxellois m’a appelé en me disant qu’il avait un super scénario, une biographie romancée. La scénariste, Chantal Van Den Heuvel, voulait travailler avec moi. Cela m’a surpris car c’était très pointu, très scénarisé et terminé. J’ai eu les 130 pages d’un coup. Ce sera un one-shot qui reprend la totalité de la vie de Louise Brooks dans le style de The Artist. J’ai traité le sujet un peu dans le style de ce qu’a fait Catel pour Kiki de Montparnasse.
Oui parce que c’est vrai que j’étais dans un exercice inhabituel. Avec Chantal c’était plus piloté mais elle est très ouverte au dialogue. Par contre je me suis plongé avec passion dans l’ambiance des années trente qui m’était inconnue. Je ne connaissais pas Louise Brooks hormis le personnage de Valentina par Crepax qui s’en est inspirée. Et l’a allongée physiquement. Je n’avais jamais vu de films avec Louise Brooks.
Chantal Van Den Heuvel, pourquoi ce choix de Louise Brooks ?
Elle m’a toujours intrigué avec ses paradoxes. Elle était une rebelle mais sans rien d’idéologique. Elle avait aussi un côté auto-destructeur. Louise Brooks avait tous les atouts et elle gâche tout. Elles était brillante et en fait elle ne s’aimait pas.
Donc elle ne sait pas où elle va ?
Oui, elle est larguée. Elle sera mise sur la liste noire des actrices d’Hollywood pour avoir refusé une baisse de salaire. Il faut dire qu’elle a eu une enfance terrible, violée et sa mère le savait, accusée d’être une perverse. Plus tard sa vie sentimentale sera un échec. Elle n’aura jamais beaucoup de considération pour le cinéma hormis pour Pabst qu’elle admirait. C’était un art mineur pour elle qui était danseuse et mannequin.
Brooks avait un sacré caractère, Joël Alessandra ?
Elle a refusé le parlant et s’est brûlée à Hollywood. Elle a eu une liaison avec Georges Raft, l’acteur. Puis avec George Marshall qui la battait, elle a été violée enfant et cela explique sa vie ensuite. Elle a été la maîtresse de Chaplin. Elle était une grande vedette. Dans les années cinquante la Cinémathèque l’a remise à l’honneur. Elle est une des rares actrices du muet qui ne surjouait pas. Elle est toujours dans la subtilité.
Elle a su remonter la pente, Chantal Van Den Heuvel ?
Oui, elle a rebondit plus tard. Elle écrivait bien. Mais elle est restée isolée. C’était quelqu’un de trop lucide, authentique que l’on a traité comme une marionnette. Il y avait un aspect noir en elle. Après son passage à Berlin en 1928, elle revient à Hollywood. Une erreur car elle correspondait beaucoup plus au cinéma européen qu’américain. On a oublié que quand elle a du succès elle a dix-neuf ans et se construit. Avec Joël j’ai senti sa souplesse, il a été très proche du texte, très attentif. Je lui ai livré en une fois la totalité du scénario.
Son personnage a été difficile à restituer pour vous Joël Alessandra ?
Il y a beaucoup de documentation sur elle. J’espère avoir réussi mais par contre j’ai eu du mal sur la fin de sa vie où là, il n’y a pas beaucoup de photos.
Vous racontez aussi son voyage en Allemagne ?
Elle y est allée au début du nazisme, mais ils ne sont pas encore au pouvoir Ce sont les Allemands et Pabst qui la font venir. Plus tard, Louise Brooks s’est reprise en main après avoir été alcoolique. Elle est redevenue jolie à la fin de sa vie. Elle s’est mise à écrire des articles sur des ex-stars d’Hollywood qu’elle avait connues. L’album paraîtra en mai et je serai à Nîmes au Festival 21, 22 et 23 mai.
Chantal, après Louise d’autres projets ?
Les années 20 en Indochine à travers une intrigue romanesque en trois volets. Un personnage qui recherche sa vérité mais je n’ai pas dessinateur pour l’instant. Ce sera chez Casterman.
Louise, Le venin du scorpion, Casterman, 22 €
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