Elle était l’une des rares femmes à être reconnue comme une autorité incontournable du whisky. C’était toute sa vie le whisky à Helen Arthur, critique et auteure. Joël Alessandra (Petit-fils d’Algérie, Louise, Gauguin) a épousé sa nièce. Écrire avec sa tante un album sur le « sirop d’Écosse », était devenu une envie et une évidence. Mais Helen Arthur s’en est allée, trop tôt, en 2015. Par affection, Alessandra a décidé de mener à bien leur projet. Dans Lady Whisky (Casterman) il tente de trouver le nectar dont sa tante rêvait. Jean-Laurent TRUC. Cet article a paru dans le numéro de juillet du mensuel ZOO.
« Helen Arthur était une figure emblématique du whisky. Elle a écrit cinq bouquins, traduits en douze langues. On l’appelait dans le monde entier, une consultante réputée ». Joël Alessandra admire cette lady, sa tante par alliance. « Une femme dans ce milieu d’hommes, c’est rarissime. Elle avait sa propre marque de whisky, la Helen Arthur Collection. Quand elle est morte, j’étais paumé, incapable de poursuivre le projet sans elle ». Helen aurait été la garantie, papesse du whisky, une guide pour Alessandra qui aurait illustré le bouquin. « Le projet était en panne. Je n’y connaissais rien au whisky », avoue Alessandra, « mais mon éditeur m’a dit pourquoi ne pas en faire un hommage à Helen Arthur ? ».
Alors Alessandra devient le Candide du whisky et part à l’aventure. Il n’y a pas de vraie BD sur le sujet. Lady Whisky ne se veut pas que didactique. Alessandra a très peu romancé son histoire. Tout est vrai sur la fabrication, les singles malt, blended ou autres bourbons. Le fil rouge, c’est ce que Alessandra dit « avoir découvert dans ses carnets où elle dessinait, notait tout, la composition du whisky idéal qu’elle voulait pour sa prochaine collection. Je pars à la recherche de cette formule d’exception, à titre posthume ». Voila pour la partie romanesque du scénario. Pas simple. Helen voulait un whisky tourbé, malté, salé, marin et à goût d’algue. Un whisky qui ne pouvait être conçu qu’en Écosse sur l’Île d’Islay, réputée pour son goût très typé. « J’ai traqué au fil de l’histoire ce whisky fantasmé et j’ai rencontré en Écosse Jim Mc Ewan, un maître en la matière. Je lui en ai parlé ». Mc Ewan, flegmatique, comme tout britannique, lui dit gentiment qu’un scotch pareil cela n’existe pas. « Il flanquait en l’air toute mon histoire. Du coup il m’a proposé d’essayer de le créer. Il l’a fait, il a réussi et c’est le Lady Whisky que l’on retrouve à la fin du bouquin ».
Des landes parfumées
Même si Joël Alessandra se dit novice, il a été à bonne école avec Helen. Il décortique avec précision le processus de fabrication. Il dessine les distilleries, restitue avec ce coup de pinceau soyeux qui délaye ses aquarelles les paysages d’une Écosse secrète, envoûtante et mystérieuse, « ses landes parfumées où hurle le vent ». Avec lui, il y a Caroline, amie d’Hélène et grande connaisseuse en whisky. Elle va être son mentor. Alessandra apprend à déguster, comprendre le goût, les saveurs, les secrets et l’histoire de cette potion magique (si on n’en abuse pas) qui n’a rien à envier aux plus grands crus de nos vignobles. Et il nous transmet la tentation irrésistible de tremper nos lèvres dans un Octomore, Bowmore ou autre Bruichladdich.
« Caroline a été le lien et m’a permis d’être reçu partout. Je suis l’ignare qui essaye de comprendre et faire partager mes découvertes ». L’intrigue sert de prétexte à cette balade écossaise. Alessandra a travaillé en roue libre : « Contrairement à d’autres albums, j’ai écrit un simple résumé. J’ai fait du remplissage intelligent avec le matériel emmagasiné sur place, mes croquis. J’assemble comme un whisky. C’est un puzzle de 120 pages. Pas de découpage ou de story-board, je choisis au fur et à mesure et insère des plans de coupe pour respirer avec un plaisir intense à me lâcher », complète Alessandra. Lady Whisky, roman graphique, de voyage, avec sa petite intrigue, est très fluide. Une promenade, touristique, non conformiste. Et sentimentale, émouvante avec Helen Arthur en ange tutélaire.
On peut lire l’album comme une enquête mais aussi comme un manuel éclairé par le dessin, mieux appréhender cet alcool mythique. « Le whisky c’est comme quand on aime un tableau. On se renseigne sur le peintre, on cherche à comprendre, et on apprécie ». Une formule subtile d’Alessandra. Son Lady Whisky est savoureux, nectar aux saveurs puissantes et douces à la fois qui fera date et référence. Whisky écossais ou japonais, breton, corse, limousin, champenois, le choix est vaste. Après l’Écosse, Joël Alessandra va s’embarquer pour un carnet de voyages en Abyssinie et un reportage dessiné sur Notre Dame de Paris pour Steinkis. D’autres horizons dont on sait qu’il rendra toute la beauté et les contrastes, les mystères.
Lady Whisky, 136 pages couleur, Casterman, 22 €
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