Quarante ans, le bel âge, celui de Jérôme K. Jérôme Bloche (Dupuis) qu’Alain Dodier fait vivre avec un beau succès dans les pages de Spirou puis en album dont le 28, Et pour le pire, vient de sortir. Une aventure peut-être plus noire et encore plus personnelle que d’habitude pour le célèbre et sympathique détective à Solex. Alain Dodier, à 12 ans voulait être déjà dessinateur à Spirou. Il en a rêvé, il l’a fait. Son Jérôme est un garçon héros du quotidien qui nous ressemble et c’est aussi pour cela qu’on l’aime, sans oublier le dessin clair, affiné de Dodier qui était au dernier Festival du Livre de Paris. Il a répondu aux questions de Ligne Claire et est revenu avec humour sur son personnage, ses débuts et ses 40 ans de Spirou, avant les 40 prochains. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Alain Dodier, votre héros a bercé notre attachement au journal Spirou où parait votre héros atypique avec lequel nous avons pour beaucoup quarante ans de vie commune. Un épisode plus dur avec Et pour le pire ? On change de registre pour la dramaturgie ? C’est voulu ?
En fait je ne m’en suis pas rendu compte. Vous trouvez qu’il est sombre ?
On le plaint Jérôme dans Et pour le pire. Il est victime.
Oui. C’est vrai mais il l’a déjà été dans le passé.
Mais à ce point, manipulé ?
Le sujet, ce genre de harcèlement, semble en effet avoir eu un effet percutant sur pas mal de lecteurs. Une femme le prend en otage, son entourage essaye de le mettre en garde mais lui ne voir rien arriver dans sa grande candeur. C’est ce qui se passe en général.
Je pense qu’on vous l’a déjà dit, demandé, est-ce qu’il vous ressemble Jérôme sur le fond ?
J’en ai peur. (Rires) Je ne fais pas beaucoup d’efforts pour tenter d’en faire un personnage de composition. Je le nourris de moi même. C’est le plus simple.
Comment il vous est venu à l’esprit ?
Justement, de ce besoin, ce goût de raconter des histoires contemporaines et quotidiennes. Cela doit venir de ma courte expérience de facteur quand j’avais 18 ans et en fait quand je me suis mis en tête de faire de la BD professionnellement je me suis dit, pourquoi me compliquer la vie à raconter des fictions, westerns, SF. Je me prends, je me mets à la place du personnage et je vois ce qui lui arrive. C’était plus simple.
Moins compliqué effectivement, plus vivant, naturel.
Il suffisait de sortir pour avoir les décors, regarder autour de soi pour avoir les personnages secondaires. J’ai pris la solution de facilité.
C’est un garçon qui a une vie pas compliquée mais qui se la complique quoi qu’il arrive. Il est le jouet de situations d’exceptions.
Déjà par son métier. Il est détective privé et dans son bureau passent des gens qui ont des problèmes. C’est vrai qu’il les attire un peu mais c’est le lot des héros. Il est le paratonnerre qui prend la foudre que je lui envoie. Comme il est candide, il ne voit pas les orages arriver et se retrouve dans des situations délicates.
Quarante ans c’est déjà un beau et long parcours. C’est passé très vite ?
Je n’ai pas vu le temps passer. Mais je me dis que les 40 suivants je ne les verrai pas non plus passer (Rires). Après tout c’est la première moitié la plus difficile (Rires). Maintenant je vais dérouler mon effort.
C’est un héros Jérôme qui ne vieillit pas ?
Oui c’est le paradoxe. 40 ans d’aventure et il a vieilli de six mois. C’est la magie de la BD et d’une série. Les personnages ne changent pas mais les décors évoluent. Les voitures, les ordinateurs, les portables. J’ai introduit tout ça en 40 ans.
Il n’est pas violent, a des amis. C’est un garçon du quotidien comme vous dites.
C’est un tendre, pas un homme d’action. Son arme principale c’est son opiniâtreté, têtu. Finalement on ne sait pas trop ce qui se passe dans sa tête. On ne le voit pas penser, il agit en douceur mais c’est un homme d’action.
Votre dernier album, on y revient, est noir. Jérôme est sur le fil.
Je vais accepter cette idée car vous n’êtes donc pas le premier à me le dire. L’équilibre est toujours subtil. Il y a eu d’autres histoires sombres mais avec la fantaisie de Jérôme. Là elle est mise de côté car il est victime. Avec sa maladresse généralement il détend l’atmosphère, son humour décalé. Mais cette fois son humour fonctionne moins.
Et pour le prochain album vous savez où vous allez l’amener ?
Absolument. Le scénario est écrit. Je commence à dessiner. Cela n’aura rien à voir bien sûr comme à chaque nouvel album de la série. On oubliera le mariage, le permis raté.
Il ne l’aura jamais le permis ?
Je le crains pour une raison simple. Le Solex fait partie de son uniforme, de sa silhouette.
Vous avez eu des Solex ?
J’en ai acheté un depuis mais je suis un adepte du vélo de ville. J’ai trouvé un Solex sur une brocante et je roule avec de temps en temps.
Vous êtes un vrai pilier du Journal de Spirou.
Je commence à faire partie des meubles. Un dinosaure mais je suis très honoré d’être au sommaire. C’était le rêve de mon enfance. A 12 ans j’ai dit à mes copains qui me demandaient ce que je voulais faire plus tard que je serai dessinateur de BD à Spirou. Une vocation. Sans être un lecteur assidu. Je lisais le Journal de Mickey et des petits formats. Un lecteur compulsif, Tartine, Pépito. J’en avais des centaines. Spirou, je ne le lisais qu’en recueil dans une bibliothèque de comité d’entreprise des cheminots. Ça m’a marqué. A 26 ans je suis rentré à Spirou. Une fois la porte entrouverte j’ai glissé mon pied pour qu’elle ne se referme pas. Je me suis installé gentiment et j’ai continué mon chemin. Et je suis toujours ravi d’y être encore. Je suis comme un gamin quand je reçois le journal avec le nouveau Jérôme.
C’est un personnage qui a la vie devant lui, qui marche bien.
Tant que les lecteurs sont là, je continue. Je ne suis qu’à la moitié (Rires). J’ai toujours autant de plaisir et je travaille très traditionnellement. Après un mois de repos à la sortie d’un album, j’écris la totalité du scénario. Cela me prend à chaque fois quatre mois. Je ne sais pas pourquoi. Après je mets ma casquette de dessinateur, je relis et je dessine sans presque jamais retoucher. La pagination est calculée donc je ne bouge plus.
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