Elles sont le plus souvent, que ce soit en littérature ou au cinéma, dans les séries, des pin-up ou des traîtresses sans scrupules. Les espionnes sont les grandes méconnues de la guerre du renseignement. Et pourtant elles existent, risquent leur vies autant que les hommes et sont tout autant efficaces. Chloé Aeberhardt est journaliste au Monde, une enquêtrice qui ne lâche rien, et qui leur a consacré un ouvrage qui est devenue une BD. Pour son album sur le vif, elle va les traquer ces espionnes, peu nombreuses, machisme oblige et sur lesquelles on fait silence déjà dans leurs propres services. Mais Chloé Aeberhardt a ses sources qu’elle va solliciter avec difficultés et arriver à rencontrer ces reines de l’ombre de plusieurs nationalités. Aurélie Pollet les a mises en images dans des pages qui s’enchaînent aux textes de Chloé Aeberhardt. On est surpris, parfois très étonné car la réalité, si elle peut dépasser la fiction, est beaucoup plus terre à terre.
Mine de rien, on peut-être espionne ou agent de terrain un peu par hasard. Geneviève rentre à la DST, remplit des dossiers et un beau jour se retrouve en planque. Sans vraiment savoir que c’est peut-être à l’affaire du siècle pour les Français, Farewell, qu’elle a participé. Des fils entremêlés, des pistes sans fins, le monde de l’espionnage comme pour débusquer Noriega, autre chapitre de l’album, est un puzzle complexe. Martha Duncan de la DIA de la Navy a travaillé sur la chute du général panaméen en 1989. Elle va se lâcher, Martha recrutée à la fin des années 70, devient officier traitant, ce qui n’est pas rien. Elle manipule les futurs agents, des sources vitales pour les Américains. Castro et Noriega s’aiment bien. Donc pas d’état d’âme pour les USA à aller envahir un état souverain. Martha est sur le terrain et fait une fixation sur Noriega qui se cache à l’ambassade du Vatican. Bingo, Martha aura la bonne idée au final. Jonna, autre agent US de la CIA, sera la plus « bondienne » rencontrée par l’auteure. Avec une touche d’Arsène Lupin. Gadgets, déguisements, Joanna va former un couple avec Tony pour une ex-filtration digne d’un vrai thriller. Des portraits il y en a d’autres. Gabriele Gast, l’allemande, manipulée par le très célèbre Markus Wolf pour la Stasi. Il fallait aussi une Russe au générique. Ce sera Ludmila, mariée à un officier du KGB qui finira entre les mains du FBI trahie par une taupe passée à l’Ouest. Mossad enfin qui dit à l’auteure, « les seuls qui pourraient vous parler ce sont les morts ». La confiance règne. Pourtant Yola va parler des Falashas, ces juifs éthiopiens exfiltrés vers Israël.
Interviews en noir et blanc, récits en couleur, Aurélie Pollet au dessin, c’est un hommage que rend les deux auteures à ces femmes courageuses. Il faut se souvenir aussi, dans ce cadre, de ces Françaises parachutées en France occupée par le SOE britannique ou le BOA gaulliste pour accomplir des missions souvent mortelles. Elles ont été arrêtées, torturées, déportées. On sent toutes les qualités de journaliste de Chloé Aeberhardt, qui elle aussi a fait pour son bouquin du renseignement avec ses sources plus ou moins anonymes, a recoupé, démonté les infos, réussit à faire parles ses drôles de dames. Les femmes ont joué un rôle clé. On citera pour mémoire Le Bureau des légendes, le summum en série sur le sujet. Et pour le divertissement on reverra avec plaisir Jamie Lee Curtis dans True Lies.
Les espionnes racontent, Steinkis – Arte Éditions, 20 €
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