Quand on voulait se faire peur dans les années 60 à 80, en BD s’entend, il fallait abandonner la gentillette production française-belge sous tutelle pour aller voir ce qui se passait outre-atlantique voire chez la perfide Albion. Et là on pouvait dévorer Creepy, Eerie, Vampirella, des histoires courtes souvent à l’humour détourné mais toujours macabre et implacable. Plus question donc de parler de BD tout public car, parfois, on avait même la trouille à la lecture de ces mini-drames à la morale imprévisible très particulière. Avec le tome 3 de la réédition de l’anthologie de Creepy, on a un joli coup au cœur, un peu nostalgique et étonné par la diversité scénaristique, graphique retrouvée des auteurs qui signaient à l’époque.
Des poltergeists, des corps astraux, des spectres, en ouverture le débat est lancé. Ils vont se déployer au fil des histoires courtes que l’affreux oncle Creepy raconte. Un chasseur en Afrique qui pense tuer une panthère mais abat un homme ce qui déplait à une belle blonde sorcière de la jungle, une momie congelée qui se réveille et a des descendants, un ange de la nuit grosse mouche anthropophage, le ton est donné et le rouge est mis. Un Frankenstein amateur qui rejoint Jack l’éventreur et un dessinateur en vacances dans le désert dont un personnage devient un golem destructeur, pas de pause dans le terrible. On finit par un chasseur de bisons obsédé qui veut les tuer jusqu’au dernier, une des meilleures histoires de cette remarquable anthologie qui se déguste de préférence le soir à la veillée. Sans oublier des fiches dessinées sur des références de l’horreur comme l’acteur Boris Karloff, inoubliable Frankenstein.
En ouverture du recueil Archie Goodwin se confie à Steve Ringgenberg qui rencontre au final Frank Frazetta. David Roach signe l’ouverture et on a ainsi toutes les précisions nécessaires sur le pourquoi et le comment de cette série mythique qui se relie avec toujours autant de plaisir grâce au travail de Laurent Lerner. De superbes Unes originales forment le cahier graphique de fin d’album accompagnées des biographies de tous les auteurs présents dans les pages.
Anthologie, Creepy, Volume 3, Delirium éditions, 27 €
Dans cette ambiance de crise où nombre d’aspects purement pragmatiques de nos quotidiens bouleversés finissent par « écraser » nos passions et divertissements habituels (ou à les reléguer peu ou prou au second plan), je suis passé à côté d’actus qu’en temps normal je n’aurais zappées pour rien au monde. Et donc, voilà que ce n’est qu’hier que je découvre que ce tome 3 est sorti depuis plus de deux mois, aaaargh ! Pour moi qui raffole de ces récits d’horreur dits ‘vintage’ mais si savoureux, si addictifs (j’ai décortiqué plusieurs fois chacun des volumes que je me suis offerts avec jubilation : Creepy 1 & 2, Eerie 1 & 2, ‘Eerie & Creepy présentent’ : Bernie Wrightson, ‘Eerie & Creepy présentent’ : Richard Corben), ce nouveau volume est une régalade assurée.
Bien que parfois quelque peu prévisibles quand on est friand de ces productions et de leurs mécaniques narratives, héritières directes des fameux « EC Comics » des années 50 (passion complémentaire), les histoires qui ressuscitent à travers ces splendides anthologies sont à chaque fois un feu d’artifice – en noir et blanc sauf pour les couvs – de créativité graphique audacieuse et énergique, d’efficacité virtuose, de jubilation communicative. Délirium ne faisant jamais les choses à moitié, l’ « appareil critique & contextuel » qui accompagne ces rééditions est toujours passionnant, riche en infos et anecdotes, ce qui permet de savourer encore plus les planches intenses de ces auteurs au trait épanoui, parfois au sommet de leur Art. (J’étais un peu ‘tiède’ sur Steve Ditko avant de découvrir dans ces recueils ses incroyables pages inspirées et expérimentales !).
Complétés par les repros des magnifiques couvertures, les préfaces, entretiens et autres articles sont des compléments de choix, des bonus qui manquent cruellement aux intégrales « EC Comics » – pourtant très chouettes, je les ai aussi 😉 – éditées par Akileos, par exemple…
Bref, ce tome 3, je vais me jeter dessus… même si je ne sais pas encore par quel moyen de commande et de livraison, les librairies étant toujours fermées.