Un voyage peut, aussi, être une auberge espagnole, on y trouve ce que l’on y a apporté. Dans le cas de Joan Sfar à Hawaï (qu’il avait évoqué dans son interview à Ligne Claire) , son périple a été provoqué au départ par sa passion du ukulélé. Arte, qui voulait faire un film sur le sujet, l’a invité à en être le pivot, le commentateur. Pour tourner Hawaï, l’âme du ukulélé d’Antoine Laguerre, Sfar embarque avec sa Louise et part à la découverte de l’archipel, accompagné d’une équipe de techniciens. Sauf que Hawaï, ce n’est pas que le ukulélé. L’image paradisiaque, touristique, va prendre du plomb dans l’aile. Devenu état américain, Hawaï a ses fantômes, ses visions, ses oubliés et ses non-dits. Sfar va les croquer dans son journal, ses journaux et en faire un gros bouquin de 424 pages. Textes et dessins, aquarelles et crayonnés, Hawaï se découvre, se révèle et Sfar en donne quelques clés.
On cale bien le bouquin et on en tourne, lentement les pages. Pas question de zapper, picorer. Sinon il y aura manque, non qu’en retienne tout mais ce serait louper des nuances, des détails, ces petits riens qui font un grand tout. Sfar glisse souvent des pétards dans ses phrases. On sait pourquoi Sfar s’en va, et où. Vers le soleil, les plages, le mythe. L’escale à Seattle chez les grands inquiets yankees trumpistes. Et l’arrivée, les premiers pas. On passe sur Diablo dans l’avion. Waimea, les voilà. Touristes. Et paniolos, Sfar dessine et voit des ukulélés dans toutes les mains. Paniolo country inn, on y est bien avec trois sortes de sauces piquantes. Qui sont les paniolos ? Des vachers, des cow-boys locaux depuis qu’on y a introduit le bétail vers la fin du XVIIIe siècle. Sauf que les Hawaïens peuvent travailler sur un ranch et n’en seront jamais propriétaires. La terre est aux riches qui vivent ailleurs. Un ranch à Kamuela et un couteau d’exception pour un vieux cow-boy, un Opinel au bout du monde. Ironie du hasard. Culture, musique, mustang, enfin sous le crayon de Sfar devenu mulet. Coucher de soleil, sacrifices aux requins, tikkis, Louise fait une escapade dans un bar.
Des rencontres hors normes, des paysages dans le ton, Sfar finit par le ukulélé. Tintin au pays des ukulélés qui pourtant viendraient du Portugal, amenés par des marins. Ou en serait au moins le dérivé. Hawaï colonisé se laisse raconter par Sfar. Journal de bord, scènes de vie, surf and beach, rois du ukulélé, conclusion ? Sfar sacrifie à toutes les techniques graphiques mais écrit, souligne ses dessins, explique, se livre, offre sa vision en direct. On le suit sans se poser de questions et on savoure son authenticité sur fond de cordes hawaïennes.
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