La Véritable Histoire vraie est la nouvelle collection des éditions Dupuis. Bernard Swysen en est le directeur éditorial et le scénariste. On va y parler des méchants de l’Histoire, de Caligula à Attila en passant par Dracula. Jusque là, on reste certes dans le vilain mais plus folklorique que symbolique, des noms qui interpellent tout juste. Quand on ajoute Adolf Hitler au générique, on comprend qu’on va toucher cette fois à un sujet plus que brûlant, terriblement difficile à traiter, qui plus est au moment même de notre Histoire où antisémitisme, fascisme, nazisme, extrémismes divers relèvent la tête et le bras. Fallait-il mettre Hitler au catalogue et surtout traiter ce sujet de façon en tout point exhaustive mais décalée, par un ton plus proche du Dictateur de Chaplin que du remarquable Hitler de Mizuki ? Au dessin, c’est Ptiluc. Les rats, il connait. Hitler aussi.
Et bien oui, le résultat est là, novateur et responsable. Hitler y est tout autant horrible, sanguinaire, démoniaque et complexe, disjoncté, mortellement dangereux que dans la réalité. Swysen en signe une biographie qui va faire date car accessible par tous, claire, ouverte sur une sorte de spectacle malsain, odieux mais incontournable. Un nouvel acte de mémoire auquel il faut associer le travail de Ptiluc qui atteint une perfection intellectuelle et graphique supérieure. On pense un peu à Calvo pour La Bête est morte mais qui se limitait à la guerre en classant les pays par types d’animaux. Comme dans Maus. Avec cet Hitler, nous sommes tous concernés face à un manipulateur malheureusement génial, acteur sournois à la doctrine de haine et de mort.
Sa famille, son enfance, ses études assez médiocres, ses envies de prêtrise puis de peinture, Adolf Hitler aurait très bien pu être un oublié de l’histoire même si il semblait avoir des velléités d’ordre et de combat. C’est vrai qu’il n’avait pas été gâté par le destin. Son meilleur ami Gustl va l’épauler quand sa mère meurt. Il végète, va à la soupe populaire, est déjà antisémite. Ce n’est qu’un début. Il vend quelques tableaux, déboule à Munich. Ce n’est pas le jour de chance de l’humanité. Vive la guerre, celle de 14, il y part volontaire dans un régiment bavarois. Croix de fer de première et deuxième classe, le petit caporal est rejoint par l’armistice de 1918, le fameux coup de poignard dans le dos selon une armée allemande qui va rentrer chez elle en bon ordre. Le Hitler de 1933 commence à se construire. On y rajoute un petit coup de Traité de Versailles qui met le Reich à genoux. Adolf rencontre Drexler qui sera son mentor. Le national-socialisme est presque né. Hitler passe la vitesse supérieur et s’impose. Le NSDAP est créé en 1920. Y adhère Rosenberg qui en sera le théoricien en particulier pour les affaires raciales, le gros Göring, Hess, Eckart, Streicher et Röhm patron des Sections d’assaut que Hitler fera plus tard assassiné. La mèche devient rebelle, la moustache au carré. Un putsch avorté et l’écriture de Main Kampf en prison, tout est désormais en place pour la suite du drame à l’échelle mondiale. L’Allemagne va avoir besoin d’un sauveur. Hitler sera son guide, son Führer. Il sourit à la vie Adolf, récupère Himmler, Goebbels. En 1932, les nazis ont 37% des votes et deviennent le premier parti du pays.
On va s’arrêter là. La Légion Condor en Espagne, Guernica, l’Anschluss et l’Autriche ravie d’intégrer le Reich, la Nuit de cristal, Munich et la médiocrité de la France et de l’Angleterre, la Tchécoslovaquie dépecée, pour ne pas avoir su dire non quand elles le pouvaient encore les démocraties vont aller d’abandon en abandon. Hitler, hystérique, le regard torve, sournois, parfois rigolard, osera tout et fera tout ce qu’il a prévu, de l’Holocauste à la guerre mondiale qu’il ne sera pas loin vers 1941 de gagner. Dans l’album, un ours juif allemand et son élève sont le fil rouge du récit. On comprend alors qu’un Hitler n’a pas été seul. Ein Reich, fin Volk, ein Führer, le peuple, l’armée qui retrouve sa gloire, les industriels, les SA abrutis aux ordres, les SS tueurs de la garde rapprochée, il n’y a pas de hasard dans le destin d’Hitler. L’album le montre bien. Très détaillé, avec tous les repères nécessaires, on est malgré le personnage sautillant du rat Adolf prend aux tripes. On sait que tout peut se reproduire, sur des bases identiques. L’oublier serait criminel, irresponsable quand on voit en France même l’évolution des mentalités et l’absence de mémoire, le négationnismes et le complotisme imbécile de gens qui ont un QI d’huître. Il fallait ce Hitler en BD car il ouvre la porte à une prise de conscience de lecteurs pas obligatoirement habitués du sujet. Hitler n’est pas mort. Un bon dossier en film d’album. J-L. T
La Véritable Histoire vraie, Hitler, Dupuis, 20,95 €
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