Ce n’est plus, depuis des lustres, un secret d’état. Si tant est que cela ait pu en être un. On sait que la France et l’Afrique, au niveau de ses dirigeants, ont joué dès le début des années 60 à gagnant-gagnant, vilaine expression qui dit bien qu’il était de bon ton de s’en mettre plein les poches de part et d’autre. Les uns finançaient leurs campagnes électorales, les autres devenus indépendants s’achetaient des palais. Tous volaient à des peuples exsangues leurs richesses nationales. L’album, L’Argent fou de la Françafrique, remonte les pistes. Car ce sont la plupart des anciennes possessions coloniales françaises qui sont dans le collimateur. Xavier Harel connait son sujet. Le journaliste signe une enquête affinée avec le dessinateur Julien Solé commencée dans La Revue Dessinée. On redécouvre l’eau tiède, sauf si on a eu à couvrir l’actualité pendant des années. Mais qui se soucie aujourd’hui de cette Françafrique qui détonne dans la bonne conscience des politiques et est méconnue par la grande majorité de nos concitoyens ? La Justice et ce n’est pas rien.
Au début, il y a eu Jacques Foccart, un gaulliste pas marrant, un ex des services secrets français. Il fondera aussi le SAC avec Pasqua. Sa mission au service du Grand Charles était de maintenir des liens très étroits entre notre doux pays et les pays Africains indépendants en 1960 comme De Gaulle le leur avait promis à la fin de la guerre. Sauf que l’Afrique, et en particulier le Gabon, c’est un dictateur et du pétrole. Le reste, la démocratie, les institutions et le peuple, on oublie. Alors on ratisse large, en liquide, avec l’aide de compagnies françaises pétrolières bien connues. On se finance à trois. Tout le monde puise dans le pactole et récupère des milliards de dollars en liquide ou dans des sorcières planquées dans des paradis fiscaux. L’affaire des biens mal-acquis va pourtant exploser au grand jour. Ils ont des opposants les Bongo, Sassou ou autre Nguesso au Congo-Brazzaville. Les ONG s’en mêlent dont la CCFD ou Sherpa. Des immeubles sont saisis, des œuvres d’art, des voitures de luxe. On est stupéfait par l’ampleur du phénomène pourtant connu. Des noms sortent, de présidents, de premiers ministres. Des valises bourrées de billets ont circulé au plus haut niveau. En contrepartie, Paris protège les présidents à vie africains et leur accorde des droits illégaux. Sauf qu’il faut le prouver.
Jean Merckaert, du CCFD-Terre Solidaire est le grand témoin de l’ouvrage. Il décortique, rappelle, remet en mémoire ce mécanisme bien huilé de la Françafrique, revient aux sources. On comprend alors, car le scénario est clair, documenté, comment l’Afrique que l’on croit pauvre est en fait riche mais pillée au détriment de ses populations qui ont parfois un revenu par habitant supérieur à celui de pays européens. L’Afrique en coupe réglée, la démonstration est implacable. Corruption à tous les niveaux, financement de nos campagnes électorales, élections truquées, silence sur des dictatures qui emprisonnent et torturent, le bilan est accablant. On peut rester sceptique sur le futur mais des ouvrages comme cet album redonnent un peu d’espoir. Reste aussi à l’Afrique a pouvoir assumer son avenir démocratiquement et sans répéter ses propres erreurs.
L’Argent fou de la Françafrique, L’Affaire des biens mal-acquis, Glénat, 17,50 €
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