La dédicace est devenue au fil des ans, et ça remonte loin désormais, partie intégrante du monde de la BD. Si au début on pouvait encore parler de plaisir rare, confidentiel, le phénomène a atteint aujourd’hui des proportions industrielles. Raison pour laquelle Jean Rime, chercheur en littérature aux universités de Fribourg en Suisse et Montpellier, s’est lancé dans un travail qui flirte avec l’exhaustivité sur le sujet. Dans Bédédicaces, tout un art au seuil du neuvième art, il retrace l’histoire de la dédicace, en explique les raisons d’être, passe au crible le marché actuel et ses dérives dans un monde de la BD qui n’en finit pas de souffrir. On notera aussi la part philosophique que l’auteur accole à ses travaux et bien sûr psychologique en ce qui concerne les lecteurs avides de petits dessins nominatifs.
Avec Jean Rime on va découvrir que la dédicace, au moins déjà manuscrite était une façon de se faire rémunérer pour Érasme au XVe siècle mais c’est le XIXe siècle qui va voir avec Gustave Doré ou Töpffer les vrais débuts de la dédicace. On enchaîne vite avec Bécassine ou Zig et Puce pour en arriver à Hergé dont Rime, spécialiste du père de Tintin, passe au crible tout au long de son bouquin l’évolution des dédicaces, des tirages spéciaux précoces ou des illustrations spécifiques dès le début des années trente. Mais ce sont les années soixante, soixante-dix avec la systématisation de la sortie des albums que la dédicace s’envole, acceptée par les auteurs mais ouvrant la voie à des chasseurs, au mieux des collectionneurs compulsifs, des professionnels qui vont hanter les festivals de BD qui en vivent quoiqu’ils en disent.
On retiendra que la dédicace est un don et pas un dû. Jean Rime décortique, dans son ouvrage très serré et qui aurait mérité sur la forme d’être plus aéré, tout le process de la dédicace qui finira peut-être par une remise en cause à condition que les auteurs ne se singularisent pas encore une fois par leur individualisme. Jean Rime a fait œuvre de bénédictin et son livre sera désormais la référence. Il signe une étude universitaire, pour ne pas dire l’équivalent d’une thèse sur le sujet. Il s’appuie sur une parfaite connaissance de son thème, sur des entretiens avec des auteurs, ou leurs réactions comme celle de Philippe Xavier à la découverte de l’un de ses dessins sur internet.
Il parle aussi des obsédés de la dédicace, des files de sac des « pros », état dans l’état, qui hantent et monopolisent les salons qui ferment plus ou moins les yeux, toujours les mêmes au détriment souvent des lecteurs non initiés qui ne peuvent plus accéder à leurs auteurs favoris. Alors à quand la dédicace payante, ou l’arrêt des dédicaces ? Car que gagne l’auteur dans tout ça ? Un euro, deux au maximum sur la vente d’un album, encore faut-il que l’album ait été acheté sur place selon Jean Rime. Il épluche les mille et une facettes de la dédicace, toutes ses origines et ses destinataires. Il y a une économie de la dédicace, on le sait, qui se sont invitées aussi dans les ventes aux enchères. Jean Rime étaye son étude dans les moindres détails et l’a illustrée… de nombreuses dédicaces. On ne peut que souhaiter que la dédicace reste avant tout un plaisir partagé entre l’auteur et le lecteur quel qu’il soit.
Bédédicaces, tout un art au seuil du neuvième art, par Jean Rime, Éditions Montsalvens, 33 €
Je trouve ça très raisonnable de demander d’être payé pour une dédicace. Je le demande pour mes livres. Se déplacer pour être dans une convention, ça peut devenir dispendieux rapidement. Surtout quand tu dois payer ta table, comme c’est le cas la plupart du temps au Québec du moins. Je suis pas trop au courant comment ça fonctionne en France.