Edmond Baudoin et Tanguy Dohollau se sont parlés, par lettres et dessins interposés pendant plusieurs années. On connait la sincérité, la spontanéité sur fond de traits noirs, épais ou pas d’Edmond Baudoin. On sait sa vision des choses, au moins en partie car il peut rester secret, grâce à des rencontres ou à ses livres. On connait moins Dohollau et pourtant, en lisant La Diagonale des Jours on découvre un auteur sensible au trait fin, travaillé et très évocateur, réaliste sans pour autant abandonner une part évidente de poésie. Les deux hommes échangent, font des pauses, évoquent le monde qui les entoure, leurs craintes, leurs passions et leurs envies.
Tout démarre en 1992, quand Tanguy écrit à Edmond. La Bretagne descend vers le Midi. Et Kerouac embarque avec eux. Il va retrouver Giacometti que suggère Baudoin qui n’a pas lu Kerouac. Mais il sait parler de la mer, la sienne qui ne s’en va pas quatre fois par jour comme celle de Dohollau. La Bosnie s’invite de force. Baudoin est, une constante, amoureux. Il va partir en résidence d’auteur à Vitrolles, en décrit la banalité architecturale. Il va en montrer les habitants, dessiner cette danse qu’il aime tant. Dohollau a reçu chez lui un peintre pakistanais. Baudoin a fini son livre sur Votrolles. Dohollau dessine comme un graveur, son trait joue sur les détails précis. Rien n’est plus beau qu’une femme pour Edmond.
Une intimité rare, une franchise souriante ou grave, comment se situent Baudoin et Dohollau ? Ils ne trichent pas. Le récit est fluide. On se plonge à leur suite. Des Lettres Persanes revisitées ? Et si Montesquieu ou Madame de Sévigné avait su dessiner. Dohollau est plus écrivain que Baudoin, graphiste aussi. Ils engagent leurs vies personnelles dans leurs dessins, et charment. On ne s’ennuie pas. On les suit et on se prend au jeu de cette intimité intellectuelle et amicale. Un très bel ouvrage tout en finesse, une belle réédition.
La Diagonale des Jours, Des Ronds dans l’O, 18 €
La Diagonale des jours, correspondance dessinée au long cours, s’ouvre sur un livre de voyageur, comme une lucarne transparente sur la plume déferlante du Pacifique de Jack Kerouac. A cette lettre du costarmoricain Tanguy Dohollau, célébrant la prose envoutée du « roi des Beatniks » , répond le vol d’oiseaux du niçois Edmond Baudoin. En cette presque veille de Noël, ce danseur de pinceau a du noir à l’âme. Il évoque l’amère bleue, l’œil rivé sur l’horizon, celui des ombres, de L’Homme qui marche, de Nicolas de Staël aussi. Interrogeant ainsi le sang de notre Histoire, essence trop souvent oubliée d’un passé toujours présent ? De quelle couleur est la mer en ce mois de décembre 1992 ? Couleur rouge très-trop sang, mêlée de la naissance et de la mort des humains nous dit Edmond Baudoin. Images et maux de tous les suicidés des sociétés : ceux du « Prince foudroyé » qui donna chaire aux Mouettes en des aplats grisés puis sombrement bleutés, une de ses ultimes toiles ; ceux de tous les exilés, noyés en Méditerranée. Comme un écho contraire au vol d’oiseaux libres, cet horizon sans vie, Baudoin le fuit. Cette volte-face salvatrice donne le ton du livre, la mesure de la sensibilité de deux auteurs-dessinateurs, humanistes au présent. Elle rythmera dès lors leurs va-et-vient épistolaires, abolissant toutes les frontières incarnées ou invisibles, dénonçant la cruauté des hommes en guerre, célébrant la beauté des « livres phares » , des enfants… de toutes ces fenêtres ouvertes, vivantes, chatoyantes. Peut-être – {sûrement} – la voie d’une espérance retrouvée ?
Cette diagonale est un livre choral de deux voix, de deux traits dialoguant, se racontant, résonnant l’un dans l’autre, raisonnant l’un avec l’autre. Deux égos ouverts dans la page et sur le monde, sur les Autres auxquels ils offrent un nouveau champ de possibles, celui du savoir-vivre-avec.
Aux lecteurs et lectrices d’en inventer la suite… Un vent d’utopie, subtilement distillé, irrigue ce livre d’amitié, concentré d’humanité. Espérons qu’il fleurisse les yeux et l’esprit de celles et ceux qui le liront. Pour qu’à leur tour, ils-elles essaiment… Car « toujours à l’horreur il est nécessaire d’y opposer la vie » .