Une œuvre que l’on qualifiera à la fois de belle, d’émouvante, de terrifiante, de difficile. Elle pourra choquer et pourtant elle est d’une rare force poétique et évocatrice. Un album à deux facettes, double, qui commence par La Mère et la mort jusqu’au milieu et si on retourne le livre repart dans l’autre sens sur Le départ, titre du second album. Le tout dans un noir et blanc digne d’estampes, de lithographies du plus haut niveau. Qui est aux commandes de ces contes mortels ? Alberto Laiseca est argentin. Alberto Chimal est mexicain. L’Amérique latine frappe à notre porte accompagnée de la mort en personne dessinée par Nicolás Arispe, argentin lui aussi. On comprend la mort dans ces pays, on la fête, on la craint mais elle fait partie de la vie. Le thème de ces aventures, perdre un enfant, le drame absolu, le refus de la mère, être prête à tout pour afin de le faire revivre, cela peut avoir un prix exorbitant.
Dans La Mère et la mort, au bord du Rhin vit une maman à tête de renard. La mort revient de la guerre, poilu en capote, tête en os, qui a bien moissonné pendant quatre ans. Mais cela ne lui suffit pas et elle vole la vie de l’enfant qui dort dans la pauvre chaumière. Elle s’enfuit la mort, invincible, intouchable, traverse le Rhin, la vallée des épines, l’enfant entre ses bras décharnés. Qui l’effleure meurt. La nature plie l’échine mais derrière elle la mère court à perdre haleine. Elle veut rattraper la mort et qu’elle lui rende son fils mais à quel prix ? Mais peu importe, son fils c’est sa vie.
Dans Le Départ la mort est toujours de la fête. La terre tremble et l’enfant meurt. Qu’on lui rende son fils implore la maman. Les dieux sont compatissants et l’âme réintègre le petit cadavre de l’enfant. Sauf que les dieux sont taquins si l’on peut dire car les plaies du pauvre enfant n’ont pas cicatrisées et ne le pourront pas. Mort vivant, en souffrance, comment la maman a la joie d’avoir son fils à nouveau va-t-elle supporter de le voir dépérir, pourrir en se lamentant ?
Les auteurs revendiquent clairement dans ces destins l’influence de Dix pour la guerre de 14, de Bosch pour son enfer par exemple. La lecture est à plusieurs niveaux, du plus simple celui du conte édifiant au plus compliqué philosophique. Mais hormis les textes déjà d’une rare force par leur concision, le choix des mots (bravo la traduction) le dessin est impressionnant. Dire que la mort a du charme, celui que lui donne le graphisme et le trait de Arispe peut sembler iconoclaste, déplacé. On est pourtant ému, pris aux tripes par cette variation en mort majeur. Un album auquel on souhaite une longue vie auprès de très nombreux lecteurs.
La Mère et la mort / Le Départ, Le Tripode, 23 €
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