Le tome 10 de Murena vient de sortir chez Dargaud. Un album que Jean Dufaux qualifiait de « très difficile à faire » dans une récente interview donnée à ligneclaire. La mort de Philippe Delaby a été un choc et une grande perte pour le 9e art. Un artiste inspiré qui avait su donner un vrai souffle à Murena, série reconnue et à succès. C’est Theo Caneschi qui a pris la relève et signe le dessin du Banquet, tome 10 de Murena. Pas facile mais Theo lui-même talentueux et habitué aux récits historiques a su non seulement maîtriser le sujet mais aussi lui donner un nouveau départ graphique. C’est à Quai des Bulles que Theo, rencontré une première fois en Lozère pour le Trône d’argile au Festival de Sainte-Enimie, est revenu avec ligneclaire.info sur cette reprise, en toute liberté. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Theo, depuis combien de temps vous saviez que vous alliez reprendre Murena ? Vous connaissiez bien la série ?
Il y a plus de trois ans que je savais que je reprendrais Murena. J’ai vu Jean Dufaux à l’été 2014. C’est bizarre parce que avant d’être dessinateur de BD j’étais illustrateur à Florence et nous avions déjà des albums de Murena à cause de la qualité des décors, des détails. C’était une référence pour nous. Donc je connaissais la série. En 2006 quand je me suis lancé en BD, Murena était un succès de la BD historique. Le Trône d’argile, ma série, avait été par contre remarquée à l’époque par Delaby.
Comment on ressent une reprise dans ces conditions ? C’est compliqué ?
Ce n’était pas facile. J’ai eu besoin de réfléchir même si on ne peut pas refuser une proposition pareille. L’offre est arrivée au moment où il fallait que je termine mes autres séries. Reprendre le travail d’un dessinateur disparu tragiquement n’est pas simple. J’ai eu besoin de temps pour trouver mon propre chemin. J’ai décidé de faire de la couleur directe sur la page mais ce n’est pas moi qui l’a faite, c’est Lorenzo Pieri. Par contre tout le travail est fait de façon traditionnelle et mon idée était de rendre un hommage à la BD franco-belge, de me créer un grand défi qui me forcerait à me dépasser.
Vous avez une belle qualité de trait. Finalement l’album est envahi par votre précision et l’émotion sans être une copie.
Merci. Personne heureusement ne m’a demandé de copier le style de Philippe. Ils m’ont dit de faire Murena à la Theo mais je me suis plongé dans l’univers graphique de Philippe. J’ai lu et relu les albums, vu le découpage, les personnages. Moi j’ai essayé de trouver mon identité dans la série mais de façon naturelle. Après l’étude du fond je me suis lâché.
Vous avez eu toute liberté dans le projet ?
Oui, totalement. J’ai présenté mes premiers croquis, fait une sorte de page test. Il fallait essayer. On a fait sept pages ensuite avec Lorenzo Pieri qui se situent entre le neuvième et le dixième tome. Pour la couverture on a décidé de la faire dans le style des couvertures de Philippe mais c’est moi qui ai choisi le cochon. Cela a été un choc pour Dargaud mais Jean Dufaux a tellement aimé qu’il a changé le titre de l’album. C’était Nouveaux horizons au départ, provisoirement. C’est devenu Le Banquet.
Comment s’est passé votre collaboration avec Jean Dufaux ? Il me disait que désormais il voulait être plus libre sur les séries longues. Combien d’albums sont prévus ?
Des rapports père-fils en sachant que le père est là mais qu’il ne met pas la pression au fils. Pour Murena cet album est le deuxième du 3e cycle. A priori il y aura un 4e cycle de quatre albums de plus. Donc encore six à faire.
On est dans une situation très ambiguë dans le tome 10. Murena est amnésique, Néron aimerait le récupérer. Il va y avoir un complot qui implique à son insu Murena. On rebat les cartes.
Il faut attendre le futur travail de Jean pour la suite. Il y a eu des transferts entre moi et le personnage de Murena. De façon symbolique, ma vie a été difficile pour moi aussi, l’histoire d’amour. Jean m’a donné une douzaine de pages et m’a dit ensuite qu’il avait retrouvé le plaisir d’écrire Murena. J’étais très fier. L’idée que les personnages continuent à vivre était importante mais c’est vrai qu’il se passe beaucoup de choses dans cet album.
Il y a un nouveau personnage, une femme redoutable. Tout est relancé, il a fait fort Jean Dufaux. On pense à Fellini, au Satyricon.
Même notre éditeur belge nous a dit qu’on avait fait un album qu’il avait adoré. J’ai effectivement relu des pages du Satyricon. C’est un scénario dans le scénario. J’ai caché des petits détails dans le dessin pour les passionnés d’histoire littéraire, des personnages fous.
Il y a des célébrités que Néron va obliger à se suicider. On ira jusqu’au suicide de l’empereur lui-même ?
Je pense que oui. Maintenant je ne peux être très précis. Jean lui le sait. Il m’a dit que la sœur de Pison qui complote contre Néron et a sauvé Murena avait pris sa place dans la série et on a envie de connaître son futur.
Vous êtes totalement sur ce projet ?
Non je suis aussi sur Le Pape terrible avec Jodorowsky. Dargaud m’a accordé du temps. Pour Le Trône d’argile on est au sixième album sur sept. Il faut que je trouve le bon équilibre. Donc Murena à plein temps ce sera vers 2020 pour me concentrer totalement sur le sujet.
Vous avez fait de la BD historique, sur la Renaissance, romantique. Quelles sont vos autres envies ?
J’ai des idées mais pas obligatoirement en BD avec mes nouvelles passions comme la philosophie. Je me suis laissé conduire par ma carrière. Murena m’a donné l’occasion de me remettre à la grande histoire. J’adore aussi le western comme Tex la série classique italienne. J’ai eu un western en projet et comme je dessine souvent des cardinaux avec des grands chapeaux je me suis dit pourquoi pas un récit style western dans le sud de l’Italie, le Cardinal. Mais je n’ai que le pitch et quelques croquis. C’était avant la proposition de Murena qui a bouleversé ma vie.
Vous êtes séduit par la Rome antique ?
Oui, c’était l’occasion de rentrer encore plus dans les détails. Je suis allé à Rome. Très gentiment l’épouse de Philippe m’a confié sa documentation. Donc même des souvenirs du lycée sont remontés à la surface avec Murena.
Vous avez des retours déjà sur l’album ?
Il sort le 3 novembre et tout le monde semble content. La couverture est forte. La mort plane en permanence dans Murena en particulier à travers les couvertures.
Vous avez eu des des difficultés avec cette suite, cette reprise ?
Je dirai qu’au niveau purement artistique à la fin c’était plutôt facile. Tout est venu au fur et à mesure, je progressais. C’était compliqué au niveau psychologique. Ce travail a marqué ma vie sur le plan émotionnel. Ce qui m’a donné le plus d’énergie ont été les rencontres avec la famille de Philippe, sa femme, son fils. J’étais timide au début mais grâce à eux cela m’a aidé sur la façon de voir mon travail sur l’album. J’avais vraiment l’impression de faire quelque chose d’important. Le style de Philippe Delaby, sa technique m’ont inspiré. Je ne l’avais pas rencontré avant sa mort mais le dessin nous a uni désormais.
Murena, tome 10 Le Banquet, Dargaud, 11,99 €
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