Sacha Guitry a quitté la scène il y a soixante ans. Il s’était juré de ne jamais jouer la comédie pour qu’on ne puisse le comparer à son père, Lucien Guitry, acteur et monstre sacré en ce début de XXe siècle. Un faux dilettante Sacha, un cancre qui redoublera huit fois sa sixième et va devenir l’un des plus modernes auteurs du répertoire français. Il remplit toujours les salles et les rayonnages des libraires. Par Jean-Laurent TRUC. Cet article a aussi paru dans le numéro de septembre de ZOO.
Après l’album chez Delcourt de François Dimberton et Alexis Chabert, Sacha Guitry une vie en BD, Noël Simsolo, qui connait son Guitry par cœur, en offre avec Paolo Martinello au dessin une biographie en deux tomes. Le premier, Sacha Guitry le bien-aimé, vient de sortir chez Glénat. Simsolo trace le portrait d’un homme qui jongle avec les mots, les sentiments, a du génie, du charme et, au passage, invente quelques techniques cinématographiques de premier plan.
Mais qui a poussé Simsolo à faire de Guitry un héros de BD ? « Guitry m’a accompagné depuis mon enfance. Comme je parlais souvent de Guitry, que j’avais écrit sur Guitry cinéaste, pourquoi ne pas en faire une BD m’a suggéré mon éditeur ? ». Et c’était parti pour deux albums car le chantier et le sujet ne souffrait pas les restrictions. On ne badine pas avec Guitry. Il fallait aussi trouver le bon angle, la part du romanesque associé à une biographique pure et dure, son enfance, ses amours qui vont scander sa vie et son œuvre littéraire ou cinématographique. Noël Simsolo, le cinéma il connait bien. Alors il a raconté la vie de Guitry comme ce dernier racontait celle de ses personnages. Un parti pris au point que les répliques authentiques de Guitry et inventées par Simsolo se croisent au fil des pages, indécelables. « Guitry le faisait aussi comme dans le Diable boiteux avec Talleyrand » précise Simsolo.
« Le mot d’esprit est sacré »
A croire qu’entre Guitry et Simsolo il y a une complicité spatio-temporelle. « Question de parcours. Je peux comprendre le sien par des expériences communes ». Désinvolte Sacha Guitry, un jeune cancre devenu un génie par un coup de baguette magique ? Pour Simsolo c’est Cocteau qui a le mieux résumé la soi-disant facilité de Guitry à écrire, à créer. « Il était doué mais l’esprit était toujours là. Écrire et faire l’acteur, ses passions », Guitry ne peut pas s’empêcher de jouer avec le texte. Il disait : « Vous pouvez être violent mais le mot d’esprit est sacré ».
On le sait moins mais Guitry était un dessinateur hors pair, un illustrateur, un publicitaire. Il renoncera : « Je dessinais beaucoup trop vite car je voulais finir la chose à peine commencée. Et quand j’en avais assez je signais mon dessin. Et parce qu’il était signé je le croyais fini ». Certains pourraient en tirer leçon. Il aime les femmes, séducteur impénitent mais fidèle en mariage.
C’est un sentimental. Il épouse une maitresse de son père. Le succès est là, vite, mais c’est avec la seconde femme de sa vie, Yvonne Printemps au début des années 20, que Guitry s’impose définitivement. Il a été béni des dieux Sacha. Quand, jeune, son père venait le chercher, ils allaient rejoindre au café, Allais, Tristan Bernard, Jules Renard, Jarry. Sa marraine c’est Sarah Bernhardt. Son parrain, le Tsar de Russie. Un milieu favorisé et il a fait son grand œuvre de toutes ces influences, ses rencontres. Quand Guitry écrit ses pièces il admire Labiche, Molière, Feydeau mais il comprend alors « qu’un théâtre de boulevard est en train de naître mais peut-être aussi autre chose, plus fin dans la perception du sentiment. Sous le bon mot il y a toute une psychologie souterraine, intemporelle ».
Il va vite comprendre l’importance du cinéma naissant. On lui reprochera aux débuts de faire du théâtre filmé. De Cocteau, rappelle Simsolo, il retient « la mode çà se démode ». Guitry pense en effet que le cinéma sera un phénomène passager. Quand il a compris avec le parlant que le cinéma s’imposait en art, Guitry fonce et, trait de génie, « signe des films documentaires en fait sur des acteurs qui jouent ses pièces avec un sens inné du découpage et du montage » souligne Simsolo. Un esprit en mouvement perpétuel Guitry qui cherche, invente. Sinon, Simsolo le montre dans l’album, il s’ennuie. Il est en représentation permanente, accumule les succès au théâtre, de Pasteur à Deburau, Mon Père avait raison, Faisons un rêve. Au cinéma, il dirige Raimu, Arletty, ses épouses bien sûr Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac, Lana Marconi ou Michel Simon à qui il dit « bravo, on ne sait pas quand vous commencez à jouer et quand vous arrêtez ».
« Guitry a joué sa vie comme une pièce de théâtre et il a eu le premier rôle quand il le voulait », insiste Simsolo. Séducteur Guitry, l’album le montre à tour de planches et le dessinateur Paolo Martinello donne à son regard tout le charme imparable d’un homme qui aimait être heureux. Guitry a-t-il été l’homme d’un grand amour ? Pour Simsolo « c’est compliqué. On n’a pas de preuve mais Arletty aurait pu l’être cet amour passion. Guitry était en fait amoureux de l’amour ». Il doit beaucoup à Yvonne Printemps qui l’a initié à la musique. Avec Guitry ils formaient un couple parfait à la scène et dans la vie. Elle le quittera pour Pierre Fresnay.
Universel mais pas international
« Touche à tout, son drame aura été d’être universel mais pas international » regrette Noël Simsolo. Son théâtre n’était joué qu’en Angleterre et dans les pays francophones. Guitry a été découvert bien après sa mort en Espagne ou en Italie. Le dessinateur Paolo Martinello ne le connaissait pas. Le style Guitry n’a jamais été égalé. « Claude Rich qui vient de nous quitter a joué Guitry, Dussolier aussi. Alain Resnais me disait qu’il y avait une façon de dire le texte de Guitry et de respirer sinon ça ne marche pas. A la virgule près ». Guitry demandait à ses acteurs : « Vous faites ce que vous voulez mais c’est le texte avant tout et que le texte. Si vous voulez improviser demandez le moi ». Le mécanisme Guitry est implacable. Dans l’album Simsolo a dû trouver la bonne cadence et le rythme pour être fidèle au ton Guitry.
Côté dessin, il fallait pour Simsolo « une ligne claire un peu particulière, qui sache affirmer la ressemblance et qui ait de l’aisance, un dessinateur qui aime les expériences. On est dans une BD mais aussi dans un monde de théâtre. Quand le dessin commence c’est l’autre qui est sur le pont. Plus moi ».
Guitry le bien aimé sera aussi le mal aimé dans le tome 2. La guerre et la Libération, la traversée du désert, Geneviève Guitry sa dernière femme, « une catastrophe ». On va haïr Guitry emprisonné en 1944 qui pourtant obtiendra deux non-lieux. Collabo Guitry ? Non. Jalousé, oui, abominablement. La revanche des médiocres. Le purgatoire de Guitry s’est terminé il y a quinze ans. Il ne comprenait rien à la politique. « Il pouvait déjeuner avec Léon Blum en 36 et diner avec Maurras. Guitry aime l’Histoire ». Simsolo en donne une affectueuse définition : « C’était un anarchiste indéfinissable et individualiste. Il adorait Beaumarchais Molière, Saint-Just. L’admiration qu’il a pour Talleyrand est la clé de sa vision historique du monde. La France est son pays ».
Alors quel avenir pour Guitry ? Le film parlé, la voix off et le film raconté avec Les Mémoires d’un Tricheur, Si Versailles m’était conté, il est un inventeur. Idem pour le théâtre moderne. Il avait compris qu’il fallait simplifier, rendre le texte intemporel, indémodable, juste, pas daté. « Je me suis demandé », poursuit Simsolo, « comment en images figées, en BD, le rythme Guitry allait exister. Paolo Martinello a réussi sans redondance ». On doit beaucoup à Guitry comme à tous ces grands acteurs-réalisateurs qui phosphorent en permanence, Woody Allen, Eastwood. Pétillant Guitry, un joli cru de champagne dont les bulles éclairent le regard, font chanter les mots et dont on ne se lassera jamais.
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