Une ambiance, celle de Vienne de l’après-guerre, plaque-tournante bien avant Berlin de tout ce que l’Europe en ruines comprend d’espions, de trafiquants, de personnages glauques prêts à tout pour survivre ou faire fortune, comploter de part et d’autre du tout nouveau rideau de fer évoqué par Sir Winston Churchill. Et puis il y a un écrivain britannique, l’un des plus célèbres de l’époque, Graham Greene qui vient faire des repérages pour écrire un scénario, celui qui deviendra celui de l’universel Le Troisième Homme, musique Anton Karas. Dans Le Coup de Prague, Jean-Luc Fromental reconstitue tout en romançant le périple de Greene flanqué de la jolie et très subtile Miss Montagu, personnage tout autant authentique. Comme il fallait un dessinateur capable d’un coup de crayon de coller au sujet, le faire vivre et le transcender, c’est Miles Hyman qui a investi la place. A eux deux, Fromental et Hyman ont signé un album dans la plus pure tradition et du niveau des grands chefs d’œuvre des films noirs des années cinquante.
Quand Greene débarque à Vienne, Elisabeth Montagu qui a travaillé pour les services de renseignements anglais et s’est reconverti dans le cinéma le prend sous son aile et doit l’aider à trouver des renseignements pour qu’il écrive son scénario qui doit se passer dans la ville. Miss Montagu a des contacts à Vienne, un ancien agents américains, un journaliste. Greene lui raconte ce qu’il a fait pendant la guerre mais la jeune femme est persuadée qu’il la balade. Un curieux personnage pas très net, le baron Von Kurtz les approche. Elisabeth découvre que Greene fait référence à Harpo, mais qui est-ce ? La CIA est persuadé que Greene est venu en mission d’espionnage à Vienne. Lui cherche une activité criminelle pour le futur héros de son film. Un trafic de pénicilline frelatée pourrait faire l’affaire. Greene et Elisabeth échappent de peu à de mystérieux individus.
C’est en fait une grande partie de ce qui deviendra l’histoire du Troisième Homme (Greene tirera du film un roman) qui sert de support à l’intrigue. La pénicilline, les égouts de Vienne, la baron, la grande roue du Prater mais on y ajoute Prague qui bascule sous régime pro-soviétique et surtout l’affaire Philby. Il ne faut pas en dire plus car le puzzle est finement ciselé comme le dessin de Hyman dont les couleurs apportent un poids indéniable à l’atmosphère. Trahison, loyauté, c’est la voix off de Miss Montagu qui scande les très belles pages puissantes et pleines de force de Hyman. Elle va découvrir le vrai secret du Troisième Homme. Un jeu de dupes. Un bouquin très achevé au sens littéraire et graphique, historique. A lire avec attention et plaisir le dossier sur Greene rédigé par Fromental en fin d’album.
Le Coup de Prague, Aire Libre Dupuis, 18 €
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